Les graffiti: une écriture individuelle...et collective

Légende :

Graffiti de résistants détenus par la Sipo-SD de Paris, rue des Saussaies

Genre : Image

Type : Inscriptions

Source : © Ministère de l'Intérieur, Délégation à l'information et à la Communication Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris XVIe

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Analyse média

Ces graffiti sont d'abord une façon pour chaque prisonnier de tenter de s’approprier l’espace et le temps carcéral, de maîtriser sa condition de détenu,  en laissant une trace de sa présence sur les murs. Ils acquièrent aussi un sens collectif, pas simplement parce qu'ils veulent parfois transmettre aux autres la foi ou l'espérance qui anime leur auteur,  mais aussi par leur accumulation: en gravant son inscription sans empiéter sur les précédentes,  chacun se reconnaît comme solidaire des autres et laisse aux suivants le soin d'enrichir ces témoignages d'une communauté de destin, comme pour les rendre de plus en plus difficiles à effacer pour les bourreaux.

Qu'écrivent les détenus de la rue des Saussaies ? Ce peut être simplement leur nom (voire seulement ses iniitiales), accompagné parfois d’une date de passage ou d’un lieu d’origine maladroitement orthographié : Bernay dans l’Eure...D'autres proclament leur foi patriotique ("Vive la France", "Honneur et Patrie"), y compris sous forme provocatrice et malhabile dans la langue de l’ennemi (« Hoch Frankreich »).

Sur d'autres murs où les graffiti ont été préservés (rue des Saussaies, à Fresnes, à Dijon), ces types d'inscriptions en côtoient d'autres : actes de foi religieuse (croix et prières) ou révolutionnaire (emblèmes "soviétiques"), textes parfois plus développés. Ces derniers sont très variés : des bouts de poèmes, des maximes morales, des encouragements, qu’un second détenu commente parfois d’un « d’accord », « moi aussi », voire des messages à la famille, comme une dernière lettre laissée derrière soi et qu’on espère que d’autres sauront transmettre.

Cas extrême : Germaine Tillion témoignera qu’à la prison de la Santé, à Paris, faute de papier, elle s’est mise à graver un plan de réforme de l’enseignement primaire en France : « une ligne par jour, peut-être la moitié d’une ligne. Mon idée c’était qu’il le fallait. » Elle voulait sans doute ainsi léguer un message de foi en l'avenir, et plus précisément de croyance dans le fait qu'améliorer l'éducation des enfants est le meilleur moyen de faire progresser l'envie de démocratie.


Bruno Leroux

Source :  "Les graffiti des prisonniers sous l'Occupation", dossier thématique de La Lettre de la Fondation de la Résistance, n°86, septembre 2016; Michel Reynaud, L’enfant de la rue et la dame du siècle. Entretiens inédits avec Germaine Tillion, Tirésias, 2010, p. 125.

Contexte historique

Siège des policiers français de la Sûreté nationale avant la guerre, et aujourd’hui du ministère de l’Intérieur, le 11 rue des Saussaies était devenu sous l’occupation celui du Kommando parisien de la Sipo-SD, la police et le service de sécurité nazis. De nombreuses pièces y furent aménagées en cellules, dont des débarras et cagibis, destinés à des détenus amenés de leur prison pour interrogatoires. Trois de ces réduits sont restés intacts depuis lors, l’un au 5e étage, le second au 4e, le troisième dans l’immeuble annexe du 11 rue Cambacérès, au 2e étage. Leurs graffiti sont plus ou moins lisibles, en fonction de l’outil utilisé : mine de crayon, fragment de bois, épingle, pointe de l’ongle…


Bruno Leroux

Source :  Jacques Delarue, Les cellules de la Gestapo de Paris 1942-1944, service de la communication du Ministère de l’Intérieur, 2005 (2e éd.)