Pierre commémorative au cimetière de La Broque (Bas-Rhin)

Légende :

Ce monument a été inauguré par le comité de l'Amicale des anciens déportés politiques des camps de Schirmeck et du Struthof-Natzweiler le dimanche 4 octobre 1953 en mémoire des 44 détenus du camp de sûreté de Schirmeck qui reposent dans le cimetière de la commune de La Broque.

Dans l'album lié à cette notice figurent les deux plaques situées derrière ce monument.

Genre : Image

Type : Monument

Source : © Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : 5 mars 2012

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Bas-Rhin - La Broque

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Contexte historique

Les recherches de crimes de guerre réalisées dans l’immédiat après-guerre par le ministère de la Justice aboutissent, en août 1946, à l’établissement d’une liste de 78 personnes décédées au camp de Schirmeck. Cette liste est précédée de la mention: « Le seul indice officiel des causes de décès révèle manifestement que les victimes sont mortes dans tous les cas des suites de mauvais traitements et privations ». Elle est complétée par la découverte de 33 autres décès, soit une nouvelle liste de 111 personnes décédées au camp, ou peu de temps après leur libération, permettant une analyse partielle de la mortalité à Schirmeck.

Les limites de ce travail sont claires. Le nombre réel des personnes décédées, certainement supérieur, ne peut être qu'estimé. Les causes de leur mort restent souvent inconnues. La volonté des nazis de masquer leurs crimes étant à l'œuvre au camp de Schirmeck comme ailleurs, les causes officielles du décès des 78 détenus concernés sont tronquées: faiblesses cardiaque et circulatoire sont évoquées près de quatre fois sur dix, d'autres causes n'étant citées qu'isolément comme tuberculose, pneumonie, pleurésie, scarlatine, et même cirrhose. Sept exécutions, dont six à la suite de tentatives d'évasion et quatre « suicides » par pendaison sont mentionnés. Certaines exécutions sont donc volontairement occultées. En 1967, le journaliste Jacques Granier donne plusieurs exemples d'exécutions sommaires, entre mars et août 1944, parfois dans la camionnette de Giegling, chauffeur et « homme à tout faire » du commandant du camp, Buck: « A chaque fois, Giegling se charge discrètement de ces transports macabres et véhicule les cadavres au Struthof en vue de leur incinération... moyen commode pour Bück de faire disparaître les traces de ses crimes ». 

Quelques données chiffrées nous permettent une première approche de cette centaine de personnes officiellement décédées à Schirmeck. Deux tiers d'entre elles ont moins de quarante ans, une sur cinq a moins de vingt ans, la fourchette d'âge allant de seize à 67 ans. 61 d'entre eux sont Alsaciens-Mosellans, neuf viennent d'autres régions françaises et 30 sont de six nationalités différentes dont les plus représentées sont les Polonais (quinze personnes) et les Allemands (six personnes). 10% sont des femmes, neuf Alsaciennes-Mosellanes et une Luxembourgeoise. La grande majorité est déclarée comme employés, ouvriers et paysans. L'année la plus meurtrière est 1944, avec 47 morts soit presque autant que toutes les autres années réunies. Le cas des Polonais est cependant différent, près des deux tiers mourant entre décembre 1941 et 1942. Le Dictionnaire des fusillés évoque, par exemple, le cas de six d'entre eux, « choisis » à l'infirmerie du camp à l'automne 1942 par le docteur M. Blancke du Struthof et disparus le lendemain dans la camionnette évoquée plus haut...

La lecture de dizaines de témoignages révèle les circonstances de certains décès. Les morts violentes sont  beaucoup plus nombreuses que les sources officielles ne l'annoncent. Aux deux exécutions mentionnées sur la liste des 111 détenus décédés, celle de Ceslav Sieradski, jeune résistant de la Main Noire, battu à mort le 12 décembre 1941, celle de Joseph Boehler, un des rares déportés NN interné à Schirmeck, le 5 septembre 1944, s'en ajoutent bien d'autres, ainsi celle de Marcel Fath le 19 avril 1944, décrite par sa mère lors de la campagne de témoignages lancée en janvier 1946, celle d'Antoine Becker, entre Schirmeck et Struthof, le 7 aout 1944, décrite par Jean Granier, celles encore, signalées dans le Dictionnaire des fusillés, de Julien Marco, de Kaymann, pendant son transfert au Struthof, des deux frères Emile et François Sowa ... Il en est de même pour les personnes tuées, au cours d'évasions réelles ou supposées, avec une brutalité illustrée par l'exemple de Paul Malaisé et Auguste Bernard: évadés de leur Kommando de travail de Wackenbach, repris à Fréconrupt, ils sont « abattus à mi-chemin du camp à coups de revolver ». Evoqué dans ce même article, le « suicide » par pendaison d'Auguste Schmitt, mis au Bunker la veille de sa libération pour le vol d'une pomme de terre et retrouvé pendu. Enfin, sont signalés plusieurs détenus décédés des suites de leur blessures. Ainsi Arnaud Baratchart, blessé grièvement lors d'un combat dans les Vosges le 17 août 1944, mort le même jour à Schirmeck, ou Etienne Muty, blessé lors de son travail au Kommando des carrières de Hersbach, mort le 17 mars 1944, faute de soins ou encore, Valérien Kulesinski, Léon Zehnacker, le 12 juin 1942, Joseph Schmidlin (Dictionnaire des fusillés) décédés suite aux coups reçus au camp.

La plupart des décès est liée à l'épuisement du fait des privations et du travail, ainsi celui de Joseph Herr, mort le 13 juin 1942 aux carrières de Hersbach. Un autre cas révèle la brutalité de l'entrée des internés dans ce camp. Adrien Frechard, tisserand de 18 ans, débarque de Rombach-le-Franc (Haut-Rhin) pour avoir entonné des chansons françaises. Interné début mars 1943, il ne survit pas aux six semaines de cachot réglementaire et décède le 6 avril 1943. Cet épuisement favorise de nombreuses maladies. Le cas le plus documenté est celui de Pierre Ludaescher, mort avant ses 18 ans le 25 décembre 1942, après sept mois d'internement immédiatement suivis de cinq mois de soins à l'hôpital de Mulhouse. Sa mère, Yvonne Ludaescher, également internée, détaille, dans la collecte de témoignages de décembre 1953, les mauvais traitements et maladies ayant entrainé la mort de son fils. Certains décès, concernant souvent de tout jeunes gens, sont trop rapides pour n'être pas suspects. Ainsi Charles Linck, mort le 16 mars 1944 après sept semaines d'internement ou Jules Parmentier, le 22 mars 1944, après deux mois d'internement. Les exemples de Marthe Haller, décédée le 29 mars 1944 à l'hôpital de Mulhouse, le lendemain de sa libération, celui d'Anne Claude, morte le 3 décembre 1943, trois jours après sa libération prouvent aussi la volonté de Buck de masquer la réalité. Neuf personnes, sur 100 cas étudiés, meurent peu de temps après leur libération des suites de mauvais traitements et privations.

La mortalité à Schirmeck, aussi caractéristique de la barbarie nazie soit-elle, ne représente qu'un très faible pourcentage de la masse des internés, sans comparaison possible avec les quelque 50% de déportés résistants décédés dans les camps de concentration. Une histoire détaillée du camp de Schirmeck reste à faire qui permettra notamment d'approfondir les drames individuels et familiaux mais aussi le courage de ces résistants souvent méconnus...


Marie-Claire Allorent, "Mourir au camp de sûreté de Schirmeck" in DVD-ROM La Résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance - AERI, 2016.