Exécution de Lucien Mangiavacca, décembre 1944

Légende :

Article de presse intitulé « Mangiavacca a été fusillé hier matin », paru dans l'hebdomadaire régional des Jeunesses communistes, Jeunesse de Provence, édition du 2 décembre 1944

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © Fédération des B.-d.-R. du Parti communiste français Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier journal (voir aussi l'album photo lié).

Date document : 2 décembre 1944

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Lucien Mangiavacca, lieutenant de Simon Sabiani, a été condamné à mort le 14 octobre 1944 à l'issue d'un rapide procès [voir le contexte historique]. Son pourvoi en cassation, puis sa grâce, sont tour à tour rejetés ; il est exécuté le 1er décembre 1944 sur le terrain militaire du Pharo.

Lucien Mangiavacca est le dernier collaborateur exécuté publiquement. Le président de la République Albert Lebrun avait interdit les exécutions publiques après les manifestations indécentes lors de l'exécution du prisonnier de droit commun Eugène Weidmann.
Dans un premier temps, en effet, les collaborateurs condamnés à mort étaient exécutés publiquement, puis, au moment où Lucien Mangiavacca fut fusillé au Pharo, une ordonnance vint modifier l'article premier de l'ordonnance du 3 mars 1944 et stipula que les exécutions se fissent désormais hors de la vue du public.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Si le procès de Lucien Mangiavacca attire un foule énorme au palais de justice de Marseille, c'est parce que derrière lui se profile l'ombre du chef régional du Parti populaire Français (PPF), Simon Sabiani, qui a incarné tous les excès de la vie politique marseillaise depuis le début des années 1920 et qui est toujours en fuite.

Lucien Mangiavacca a suivi un itinéraire semblable à celui de son chef, de l'extrême gauche à l'extrême droite. Devant le commissaire Weisbecker qui l'interroge, le 17 juillet 1942, après les très graves incidents qui ont conduit à la mort de deux manifestantes le 14 juillet [voir infra], Lucien Mangiavacca se définit ainsi : « Je suis de nationalité française, à titre originaire et catholique de race aryenne. Je fais partie du Parti Populaire Français depuis sa création et suis également légionnaire »
Le PPF est dirigé au niveau régional par Simon Sabiani ; Lucien Mangiavacca, chef du service de l'imprimerie de la Ville de Marseille, apparaît comme l’un de ses principaux lieutenants. Le PPF incarne à Marseille autant - sinon plus - que la Milice l'ultracollaborationnisme, mêlé de gangstérisme. Sabiani n'a jamais caché sa proximité avec le milieu marseillais. Deux des truands notoires, Venture Carbone, ami de longue date de Sabiani, et François Spirito fournissent au PPF et aux occupants des hommes de main, telle l'équipe dirigée par Charles Palmiéri qui, sous l'appellation de « bureau Merle », traque les résistants, les réfractaires au STO, les déserteurs italiens et les juifs, en étroite coordination avec la Gestapo. Simon Sabiani monte en février 1944 le « service de recherche des réfractaires », qui s'installe à l'hôtel Californie au 60, cours Belsunce. Les rémunérations sont avantageuses, ce qui n'empêche pas les membres du « bureau Merle » comme ceux du service de recherche des réfractaires de piller les appartements de leurs victimes. Les commandos de l'hôtel Californie opèrent dans toute la région et jusqu'à Montpellier.

La participation de Lucien Mangiavacca à la rafle qui s'est déroulée en juin 1944 à Montpellier est l’un des principaux éléments de l'accusation. Lucien Mangiavacca est également associé dans la mémoire des Marseillais à la manifestation du 14 juillet 1942. De 15 à 20 000 personnes défilent sur la Canebière aux cris de « Vive de Gaulle, à bas Laval ! » En arrivant au bas de la Canebière, à proximité de la rue Pavillon où se trouve le siège du PPF, les manifestants conspuent également Sabiani et le PPF. Des coups de feu sont tirés sur les manifestants à partir du siège du PPF, deux femmes sont tuées et six hommes blessés. Lucien Mangiavacca est arrêté. Le préfet ordonne une enquête. Son interrogatoire par le commissaire Weisbecker constitue l’une des pièces de l'accusation à son procès. C'est pourquoi trois chefs d'inculpation sont retenus contre Lucien Mangiavacca : avoir tiré sur la foule le 14 juillet 1942 ; avoir appartenu à la Gestapo ; avoir contribué à envoyer des Français en Allemagne.

De nombreux témoins à décharge affirment que Lucien Mangiavacca se trouvait à Marseille en juin 1944 ; ils pèsent cependant de peu de poids devant les témoins à charge qui jurent avoir vu Mangiavacca tirer sur la foule le 14 juillet 1942, ou encore diriger la rafle du 10 juin 1944 à Montpellier.
La France de Marseille et du Sud-Est conclut : « Après ces témoignages si accablants, la Cour renonce à l'audition des autres témoins à charge. Il est certain que le ministère public a trouvé là, in extremis, les témoignages susceptibles de justifier son réquisitoire. » La formulation laisse planer un doute sur la solidité des faits précis reprochés à Lucien Mangiavacca. Son appartenance au PPF et son rôle dans le parti ne faisait en revanche aucun doute. C'est pourquoi Lucien Mangiavacca est condamné à la majorité - et non à l'unanimité - des jurés à la peine de mort, le 14 octobre 1944. L'opinion publique s'émeut de ne pas le voir immédiatement exécuté. Des rumeurs de grâce courent la ville. En fait, Lucien Mangiavacca utilise la toute nouvelle possibilité de faire appel du jugement. Le 29 novembre 1944, le ministre de la Justice informe le Commissaire régional de la République (CRR) que le pourvoi en cassation a été rejeté le 24 novembre et que le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire, a rejeté le recours en grâce. Lucien Mangiavacca est exécuté le 1er décembre 1944. La France de Marseille et du Sud-Est considère que l'événement n'attire que quelques curieux, tandis que Le Provençal décrit une foule qui se presse sur le terrain militaire du Pharo. Les condamnés à mort pour intelligence avec l'ennemi étaient fusillés les yeux bandés et face au poteau, donc dans le dos, en symbole de leur trahison.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Les années de crise, 1939-1940. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 1. Paris, Syllepse, 2004.

Robert Mencherini, Vichy en Provence. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014

Jean-Baptiste Nicolaï, Simon Sabiani, Un chef à Marseille. 1919-1944, Paris, éditions Olivier Orban, 1991.