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La bicyclette, véhicule à tout faire de la Résistance

Légende :

Bicylette de Roger Coquoin

Genre : Image

Source : © Coll. Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne/don de la famille Chabrol/Coquoin Droits réservés

Détails techniques :

Photographies numériques en couleur

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

Avec cette bicyclette, Roger Coquoin a effectué les nombreux déplacements nécessaires à ses fonctions de cadre d’une organisation de Résistance. Membre actif du mouvement Ceux de la Libération, il en devient le chef, après l’arrestation de Maurice Ripoche. À ce titre, il représente son mouvement à la première réunion du CNR le 27 mai 1943 où il soutient Jean Moulin dans sa volonté d’unification de la Résistance. Emblématique de l’occupation ce vélo est muni d’une plaque d’identité (à dessus de la fourche), d’une plaque d’immatriculation et d’une plaque de sécurité (sur le garde-boue arrière). 


Frantz Malassis

Contexte historique

Pendant l’Occupation, les déplacements des Français font l’objet d’une surveillance très étroite. Tous les transports en commun, trains, bus, tramways, métro parisien, qui connaissent des records d’affluence (1) font l’objet de contrôles inopinés de la part des forces de répression. Les contrôles d’identité y sont fréquents, tous comme ceux des bagages à la sortie des gares. L’usage de l’automobile est également très surveillé et exposait son chauffeur à des contrôles routiers. Parmi les propriétaires de véhicules ayant échappés aux réquisitions allemandes, seuls quelques-uns dont la profession justifiait l’emploi d’une automobile (médecins, industriels, fonctionnaires des services du ravitaillement…) pouvaient bénéficier de bons d’achat de carburant (tant pour un véhicule à essence qu’à gazogène) mais surtout d’un Ausweis, autorisation spéciale de circuler dans un secteur géographique limité et à certaines périodes seulement.

Un mode de transport sûr mais réglementé
Pour limiter les risques de se faire arrêter lors de leurs déplacements incessants, l’expérience montre rapidement aux résistants que la bicyclette est un moyen de transport sûr et fiable. Mode de transport populaire des quarante millions de Français de l’époque, plus de onze millions de bicyclettes sont en circulation en 1943 (2). Circuler à vélo pour les résistants est une façon de se fondre dans la masse anonyme des Français, tout en leur permettant d’éviter les trajets sur des axes fréquentés, donc plus contrôlés. Un résistant muni d’un cycle a l’assurance d’être ponctuel à ses rendez-vous et de s’éclipser rapidement après. En ville, il a l’avantage d’être furtif et de permettre de se faufiler dans des ruelles pour échapper à d’éventuelles filatures. Pourtant à l’époque, une règlementation pesante s’applique aux utilisateurs de cycles (3) et doit être scrupuleusement respectée pour éviter les contrôles plus poussés. Pour être en règle, ils devaient veiller à ce que leur vélo soit muni d’une plaque fiscale, d’une plaque d’identité, d’une plaque d’immatriculation (en région parisienne) et d’une plaque de sécurité.

Un engin très convoité
Le résistant et historien Henri Noguères (4), rapporte combien ce mode de transport fut largement adopté par tous les acteurs de la lutte clandestine. « Que ce soit dans Paris […], en banlieue, dans les grandes villes ou dans les campagnes, l’usage du vélo se confond avec les souvenirs de la Résistance. Résistants de tous âges, de toutes origines, sédentaires ou illégaux, simples exécutants ou grands chefs ″historiques″, le vélo a été leur lot commun (5).» Charles Tillon, commandant en chef des FTPF, le confirme : « J’ai fait tout mon travail de chef des FTP avec ma bicyclette.» (6) Le 19 août 1944, c’est juché sur un vélo qu’Henri Rol-Tanguy, chef des FFI de la région de Paris arrive depuis Montrouge à la préfecture de police de Paris pour prendre le commandement de l’insurrection parisienne.
Ce moyen de transport était si précieux en ces temps de pénurie qu’il était très souvent l’objet de vol. Outil vital pour les responsables du fonctionnement des organisations, sa perte est vécue comme un drame, comme l’atteste Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin de 1942 à 1943 (7). Rose Hernandez, résistante audoise qui assurait toutes ses missions à bicyclette, se souvient aussi d’avoir vécu ce genre de mésaventure. « Un jour que j’avais attaché mon vélo à un pilier avec chaîne et cadenas, je n’ai retrouvé que le cadre fixé au pilier, les roues s’étaient volatilisées ! Je suis revenue avec le reste sur l’épaule. Pour l’époque c’était un drame. » (8)
À l’inverse, il arrivait que des résistants poursuivis soient contraints de dérober un vélo comme Charles Debarge dans le Pas-de-Calais qui quelques jours après adressa à son propriétaire une lettre d’excuse accompagnée d’un billet de banque de mille francs en dédommagement. Regrettant de ne pouvoir lui donner plus : « Étant communiste, pourchassé par toute la police, je n’ai pas toujours le loisir de gagner de l’argent (9).» Le vol peut aussi être un acte de résistance à l’encontre des Allemands. Ainsi, au début de l’année 1944, Simone Segouin alias Nicole, résistante eurélienne, s’engage à 19 ans au sein du groupe Francs-Tireurs et Partisans du lieutenant Boursier. Agent de liaison, sa première mission va être de subtiliser la bicyclette d’une coursière allemande occupée à déposer des plis dans l’hôtel des Postes de Chartres. Pédalant non sans risque dans Chartres, elle rejoint une planque pour repeindre cette « prise de guerre » qui devient alors son véhicule de liaison (10).

De nombreuses missions clandestines
En plus de se rendre rapidement aux rendez-vous, au sein des organisations clandestines le vélo permet aux agents de liaison de faire parvenir rapidement des messages et des renseignements entre les différents résistants. Le vélo offre à l’agent de liaison de multiples caches pour y dissimuler ses messages compromettants comme les poignées du guidon, la pompe, l’espace entre la chambre à air et le pneu… Ce mode de locomotion met à rude épreuve les corps des agents : « À la Libération, j’étais prête pour le tour de France ! » (11) se souvient avec humour Colette Périès-Martinez, jeune agent de liaison dans l’équipe féminine créée par le commandant Valette d’Osia. À partir de 1942, elle sillonne les routes de Haute-Savoie, parcourant jusqu’à 100 kilomètres en une journée. Un autre agent de liaison originaire d’Ille-et Vilaine, Louison Bobet, lui restera célèbre dans le monde de la « petite reine » en gagnant effectivement trois fois le Tour de France de 1953 à 1955.
La bicyclette sert aussi à transporter des armes et des sommes d’argent nécessaires aux résistants, distribuer à la volée des tracts et des journaux clandestins, ravitailler en linge et en denrées les résistants « grillés » cachés dans des planques, assurer les liaisons au sein du maquis… En toute circonstance elle a été un auxiliaire précieux pour la reconquête de la Liberté !



(1) Seuls 30 % des trains d’avant-guerre sont en circulation en juillet 1941. Cf. Dominique Veillon, Vivre et survivre en France 1939-1947, Paris, Payot, 1995, p. 140.
(2) Dominique Veillon, ibid., p.152.
(3) Cf. François Toché, Comment équiper, entretenir, réparer sa bicyclette, son tandem, mai 1942.
(4) Henri Noguères participe à la reconstitution clandestine du parti socialiste, il est chef régional de Franc-Tireur pour la région R3 (Montpellier), membre du directoire régional des MUR-MLN et chef des groupes francs de la Délégation militaire régionale.
(5) Henri Noguères, La vie quotidienne des résistants de l’armistice à la Libération (1940-1945), Paris, Hachette, 1984, pp.60-61.
(6) Gilles Perrault, Dictionnaire amoureux de la Résistance, Paris, Plon-Fayard, 2014, p. 473.
(7) Daniel Cordier, Alias Caracalla, Paris, Gallimard, 2009, 931 p.
(8) Lucien Maury, La Résistance audoise (1940-1944), tome I, Comité d’Histoire de la Résistance du département de l’Aude, 1980.
(9) Gilles Perrault, op. cit, p.472.
(10) Après de nombreuses missions de liaison en Eure-et-Loir, elle est une des rares femmes à prendre part à la lutte armée participant notamment à la libération de Chartres et de Paris. Cf. Frantz Malassis, « La jeune résistante armée de Chartres », in La Lettre de la Fondation de la Résistance n°32, mars 2003.
(11) http://www.senat.fr/evenement/colloque/femmes_resistantes/webdoc/a-la-liberation-jetais-prete-pour-le-tour-de.html


Frantz Malassis