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Note des RG de Marseille "Ce que les Marseillais attendent de la Libération", 27 août 1944

Légende :

Note des Renseignements Généraux de Marseille sur l'état de l'opinion publique, 29 août 1944

 

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD Bouches-du-Rhône - 149 W 128 Droits réservés

Détails techniques :

Document dactylographié de 2 pages (voir recto et verso).

Date document : 29 août 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Les Renseignements Généraux adressent régulièrement des notes d'information sur l'état de l'opinion publique au président du CDL et au commissaire régional de la République.
La note du 29 août 1944 présente les réactions des Marseillais au moment où la fin des combats est acquise. Les quatre premiers paragraphes décrivent l'enthousiasme de la population, qui se réjouit de sa libération par des troupes françaises. Le courage des FFI et des troupes marocaines est salué.

Les paragraphes suivants précisent les attentes des Marseillais. Au premier rang de celles-ci, l'ordre. Les FFI, salués pour leur courage pendant les combats,  inquiètent, une fois ceux-ci terminés. La crainte d'exactions, de vengeances personnelles ou politiques, de tentatives de subversion de l'ordre social semble partagée par une majorité de Marseillais : « On souhaite le désarmement des civils à quelque organisation qu'ils appartiennent. La majorité de ces hommes armés, ou de ces jeunes gens tenant un revolver à la main, donne à la ville un aspect révolutionnaire. » Les notes des RG reprennent souvent ce thème d'une jeunesse armée et incontrôlée qui effraie les personnes d'âge mur. Les nouvelles autorités sont créditées d'une opinion favorable, mais la note relève l'inquiétude que provoquerait un double pouvoir : CDL, incarnation de la Résistance, et autorités représentant l'État qui ont la préférence, d'après les RG, de la majorité de la population. La communication du commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, largement diffusée par la presse, recueille l'adhésion de la population.

L'épuration est souhaitée et le CDL paraît l'organe légitime pour « le châtiment des mauvais Français ». La note indique de façon elliptique : « On désire que la justice ne frappe que les coupables. » Doit-on en déduire une inquiétude diffuse de devoir rendre des comptes pour une attitude passive, une indifférence au sort des persécutés, des petits arrangements pour survivre ? S'agit-il d'épargner « les lampistes » et de ne sanctionner que « les gros gibiers », chacun établissant le curseur au gré de ses intérêts ?

La reprise de la vie démocratique est diversement appréciée : le retour d'une presse libre est salué, mais la liberté d'opinion ne doit pas menacer l'ordre. La propagande communiste est particulièrement visée : « L'activité propagandiste de certains partis politiques inquiète de nombreuses personnes. On craint des bagarres dans un avenir proche... l'ensemble de la population marque sa satisfaction de recouvrer la liberté, tout en souhaitant que cette liberté ne tourne pas à la licence. »
Cette information des RG pose le problème de l'objectivité de ce service. Comment sont pondérées les différentes opinions recueillies ? Certaines préventions à l'égard des milieux ouvriers et du Parti communiste sont nettement perceptibles.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le 29 août 1944, la libération de Marseille, célébrée par un grand défilé de la victoire, est achevée. Les différentes autorités, CDL, commissaire régional de la République, sont en place, mais la vie quotidienne reste chaotique et ne répond pas au souhait d'ordre et de sécurité manifesté par la majorité de la population marseillaise.
Dans la conférence de presse qu'il tient, le 29 août, Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, tout en plaçant le ravitaillement en tête de ses préoccupations, aborde largement les questions évoquées dans la note des RG. Les FFI pourront soit rejoindre l'armée régulière, individuellement ou en groupe avec leurs chefs, et poursuivre les combats contre l'ennemi extérieur, soit, sous l'autorité du secrétaire général de police, combattre l'ennemi intérieur désigné par Raymond Aubrac comme les miliciens et les membres du PPF, participer aux arrestations et au contrôle du ravitaillement. Il n'est pas sûr que cette dernière option rassure ceux qui souhaitaient que les FFI n'aient plus aucun rôle dans l'épuration.

En ce qui concerne cette dernière, Raymond Aubrac fixe des limites : « Je veillerai en outre à ce que les mesures d'épuration atteignent essentiellement les grands coupables ; ce sont les chefs qui seront relevés de leurs fonctions et nous serons plus indulgents pour les subordonnés. » Raymond Aubrac vise dans cette phrase une épuration administrative, et non les actes qui tombent sous l'inculpation d'indignité nationale. Il imagine, comme tous les membres du Gouvernement provisoire, que l'épuration pourra se faire rapidement afin de pouvoir se consacrer à la reconstruction du pays.

L'opinion publique telle que la décrit la note des RG pouvait se reconnaître dans ces annonces. Mais elle pouvait interpréter diversement l'importance que Raymond Aubrac entendait donner au CDL, qui comprend des membres du Front national, du MLN, du PCF, du PS et de la CGT : gage d'une collaboration constructive entre l'État et la Résistance, ou orientation nettement marquée à gauche de l'action des nouvelles autorités ?


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP n° 33, 1992, pp. 78-105.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône - PHI 420-1 - Communiqué de Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, Le Provençal, 29 août 1944.