Pierre Challan Belval s’adresse aux « Darus »

Légende :

Comme chaque année, à la fin septembre, les anciens du maquis Pierre et leurs amis se réunissent à Saint-Pons, hameau de Condorcet, chez Madame Gras : lors de la réunion, le chef du maquis, le colonel Challan Belval, prend la parole.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © AERD Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en noir et blanc.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Condorcet

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Analyse média

Le 22 septembre 2007, Pierre Challan Belval est monté sur un escabeau, à la ferme Gras à Saint-Pons (Condorcet) et s’adresse aux « Darus » (les résistants du maquis Pierre et leurs amis) : c’est le repas annuel, l’une des étapes importantes de leur rencontre.

Le chef de maquis a deux « gardes du corps » improvisés, au pied de l’escabeau, Henri Challan Belval – un de ses fils, et Raymond Chauvin un ancien maquisard. Ceux-ci assurent l’équilibre de la « tribune » de fortune en cas de besoin. Au premier plan, on distingue quatre convives, attentifs (ils étaient une cinquantaine au total peut-être).

En arrière plan, apparaissent deux arches de la maison – appartenant actuellement à Lucienne Gras (autrefois à Stanislas, puis à Marcel son fils récemment décédé), qui accueille les Darus, dans la cour de la ferme, à l’ombre du mûrier ; l’angle de l’une des tables accueillant les convives est en partie au soleil, ainsi que l’orateur et sa « garde d’honneur ».

Le choix de ce lieu n’est pas anodin. Stanislas Gras fut l’une des sept victimes qui périrent lors de la journée sanglante du 19 mars 1944, se terminant précisément à l’école de Saint-Pons – un peu plus haut dans la montagne, où furent fusillés la plupart d’entre elles. Le groupe du maquis Pierre, qui avait établi son camp dans le hameau, se sentant en difficulté d’approvisionnement et en insécurité, s’était déplacé peu de temps auparavant. Les familles rurales, supposées acquises aux maquisards ou du moins de connivence avec eux, furent victimes des représailles sanglantes conduites conjointement par les Allemands et la Milice, du pillage et de l’incendie de leurs fermes.

La rencontre a débuté par une messe à la chapelle de Saint-Pons, célébrée par M. Lambert, curé à La Chapelle-en-Vercors et ancien du maquis Pierre. Pierre Challan Belval a évoqué le souvenir de ses frères d’armes disparus.

Puis les participants se sont retrouvés au cimetière jouxtant la chapelle pour se recueillir sur la tombe de Stanislas Gras.

Enfin, devant la plaque apposée sur la façade de l’école de Saint-Pons, rappelant les noms des 7 martyrs, un dépôt de gerbes est effectué, suivi du chant de la Marseillaise entonnée par l’assistance – une cinquantaine de personnes –. Une minute de silence est observée.

Pour la première fois, en 2010, en l’absence de Pierre Challan Belval, Jacques Bourdongle, fils du docteur Jean Bourdongle, résistant nyonsais au rôle important, torturé, et fusillé, a clôturé les cérémonies du matin précédant le repas, et a remercié M. le maire de Condorcet qui soutient chaque année ces manifestations.


Auteurs : Claude Seyve Claude, Michel Seyve

Contexte historique

Des raisons fortes, datant en particulier de l’époque de la Résistance, expliquent que l’on attend, chaque année, à Saint-Pons, la parole de Pierre Challan Belval.

Né en 1915 à Gray, il a choisi comme son père, la carrière militaire : il est entré à l’école de Saint-Cyr. Sa promotion est rappelée au moment de Munich, vécu comme « un affront ». Mobilisé en 1939, il est chargé, en Algérie et en Tunisie, de prévenir avec son escadron, une attaque italienne ; c’est là qu’il apprend l’Armistice du 22 juin 1940.

« N\'ayant participé ni aux affrontements de mai 1940 ni à la retraite, écrit-il, nous acceptions mal d\'être vaincus et nombreux parmi nous furent ceux qui, à l\'annonce de l\'armistice, décident de continuer la lutte aux côtés des Anglais ». L\'appel du général de Gaulle, le 18 juin, ne les atteint pas. La destruction de la flotte française réfugiée à Mers el-Kébir par une escadre britannique (3 juillet 1940) est mal perçue et entraîne Pierre Challan Belval et ses amis à revoir leur plan : dès lors, pour eux, le « devoir était de préparer la revanche au sein de l\'armée française ».

Pierre Challan Belval est muté en France, à Vienne, pour des raisons familiales. Quelques jours après l’invasion de la zone Sud par les Allemands, en novembre 1942, le lieutenant est démobilisé. Ses efforts pour rejoindre l’Afrique du Nord par l’Espagne échouent.

C\'est alors que le lieutenant Roger Guigou – Pierre Challan Belval le connaît depuis Saumur – l\'invite à Lyon. Avec quelques anciens du 3ème Spahis, en liaison avec le commandant Marcel Descour (« Bayard ») coordonnateur de l\'ORA, un petit groupe de Résistance s\'y est déjà constitué, camoufle des armes, etc. Il rencontre, dans le bureau de Descour, Narcisse Geyer (« Thivollet ») occupé à créer un maquis à proximité de la forêt de Chambaran dans le Nord Drôme. Immergé dans ce milieu, rebelle au projet du Maréchal, interpellé par les arguments de Guigou au cours « de longues discussions », il revoit sa position : « au bout de 8 jours, j\'avais abandonné l\'idée de passer en Afrique du Nord ».
Il se met dès lors au service de ce groupe de résistants lyonnais.

C\'est ainsi qu\'à la fin mars 1943, il est à la direction de la Résistance dans la région de Nyons-Valréas. Sa nouvelle situation de clandestin le conduit à prendre un domicile fictif à Valence, pour le courrier officiel. La gendarmerie l\'inscrit sur son contrôle et, complice, signale sa présence, chaque semaine ; il reçoit sa solde de non-activité, allouée par le gouvernement de Vichy aux cadres de l\'Armée d\'armistice. « Cela me mettait à l\'abri du besoin, et je pouvais me consacrer entièrement à l\'organisation des maquis. » Il s\'appelle « Blondeau » (carte d\'identité de la préfecture de Valence) et possède un certificat de travail (« agent technique de carbonisation du bois à la société nationale du carburant français »).
À partir du 15 avril 1943, il sillonne la région de Taulignan-Valréas ; il constitue trois maquis, en s\'appuyant sur les résistants du lieu et sur la coopération que lui offrent deux abbayes voisines. Trois prêtres, dans ces années bouleversées, lui ont témoigné une amitié et un esprit de solidarité qui ont particulièrement marqué cette période de sa vie, confie-t-il. En particulier Jacques de la Celle, économe de la petite abbaye de l\'Écluse, l\'accueille à toute heure. « Ce havre de paix discret me rendit service », insiste-t-il, simplement.

Capturé et emprisonné à Marseille, en mars 1943, il parvient à s\'évader, reprend son poste à la tête de ce que l\'on appelle les maquis « Pierre ». Le « lieutenant Pierre » déplace ses groupes, de Saint-Pons, dans les plateaux de Vinsobres et de Claves (Allan et Montjoyer). Parallèlement, il entretient des liens étroits avec l\'école de formation des cadres de Combovin.

Remplacé dans sa responsabilité (pôle résistant de la Drôme méridionale), par le lieutenant Pierre Rigaud, au tout début de 1944, il porte ses maquis d\'abord au nord de la rivière Drôme ; au printemps, il monte des embuscades, livre quelques combats, décroche fréquemment quand les forces sont inégales. Il poursuit ses mouvements dans le pays, notamment après la prise du Vercors (27 juillet), mais aussi à la suite du débarquement allié en Méditerranée (15 août) : passant la rivière Drôme plusieurs fois, il participe à des actions de harcèlement, voire à quelques combats dans la vallée de la Drôme et la plaine de Valence. Ses groupes sont devenus la 7ème compagnie FFI Centre Drôme et contribuent à la libération du chef-lieu le 31 août 1944. Il demeure, avec la plupart des hommes de son maquis, dans la 6ème compagnie du 2ème bataillon de la Drôme et rejoint la Maurienne. Son maquis s’intègre ensuite au 5ème régiment de Dragons, avec lequel il termine la guerre dans l’Ubaye.

Pierre Challan Belval est ensuite envoyé successivement au Maroc, en Indochine et à nouveau au Maroc. Il termine sa carrière en Europe où il est nommé colonel. Finalement il est affecté à l\'École d\'équitation de Fontainebleau. L\'extension qu\'il donne à cette institution contribue à en faire, plus tard, une école prestigieuse mondialement reconnue.

Mais il avait l\'habitude de se retrouver aussi à Paris avec des anciens du maquis, au cours de permissions. C\'est le point de départ de réunions de tous les « Darus » dans la Drôme, à Saint-Pons, en septembre. Ayant pris sa retraite dans la capitale, il poursuit sa visite drômoise chaque année. L\'amicale ainsi constituée, actuellement animée par Jacques Bourdongle, toujours soudée autour de son ancien chef, demeure étroitement solidaire, grâce entre autres à un bulletin de liaison régulier depuis 1947. Ce n’est pas sans admiration que beaucoup l’écoutent discourir, du haut de son escabeau.

Pierre Challan Belval a quatre enfants. Il montait encore à cheval assez récemment.


Auteurs : Claude Seyve, Seyve Michel
Sources : Du Nyonsais au Vercors, LES « DARUS », Le maquis Pierre, Le maquis WAPP, 108 p., 1973, colonel Challan Belval ; entrevue avec le colonel, 19 janvier 2006 ; enquête auprès de Jacques Bourdongle, 2010.