Rue Fredo-Kroumnow, Mulhouse

Genre : Image

Type : plaque de rue

Producteur : Bertrand Merle

Source : © collection Bertrand Merle / Aéria Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : Juillet 2017

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Haut-Rhin - Mulhouse

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Analyse média

Voie dénommée rue Fredo-Kroumnow par une décision du conseil municipal du 3 décembre 1991. Cette rue est située dans le quartier de la Mer Rouge, une ancienne zone industrielle reconvertie dans différentes activités tertiaires. Elle est perpendiculaire aux rues Marc-Seguin (ingénieur français 1786-1875) et de Chemnitz (ville allemande de l’ancienne RDA jumelée avec Mulhouse). La plaque indique l’année de naissance (1927) et de décès (1974) et met en relief la carrière syndicale sans autre précision. La désertion de la Wehrmacht, l’armée nazie, n’est pas évoquée.


Bertrand Merle

Sources
Les rues de Mulhouse. Histoire et patrimoine, Conseil consultatif du patrimoine mulhousien et avec le concours de la Société d’histoire et de géographie de Mulhouse, Editions JM 2007 et JM 2009 actualisées et enrichies.

Contexte historique

Alfred-Louis Kroumnow, dit Frédo, est né à Mulhouse (Haut-Rhin) le 29 mai 1927 et décédé au Bourg-d’Oisans (Isère) le 19 mai 1974. Il est issu d’un milieu ouvrier et militant. Il est le fils de Guillaume-Frédéric de nationalité allemande, né à Mulhouse en 1891 lequel subira l’épuration en 1945. Sa mère, Louise-Marie Hassler, est française. La famille habite dans le quartier populaire Saint-Fridolin en bordure du canal de décharge de l’Ill.

Frédo Kroumnow a 12 ans en 1939 au moment où la guerre éclate. Avec sa bande de copains, il subit de près l’annexion de fait de l’Alsace par le Reich allemand. Comment résister ? A cet âge c’est impensable. Au fil des mois pourtant, chaque occasion de s’opposer est utilisée. Son autobiographie Croire ou le feu de la vie parue juste après sa mort due à un cancer, regorge d’informations et d’anecdotes. De son côté, l’historien Léon Strauss précise qu’il a réalisé « de menus actes de résistance ». Dès l’été 1940, avec ses copains, il part ramasser des explosifs et des munitions dans des ouvrages abandonnés de la ligne Maginot dans la forêt de la Hardt. Les jeunes planquent leur butin dans l’usine abandonnée Tcheiller et Cie. C’est une activité récurrente chez de nombreux adolescents alsaciens qui n’habitent pas trop loin du Rhin. Quelques mois plus tard, lors d’une séance de propagande au cinéma, c’est un lâcher de hannetons qui cinglent vers le projecteur lequel renvoie alors de grosses taches noires sur l’écran. Film stoppé net. Il note: « C’est la première victoire sur l’occupant! » Pour fêter le 14-Juillet 1942, la bande fait exploser un des murs de l’usine désaffectée ce qui met à cran les autorités nazies. A cette époque, Charlotte, la sœur aînée travaille à l’Office des écoles de la Ville. Elle est en contact avec un vicaire de la paroisse, Camille Haegeli (1911-1985) futur cadre des FFI de Mulhouse en lien avec les réseaux de Thann et plus loin, Lyon. Par son métier, elle accède ainsi à certains courriers dont elle confie le contenu au prêtre. Elle fait aussi partie du mouvement clandestin de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF). Le jeune Frédo, 15 ans et désormais adolescent, est missionné pour aller prévenir les intéressés qui peuvent ainsi s’éclipser.
Les cahiers clandestins de Témoignage chrétien arrivent régulièrement à la maison où on écoute aussi la BBC ce qui permet de suivre l’évolution des combats. A l’automne 1943, il est appelé pour une période d’instruction dans un camp de préparation militaire de la Hitlerjugend (jeunesse hitlérienne). Nom et adresse mal orthographiés: la convocation part à la poubelle. En janvier 1944, la seconde est la bonne. Il passe quelques semaines à Unzhurst (pays de Bade) près d’Offenbourg, mais refuse de signer un engagement militaire. En mai 1944, il est convoqué au RAD (Reichsarbeitsdienst - travail obligatoire) près de Coblence (Rhénanie-Palatinat). Une des tâches consiste à déblayer les cadavres des prisonniers de guerre après les bombardements alliés.

Le 14 novembre 1944, il reçoit sa convocation pour être incorporé de force dans la Wehrmacht à Francfort-sur-l’Oder (Brandebourg) éloigné de 670 km, avec le front de l’Est comme perspective. Ils se regroupent à huit Mulhousiens pour se rendre de Coblence vers leur régiment. Mais ils décident de ne pas y aller et vont tenter de rejoindre l’Alsace. Ils se séparent pour ne pas attirer l’attention pendant le voyage. Le temps joue pour eux: ils ont dix jours de marge avant d’être considérés comme déserteurs. Frédo Kroumnow et un camarade, Pierre, arrivent à Müllheim (pays de Bade) le 19 novembre 1944. Ils parviennent à traverser le Rhin sur les débris des ponts successivement reconstruits et bombardés ces dernières semaines. Le courant du fleuve est si fort et provoque un tel vacarme sur la ferraille qu’il couvre ainsi les bruits de leur fuite. A minuit, ils sont à Chalampé (Haut-Rhin), juste en face. Ils rejoignent à pied la forêt de la Hardt que le duo connait par cœur, puis de là, Mulhouse à 4h du matin. Leur but: tenter ensuite de passer en Suisse avec l’aide des réseaux du vicaire. Ils retrouvent d’abord leurs familles, se lavent et dorment. Le lundi 21 novembre, ils sont réveillés par le bruit d’une canonnade. Les chars et les tirailleurs marocains de la 1ere armée (de Lattre de Tassigny) sont aux portes de la ville… La libération de la ville est enclenchée. Rue Hubner, Pierre prit une balle perdue et s’écroula. Dans ses carnets, Frédo Kroumnow note: « Des copains de la bande, à la fin de la guerre, il en manquait six: Roger, Auguste, André, Pierre, Désiré, Georges: un sur cinq y était resté. » Il croisa aussi des jeunes hommes qui s’étaient « pavanés en uniforme de la jeunesse hitlérienne, puis fiers de porter un uniforme nazi. [A l’automne 1945] l’engagement dans la 1ere Armée leur évitait des procès d’épuration.»

La suite de la vie de Frédo Kroumnow est dans le domaine public. Sa carrière dans le mouvement associatif à la Jeunesse ouvrière chrétienne et aux Associations populaires familiales puis syndical à la CFTC d’abord jusqu’à la rupture en 1964 et la création de la CFDT va le conduire jusqu’au poste de secrétaire national de ce mouvement (1970-1973).


Bertrand Merle

Sources
- Frédo Kroumnow, Croire ou le feu de la vie, Les éditions ouvrières, Paris,1974.
- "Frédo Kroumnow". Fiche de Léon Strauss. Maitron-en-ligne.univ-paris1.fr
- "Frédo Kroumnow". Fiche de Léon Strauss. Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne. N°24. Pages 2123 et 2124.