Verdict du procès des intendants de police, Mathieu et Panneboeuf, février 1945

Légende :

La France de Marseille et du Sud-Est, quotidien régional de sensibilité gaulliste, rend compte sur deux pages de la fin du procès des intendants de police Mathieu et Panneboeuf, le 20 février 1945

Genre : Image

Type : Article de presse

Source : © AD des B-d-R PHI 417/1 Droits réservés

Détails techniques :

Document imprimé sur papier pelure de 4 pages (voir l'album photo).

Date document : 20 février 1945

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le quotidien gaulliste consacre, comme toute la presse marseillaise, une large place au procès  de l'intendant de police Albert Mathieu, de son adjoint Eugène Panneboeuf et de leurs co-inculpés, Joseph Bordas, directeur des Renseignement Généraux des Bouches-du-Rhône et Mariano Serra, chauffeur d'Eugène Panneboeuf. Chaque jour depuis le 12 février, des articles en première page  retracent les débats qui se déroulent devant la cour de justice spéciale de Marseille.

Le verdict, prononcé le 19 février est annoncé le 20, en première page. L'article est illustré d’une photo de la salle d'audience et se poursuit  en page 2.

Le titre indique les différents verdicts en adaptant la typographie à l'importance des condamnés et des peines infligées. L'acquittement du policier Gay est mis en valeur en étant clairement séparé des condamnations.

Le chapeau de l'article présente la conclusion du procès de façon très subjective : « C'est la sentence d'un jury de résistants pour qui toutes les subtilités des textes ou les explications des accusés et de leurs avocats n'effacent point les gestes de collaboration avec l'occupant. ». Les organisations de Résistance participent aux côtés de magistrats professionnels à l'élaboration des listes de jurés. Des citoyens dont la conduite pendant l'Occupation serait sujette à caution sont bien sût écartés ; pour autant, les jurys ne sont pas composés uniquement de résistants. Ils sont présidés par un magistrat professionnel. Le journaliste André Ollivier suggère également que le jury n'a pas voulu ou pu comprendre une argumentation strictement juridique et prononcé des sentences en fonction de convictions sans doute estimables, mais relativement sommaires.

Le deuxième paragraphe laisse entrevoir qu’Albert Mathieu et Eugène Panneboeuf auraient pu bénéficier de circonstances atténuantes, mais que leur condamnation à la peine capitale a valeur d'exemple, idée reprise par l'introduction de l'article : « Deux condamnations à mort, une aux travaux forcés à perpétuité annoncent d'autres châtiments pour d'autres qui, à l'égal de Mathieu, Panneboeuf, Bordas, prirent d'aussi lourdes responsabilités. »

Sous le titre en gras « Le réquisitoire », André Ollivier poursuit sur le même thème : « Répétons-le, ce ne sont pas les faits en eux-mêmes qu'on a puni. » Les accusés ont, avec souvent beaucoup de conviction et de talent, mis en difficulté la centaine de témoins, préfets compris, qui se sont succédés pendant une semaine. Le commissaire du gouvernement, M. Dubost, chargé de prononcer le réquisitoire, veut clairement éviter que le haut fonctionnaire Mathieu, homme de bureau, soit moins condamné que Panneboeuf qui était présent lors de l'anéantissement du maquis du Plan d'Aups le 9 juin 1944, ou encore lorsque trois résistants furent fusillés dans la pinède derrière la prison des Baumettes, le 4 juillet 1944.

Albert Mathieu, ancien instituteur, abandonne l'enseignement pour faire carrière dans la police spéciale à partir de 1923. En novembre 1942, il est sous-directeur de la police judiciaire à Vichy. Joseph Darnand qui, depuis janvier 1944, dirige toutes les forces de police, le propulse intendant de police à Marseille en remplacement de Robert Andrieu, qui avait préféré démissionner.

Eugène Panneboeuf, après une carrière militaire très honorable à laquelle le commissaire du gouvernement fait allusion dans son réquisitoire, entre dans l'administration municipale de Lyon. Membre de la Légion française des combattants, il suit la ligne ultra collaborationniste en adhérant au S.O.L. (Service d'ordre légionnaire) et à la Milice. Chef de la Milice de Lyon, il est appelé par Joseph Darnand pour seconder, voire contrôler, Albert Mathieu. Darnand nomme à la tête des Renseignements Généraux de Marseille un autre de ses fidèles, Joseph Bordas. Les trois hommes incarnent la ligne la plus dure qui domine Vichy dans sa dernière période.

M. Dubost, qui connaît le poids des rumeurs, tient à ce que la réhabilitation du policier Gay soit éclatante. Il rend un hommage appuyé à ce résistant, injustement accusé. Le chauffeur d'Eugène Panneboeuf, Mariano Serra, apparaît comme un comparse tout à fait secondaire et fait l'objet d'une condamnation de principe. L'avocat d'Eugène Panneboeuf fait de son client l'homme de devoir, le soldat guidé par l'ouvrage de Vigny, Grandeur et servitude militaire. Le commissaire du gouvernement ne récuse pas cette vision très valorisante d'un chef milicien qui participa aux côtés de la division Brandebourg à l'écrasement des maquis de la région mais n'en requiert pas moins la mort. Albert Mathieu est brillamment défendu par Emile Pollack, alors jeune avocat. On peut résumer sa ligne de défense  par la formule habile mais discutable : « Mathieu n'appartenait pas à la Résistance. Il n'y a pas de crime négatif. »

La fin de l'article sous le titre « Le verdict » énumère les sentences à titre principal et précise que tous les condamnés sont également en état d'indignité nationale, ce qui les prive de leurs décorations et de leurs biens. Les quatre condamnés se pourvoient en cassation comme ils en ont le droit.


Auteur : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Dès le 11 septembre 1944, un peu moins de deux semaines après la libération de Marseille, la cour de justice spéciale mise en place par le commissariat régional de la République pour juger les faits de collaboration rend ses premiers jugements. La population déplore que la plupart des condamnés soient des exécutants sans grand relief. Le thème des « lampistes » qui paient pour les « gros poissons » court la ville.

Le procès des intendants de police Albert Mathieu, Eugène Panneboeuf et du directeur des Renseignements Généraux, Joseph Bordas, fait comparaître des hauts fonctionnaires qui ont joué un rôle essentiel dans la politique répressive de Vichy et des occupants. Il montre le système de défense de responsables administratifs de haut rang. Au cours des débats qui se déroulent sur une semaine du 12 au 19 février 1945, les accusés développent deux types d'arguments : ils ont obéi aux ordres – car, selon la formule d'Eugène Panneboeuf, s'ils n'étaient pas des lampistes, ils n'étaient pas non plus le chef de gare et ils ont aidé la Résistance. Leur assurance leur permet de mettre en difficulté les témoins de l'accusation que ce soient les préfets Maljean, Barraud et Feschotte, (voir album) sur lesquels ils rejettent la responsabilité des décisions les plus lourdes, ou les résistants qu'ils soumettent à un interrogatoire serré afin de discréditer leur témoignage lorsqu'il est à charge (voir album). Leur attitude fut suffisamment ambigüe pour que les avocats de la défense essaient de faire des accusés des quasi-résistants.

Dans son réquisitoire, le commissaire du gouvernement, M. Dubost, pose bien le problème de la responsabilité de hauts fonctionnaires qui, de leur bureau, ont participé à la répression des mouvements de Résistance. Panneboeuf, qui s'est sali les mains, lui inspire plus d'estime que Mathieu, qui essaie d'accréditer la thèse du double jeu : « Tout le monde ne pouvait pas se trouver à Londres ou à Alger. C'est aux postes de commande de Vichy que l'on pouvait noyauter les Allemands, les combattre. C'est ce que j'ai fait car j'étais résistant et non pas à la manière de ceux qui, ayant sollicité naguère la Francisque, la cachent aujourd'hui que le vent a tourné. »

Le jury suit les réquisitions du commissaire du gouvernement et condamne à mort les deux principaux accusés. Ceux-ci se pourvoient en cassation sans succès. Le 14 mars 1945, La France annonce que les condamnés n'ont plus qu'à solliciter la grâce du général de Gaulle. Le 14 avril, La France confirme que Mathieu et Panneboeuf, graciés par le chef du gouvernement provisoire, ne seront pas exécutés mais devront effectuer une peine de travaux forcés à perpétuité. Le quotidien gaulliste interprète cette grâce comme un infléchissement de la politique du gouvernement : « De renseignements recueillis de bonne source, il semble que le gouvernement provisoire de la République ait obéi, en matière de grâce, à ce principe que seul le crime direct serait à l'avenir sanctionné par la peine de mort. » Ce qui confirmerait le sentiment populaire que le lampiste a plus de risque d'être exécuté que le chef de gare.


Auteur : Sylvie Orsoni

Sources :

Robert Mencherini, Vichy en Provence. Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3. Paris, Syllepse, 2011.

Robert Mencherini, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.

Archives départementales des Bouches-du-Rhône :

La France de Marseille et du Sud-Est, PHI  417/1, 13, 14, 16,17, 20 février, 14 mars, 12 avril 1945

Le Provençal, PHI 420/1, 20 février 1945

Le Soir, PHI 419/1, 11-12 février 1945 

Dernière Heure, PHI 415/ 1, 17 février 1945.