Première condamnation à mort à la cour de justice de Marseille, septembre 1944

Légende :

Compte rendu par Le Provençal, journal de sensibilité socialiste, de la condamnation à mort de Dereng Tcherpechekian, édition du 12 septembre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD B-d-R PHI 420-1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal.

Date document : 12 septembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 12 septembre 1944, Le Provençal, journal des mouvements de résistance de sensibilité socialiste, rend compte, en première page, du procès de Dereng Tcherpechekian, membre du PPF. Le titre met en valeur le verdict, la nationalité de l'accusé et suggère les motifs de la condamnation : ce membre du PPF pourchassait les réfractaires au STO.

Le corps de l'article rappelle que le procès inaugure les audiences de la cour de justice, instituée le 5 septembre pour juger les faits de collaboration. Ce premier jour d'audience est suivi par un public nombreux.

Dereng Tcherpechekian a rejoint en mai 1944 le «  Service de recherche des réfractaires », organisé à la demande des occupants par Simon Sabiani, chef local du PPF. Les inspecteurs de ce service, chargé de pourchasser les réfractaires, sont recrutés parmi les membres du PPF, de la Milice et de la police. Les  inspecteurs reçoivent un salaire fixe de 3 500 francs et une prime de 100 francs par réfractaire. La brutalité et la vénalité des inspecteurs apparaissent dans les comptes rendus des services de police. Dereng Tcherpechekian tente de minimiser sa participation à ce service particulièrement impopulaire, mais son supérieur, secrétaire du service, le charge.
La défense cite trois témoins, dont le beau-frère de l'accusé, évadé d'Allemagne, qui a été caché pendant sept mois par son parent. Ces témoignages sont rapidement évoqués, sans ajout de commentaire qui leur donnerait la même importance qu'au témoin à charge.

La nationalité de Dereng Tcherpechekian est toujours rappelée. L'auteur de l'article suggère qu'elle constitue un facteur aggravant. Dereng Tcherpechekian, « ce protégé français », en participant à l'envoi de citoyens français en Allemagne a trahi le pays qui lui avait accordé l'asile. Il a manqué au devoir de neutralité des réfugiés politiques en adhérant au PPF. 

Dereng Tcherpechekian est défendu par maître Pollack, qui tient à rappeler qu'il est commis d'office et plaide les circonstances atténuantes, ayant d'emblée reconnu la culpabilité de son client. Le commissaire du gouvernement, ici le substitut Lapeyre, requiert la peine de mort sans circonstances atténuantes. Il est suivi par le jury. Dereng Tcherpechekian est condamné à mort. Il peut requérir la grâce du commissaire régional de la République, Raymond Aubrac. Celui-ci l'ayant rejeté, Dereng Tcherpechekian est fusillé le 12 septembre au Pharo.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

L'assemblée consultative d'Alger et le gouvernement provisoire avaient mis en place, après de nombreux débats passionnés, une législation permettant de réprimer les faits de collaboration. L'ordonnance du 26 juin 1944 institue, dans son article premier, au chef-lieu de chaque ressort de cour d'appel, une cour de justice qui juge les faits commis entre le 16 juin 1940 et la date de la libération du territoire où les faits sont commis. L'article premier stipule que sont incriminés les faits révélant « l'intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de toute nature de l'ennemi, et cela nonobstant toute législation en vigueur. » Le service de recherche des réfractaires, en fournissant des travailleurs au Reich correspond à cette définition. Ces membres peuvent être inculpés d'intelligence avec l'ennemi et de trahison, ils tombent sous le coup de l'article 75 du code pénal, utilisé ici par le commissaire du gouvernement, le substitut Lapeyre, pour requérir la peine de mort contre Dereng Tcherpechekian.

La cour de justice de Marseille est l'une des premières à fonctionner en France. Elle est créée par l'arrêté du commissaire régional de la République par intérim, le 5 septembre 1944, et entre en vigueur le 11 septembre. Le procès de Dereng Tcherpechekian inaugure cette juridiction. Les quotidiens marseillais rendent largement compte de ce procès qui attire un nombreux public.
Une information des Renseignements Généraux, en date du 12 septembre, considère que le verdict a satisfait l'opinion publique, mais que celle-ci attend d'autres condamnations, en particulier celles de Français qui se sont compromis avec l'occupant.
Le 13 septembre, une nouvelle note des Renseignements Généraux montre les attentes contradictoires de l'opinion publique. Celle-ci semble regretter que la première condamnation à mort n'ait pas frappé un Français et taxe de lenteur une procédure qui juge un accusé à la fois, mais rejette les « cours martiales, instruments infâmes employés par l'Hitlérisme », tout en voulant une procédure accélérée. Dereng Tcherpechekian a été jugé et condamné à mort au cours d'une unique audience. Sa grâce a été immédiatement rejetée et il a été fusillé le lendemain. Il était difficile d'être plus expéditif.
Le 19 septembre, un éditorial de La Marseillaise, journal du Front national, fait de Dereng Tcherpechekian le symbole du « lampiste » qui paie tandis que « les grands requins échappent ».


AuteurSylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Résistance et occupation (1940-1944). Midi rouge, ombres et lumières, tome 3,Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années Tricolores (1944-1947). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4, Paris, Syllepse, 2014.

Henry Rousso, « L'épuration en France, une histoire inachevée », in Vingtième siècle, PFNSP, n° 33, 1992, pp. 78-105.

Anne Simonin, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l'indignité. 1791-1958, Paris, Grasset, 2008.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 149 W 118, 149W 128 et PHI 419-1 et 420-1.