Avenue Robert-Schuman, Mulhouse (Haut-Rhin)

Légende :

Nom de rue de Mulhouse attribué à Robert Schuman par un arrêté municipal du 23 mai 1966.

Genre : Image

Type : Nom de rue

Producteur : Bertrand Merle

Source : © collection Bertrand Merle / aéria Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique en couleur

Date document : Janvier 2017

Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Haut-Rhin - Mulhouse

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Analyse média

Voie dénommée avenue Robert-Schuman par un arrêté municipal du 23 mai 1966. Elle est longue de près de 3 km et conduit de l’entrée de la ville, depuis le carrefour D430 / bretelle d’accès à l’autoroute A36, jusqu’à l’avenue de Colmar (D66). Elle est parallèle, jusqu’à la rencontre de la rue du Capitaine-Alfred-Dreyfus, à la ligne de tram n°2. En entrant en ville, elle est décorée d’une installation de colonnes de Buren, longe le complexe cinématographique Kinépolis puis les nouveaux immeubles d’habitation situés sur l’ancienne place du 14-Juillet à gauche, et à droite, des bâtiments industriels (Superba) ainsi que la salle de la Milhüsina, une association culturelle et sportive. Après le croisement avec la rue du Capitaine-Alfred-Dreyfus (Mulhouse 1859 - Paris 1935), l’avenue remplace l’ancienne rue de l’Espérance (traduction de Hoffnungstross sur la plaque bilingue) où sont situés la… maison d’arrêt, mais aussi les tribunaux d’instance et de grande instance. Elle longe enfin un complexe immobilier construit sur l’ancien emplacement industriel de la Dentsche, le centre commercial de la porte Jeune, le square de la Justice et des immeubles anciens.

La plaque de rue ne propose pas de donnée biographique.


Berntrand Merle

Sources
Les rues de Mulhouse. Histoire et patrimoine. Conseil consultatif du patrimoine mulhousien et avec le concours de la Société d’histoire et de géographie de Mulhouse. Editions JM 2007 et JM 2009 actualisées et enrichies.

Contexte historique

En 1942 dans l’Alsace annexée de fait, Mulhouse a successivement accueilli deux célèbres évadés, le général Henri Giraud (1879-1949) les 19 et 20 avril, puis le ministre Robert Schuman (1886-1963) le samedi 1er et dimanche 2 août, tous deux détenus en Allemagne. Giraud incarcéré dans la forteresse de Koenigstein (Saxe) près de Dresde, a dû traverser tout le pays sur près de 660 km avant d’entrer en Alsace par Strasbourg. Schuman, en résidence surveillée à Neustadt, commune viticole de l’actuel Land de Rhénanie-Palatinat située à une cinquantaine de kilomètres au nord de la frontière franco-allemande, est entré en Alsace à Lauterbourg (Bas-Rhin) où mène une ligne de chemin de fer au départ de Strasbourg.

A deux reprises, la résistance régionale a été au cœur des opérations et a réussi à faire passer deux illustres prisonniers. Giraud avec le réseau alsacien Martial et les services spéciaux français par le Sundgau et une filière menant à la ferme des Ebourbettes (Oberlarg dans le Haut-Rhin) à quelques mètres de la frontière franco-suisse; Schuman via une opération dans laquelle son carnet d’adresses alsaciennes a joué le rôle principal. Le plan d’évasion de Robert Schuman est connu par deux des protagonistes, le banquier René Schlagdenhaufen et le magistrat Paul Kleffer qui ont laissé des notes rédigées peu après la fin de la guerre. Paul Kleffer, ancien membre du cabinet de Schuman, est un de ses visiteurs réguliers à Neustadt tout comme Henri Eschbach, ancien président du tribunal administratif d’Alsace-Moselle, ou encore Albert Holveck, enseignant, frère du préfet Robert Holveck en poste à Poitiers.

Robert Schuman, député de la Moselle de 1919 à 1939 est sous-secrétaire d’Etat pour les Réfugiés de mars 1940 (gouvernement Reynaud) à juillet (gouvernement Pétain) où il est en contact avec des déplacés d’Alsace et de Moselle, notamment en Haute-Vienne. Les Allemands l’arrêtent à Metz le 14 septembre 1940 où il est incarcéré avant d’être envoyé à Neustadt (Allemagne) en résidence surveillée le 13 avril 1941.
Robert Schuman a de très nombreux contacts en Alsace notamment à Strasbourg, Saverne, Haguenau et Colmar. Au fil des semaines, cinq plans d’évasion sont tour à tour échafaudés.

Dès l’automne 1941, un premier projet d’évasion doit permettre à Robert Schuman de traverser la frontière entre Moyen-Vic (Moselle) et Arrecourt (Meurthe-et-Moselle). Un passage fréquemment utilisé par les prisonniers de guerre évadés. Mais une zone qu’il doit parcourir à découvert est estimée trop dangereuse et oblige à passer uniquement de nuit. Projet abandonné.
A la même période, un passage de frontière avec de faux documents d’identité procurés par Eugène Masseran en poste à Saverne dans l’administration allemande est jugé trop aléatoire: la silhouette de Robert Schuman est trop connue et sa haute taille trop repérable le long de la frontière Lorraine.
Le troisième plan reprend encore une fois un itinéraire utilisé par les prisonniers de guerre évadés. Le Savernois Théo Gerhards en est l’un des concepteurs. Robert Schuman devait prendre place en gare de Réding (Moselle) dans un wagon plombé avec la complicité d’employés du chemin de fer, soit en octobre 1941, soit en avril 1942. Un officier évadé devait effectuer le voyage en sa compagnie. Robert Schuman a hésité avant de récuser ce projet.
Le 4e plan a failli être le bon, mais les événements en ont décidé autrement. La date choisie n’est pas clairement établie… Pour René Schlagdenhaufen, l’action se situe le 20 avril 1942, au moment où Giraud quitte Mulhouse. Pour Paul Kleffer, cette tentative se situe le 27 mai, le jour où le SS Reinahrd Heydrich, gouverneur de Bohème-Moravie, a été mortellement blessé à Prague.

Si les dates diffèrent, les scénarios demeurent identiques. Ils se situent dans une période où les services allemands sont sur les dents et la Résistance alsacienne, très surveillée, en passe d’être démantelée. La belle sœur du préfet Robert Holveck était en contact avec René Schlagdenhaufen et Mado Gotard, une jeune femme de Mertzwiller (67), tous deux actifs dans des filières d’évasions. Robert Schuman devait arriver en gare de Strasbourg dans la soirée. Mais en raison des événements, il ne quitta pas Neustadt. René Schlagdenhaufen, Mado Gotard et Paul Kleffer, lequel les rencontra pour la première fois à cette occasion, l’attendirent en vain place de la gare à Strasbourg. Prudemment, Robert Schuman avait décidé de rester à Neustadt.

Un peu plus tard, Robert Schuman, qui connaît le sérieux travail des filières d’évasion alsaciennes, demande à rencontrer René Schlagdenhaufen ainsi qu’Octave Landwerlin, employé chez l’éditeur Alsatia, venu de Haguenau où il est en contact avec des membres de la famille Holveck, le réseau d’évasion « tante Jeanne » et la famille Fischer au Rehtal dans les Vosges du nord.
La réunion se tient fin juin (la date précise est difficile à établir) à Strasbourg en présence du ministre chez Henri Eschbach, rue Fischart. Les deux hommes se connaissent depuis les années 20. Tour à tour, Landwerlin puis Schlagdenhaufen exposent leur plan d’évasion. Landwerlin décrit l’itinéraire par Haguenau (où passe la ligne de chemin de fer Wissembourg - Strasbourg) jusqu’au Rehtal puis la forêt d’Abreschviller, Cirey-sur-Vezouse, Nancy et précise qu’il accompagnera lui-même Schuman. Schlagdenhaufen prend ensuite le relais et décrit un itinéraire par Strasbourg, Colmar, Mulhouse, la vallée de Masevaux. Ce dernier plan est choisi malgré l’incertitude qui plane sur la solidité de la chaîne d’évasion à partir de Belfort après les arrestations en Alsace de membres du réseau de Charles Bareiss en mai 1942 et notamment celle d’Emile Cremer, directeur d’Alsthom.

Samedi 1er août 1942, Robert Schuman quitte Neustatd, se rend à Landau et entre en Alsace à Lauterbourg où il prend le train pour Strasbourg. La ligne est moins surveillée que celle de Wissembourg. Après une courte halte à Colmar (68) où l’attend Henri Eschbach qui possède une maison à Ingersheim, une commune voisine, il se rend avec ce dernier au chevet d’un ami mourant, Paul Thiriet, professeur d’anglais, connu dès 1910. Dans ses mémoires, Marie Joseph Bopp (Ma ville à l’heure nazie) assure avoir croisé Schuman à Colmar ce jour-là. Robert Schuman arrive à Mulhouse en début de soirée où l’attend Raymond Anselme, un belfortain établi à Mulhouse, employé à la SACM (Société alsacienne de construction mécanique). Signes de reconnaissance: le contact tient une raquette de tennis à la main, Schuman pour sa part devant toucher son chapeau après avoir posé sa valise au sol. Le lendemain, dimanche 2 août, ce sont deux touristes qui prennent le petit train jusqu’à Dolleren au fond de la vallée de Masevaux. Sacs tyroliens sur le dos, ils grimpent à la Fennematt, rencontrent deux gardes frontière allemands qui ne sont pas étonnés de croiser des randonneurs. La frontière est passée sans encombre. A Rougemont (90), Mme Anselme qui demeurait à Belfort, accueille les deux voyageurs. Elle remet à Robert Schuman un faux passeport au nom de Robert Durenne (du nom de sa mère, Eugénie Duren) qui indique « professeur » comme profession. Pendant ce temps, Mme Eschbach se rend à Fribourg-en-Brisgau (pays de Bade) où elle poste un leurre, une lettre dans laquelle le fugitif écrit à son logeur de Neustadt de ne pas s’inquiéter et qu’il sera de retour d’ici quelques jours. Robert Schuman entame alors un voyage solitaire, puisque la chaîne d’évasion est effectivement rompue, au cours duquel il déjoue une descente de la Gestapo dans son hôtel d’Arc-et-Senans (Doubs). « Laissons le vieux professeur tranquille » dit un policier. Il arrive à Poitiers chez le préfet Robert Holveck, son ancien chef de cabinet, le 6 août. Ce dernier le cache au couvent de Liguré et assure ensuite le passage en zone libre. Le 14 il est à Lyon.

C’en est trop pour les Allemands. Les évasions se succèdent: celles des jeunes alsaciens, celle du général Giraud, celle de Robert Schuman: il faut agir. Le 15 septembre, le Gauleiter d’Alsace Robert Wagner prend un décret qui va délimiter une zone interdite (« Sperrbezirk ») de 3 km le long de la frontière. Les arrestations se multiplient y compris à Neustatd, par exemple le Dr Stamm, un Lorrain, chirurgien à Saverne qui avait été affecté à l’hôpital local par mesure disciplinaire. La plupart des protagonistes de ce récit et d’autres personnes non citées, sont arrêtés, jugés pour différentes affaires, condamnés, certains sont exécutés comme les Thannois René Ortlieb et l’abbé Joseph Stamm (le 17 avril 1945 en déportation à Kehl - pays de Bade) après l’évasion de Giraud ou Théo Gerhards (exécuté à Halle le 29 octobre 1943). René Schlagdenhaufen est arrêté le 7 août 1942, Mado Gotard quelques jours plus tard, la famille Fischer au Rehtal en mars 1943, Robert Holveck en 1944, Paul Kleffer a été plusieurs fois interrogé. Quant à Octave Landwerlin, il s’enfuit d’Alsace le 23 juin 1943 par le Rehtal, rejoint les maquis de Haute-Savoie et rentre au pays comme officier de la brigade indépendante Alsace-Lorraine (une rue est à son nom à Ostwald - 67).

Robert Schuman poursuit après guerre une brillante carrière politique. Il est tour à tour ministre des Réfugiés, des Finances, des Affaires étrangères puis Garde des Sceaux, président du Conseil, œuvre à la construction de l’Europe avec Jean Monnet puis devient président de l’assemblée parlementaire européenne (1958-1960).


Bertrand Merle

Bibliographie

- « L’évasion de Robert Schuman: de Lauterbourg à la ferme de la Fennematt (1942) ». Bertrand Merle. DVDrom de l’AERIA La résistance des Alsaciens. Sous la direction d’Eric Le Normand. AERI 2016.
- ADBR 153 J 17. Témoignages de René Schlagdenhaufen et de Paul Kleffer.
- « Comment Robert Schuman s’évada d’Allemagne en 1942 grâce à d’éminents passeurs alsaciens ». Journal d’Alsace 29 avril 1949.