Légende :
Extrait spécifiant le motif de la condamnation.
Genre : Image
Type : Registre d’écrous
Source : © Archives départementales du Lot-et-Garonne, série 940W Droits réservés
Détails techniques :
Extrait d’un registre d’écrou. Dimensions du registre entier : 49 x 34 cm.
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Les registres se présentent de façon chronologique, dans l’ordre des mises sous écrou. Chaque détenu fait l'objet d'une notice organisée en huit colonnes, s'étendant sur une double page. Parmi les éléments composant la notice figure notamment un extrait du jugement en vertu duquel il a été écroué et qui précise le motif de la condamnation.
Le motif de condamnation indiqué sur les registres d’écrou laisse apparaître une nette domination de ceux ayant trait à une activité communiste, à savoir : « activité communiste », « tracts communistes », « propagande communiste », « infraction au décret-loi du 29 septembre 1939 » et présomption de la même infraction ; ils concernent 880 détenus et 57% du total des politiques d’Eysses. Pour simplifier, nous entendrons désormais par « communiste » une personne ayant été arrêtée pour une activité dans les diverses organisations de Résistance liées au Parti communiste. Ce pourcentage sous-estime sans doute le poids réel des « communistes ». En effet, un certain nombre de résistants engagés dans les organisations de cette mouvance sont inculpés d’activité terroriste ou d’attentat par exemple. Ainsi, l’état numérique des condamnés politiques dressé par l’Inspecteur général le 19 mars 1944 fait-il mention de 65,2% de communistes.
Le second motif de condamnation reste la détention d’armes et d’explosifs qui touche 24,4% de la cohorte, soit trois cent quatre vingt détenus. Les résistants armés sont donc nombreux même si seulement un peu plus de 4% sont inculpés pour attentats, assassinat et blessures à force de l’ordre, c’est-à-dire pour acte de résistance armée proprement dite. L’Inspecteur général sous-estime sans doute leur poids en mars 1944 en enlevant du corpus tous les détenus pouvant être classés comme « communistes » ou « subversifs ». Seuls demeurent dans cette catégorie, les condamnés pour lesquels aucun motif d’inculpation supplémentaire n’a pu être établi, soit 12,3%. La relation appartenance résistante/forme d’action fait apparaître une surreprésentation des résistants communistes dans la lutte armée, même si tous les jeunes des maquis qu’ils soient « gaullistes » (AS) ou FTP, quels que soient leur condition et horizon mental, aspiraient à être armés dans leur situation de combat.
La catégorie « subversifs » arrive en troisième position avec 20%. On range dans cette catégorie toutes les actions qui ne sont pas perçues clairement comme se rattachant à un organisme de la mouvance communiste. En effet, d’après l’ensemble des sources, on peut établir une corrélation entre les adjectifs « antinational » et « subversif » et organisation non communiste. Par contre, l’adjectif « terroriste » touche indifféremment tout type de mouvement ; c’est le cas dans une moindre mesure du motif « infraction à la loi du 5 juin 1943 » même s’il concerne davantage les non « communistes ». L’emploi de ces termes peut s’expliquer par le fait que les organisations de résistance non communistes demeurent longtemps plus mal connues par les services de police. Parmi les non communistes, on trouve par ordre décroissant les motifs de condamnation suivants : « activité ou manifestation antinationale » qui renvoie plutôt aux réseaux et mouvements gaullistes ou alliés, « tracts subversifs » ou activité subversive, « atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » qui concerne essentiellement les activités de renseignements effectuées par les réseaux. Les « tracts » sans autre précision peuvent être classés sans grand risque d’erreur dans la rubrique « tracts autres que communistes » car les Renseignements généraux étaient trop bien renseignés sur la propagande communiste pour ne pas les identifier. Par contre, les tracts d’inspiration étrangère désignent aussi bien des tracts du mouvement Combat ou de divers réseaux de renseignements que des tracts d’une organisation communiste espagnole.
Un certain nombre d’appellations ne concernent plus la nature de l’acte mais une forme d’action : organisation ou action armée. Dans la première rubrique on peut classer, outre les tracts divers déjà évoqués, les vols divers (de cartes d’alimentation, denrées, papiers administratifs) indiqués « vols but terroriste » qui représentent 7,7% du corpus, l’hébergement de terroristes : « recel de malfaiteurs » (1,8%). Les réfractaires du STO sont difficiles à classer ; représentant 1% de l’ensemble au cours de la période, mais il est fort possible qu’un certain nombre de réfractaires ayant rejoint les maquis ont été condamnés en même temps pour « port d’armes » ou « vols dans un but terroriste », voire activité communiste, et n’aient pas été comptabilisés dans cette catégorie. Le motif « infraction au STO » ou loi du 6 février 1943 est pourtant clairement indiquée dans les registres d’écrou.
D'après Corinne
Jaladieu, Les centrales sous le
gouvernement de Vichy : Eysses, Rennes, 1940-1944, thèse de doctorat,
Histoire, Rennes 2, 2004
Sources : Archives départementales du Lot-et-Garonne, série 940W.
Entre motif de condamnation et appartenance réelle, pistes d’explications
Le motif officiel de condamnation ne correspond qu’à l’image renvoyée et construite par la Justice. Le poids des condamnations diverses se rattachant à la Résistance dite « communiste » ne reflète pas toujours l’appartenance réelle ; les autorités répressives, obnubilées par le danger communiste ont tendance à identifier tout suspect à un communiste, ce qui grossit artificiellement leur poids. Nous avons relevé quelques cas de résistants militant en fait à Libération voire Combat.
Le poids de la mouvance communiste s’explique également l’arsenal répressif très important et une vigilance particulièrement forte de la part des autorités de Vichy puis de l’occupant. Denis Peschanski montre en effet que les communistes sont les premiers visés par la répression politique et la police française n’est pas aux avant-garde du combat contre la Résistance non communiste : « La police de sûreté, hormis Paris, aurait opéré entre le 1er mai 1942 et le 1er mai 1943, 12549 arrestations (dont 4817 internements administratifs) ; 7237 l’ont été en zone sud et 5212 en zone nord ; il y a 8481 « communistes » soit 67,5% et 2137 « gaullistes » soit 17,2% ». Nous ne sommes pas loin des proportions relevées pour la centrale d’Eysses !
Les motifs de condamnation sont loin de refléter l’itinéraire de résistance réel du condamné. Que nous apportent les sources complémentaires concernant la date et la forme de l’engagement dans la Résistance ? Nous connaissons l’appartenance résistante pour un échantillon qui représente le tiers des détenus politiques d’Eysses. Elle ne donne pourtant qu’une idée approximative de l’engagement réel. Outre la possible surreprésentation de groupes pour lesquels la mémoire communautaire a facilité la connaissance, les sources privilégient le motif d’arrestation ou d’homologation et la multi appartenance s’en trouve ainsi occultée. Il convient donc d’appréhender ces résultats avec précaution. Au sein de ce groupe, les trois-quarts sont engagés dans des mouvements liés au PC : le parti, les JC, les Comités populaires d’usine, le Front national, les FTP et FTP-MOI.
Au sein de la résistance communiste, la répartition, d’après les indications fournies (dossiers d’homologation et questionnaires biographiques), s’établit comme suit : 55,5% militent au PC clandestin, 9,3% aux JC, 12% au Front national, 20% dans les FTP, 2,2% dans une organisation communiste espagnole. Mais, très souvent, le résistant privilégie le parti au détriment des organismes spécifiques ou de sa mouvance.
La date d’entrée dans la résistance communiste est connue pour 180 d’entre eux, l’année de plus fort engagement est 1940 avec 37% des engagements, suivie de 1941 : 25,5%. 18 % ont continué à militer dès 1939 au sein du parti interdit. L’année 1942 correspond à 15,5% des engagements, contre seulement 4,5% en 1943, mais ce faible pourcentage s’explique par la présence en centrale de résistants arrêtés au plus tard, étant donné les délais du jugement, durant le premier semestre 1943.
Le militantisme au sein des organismes de la résistance communiste ne signifie pas, bien entendu, une adhésion formelle à ce parti. Le pas de l’adhésion est parfois franchi dans les prisons devenues des centres de prosélytisme, comme ce fut le cas à Eysses. Nous en connaissons plusieurs dizaines d’exemples : beaucoup de jeunes pour lesquels la guerre marque un premier engagement, comme Jacques Damiani, mais aussi des personnes venant d’autres horizons, de gauche, comme Hervé Fusté membre de la JOC avant guerre, ou éloignés, comme Alain du Perier de Larsan issu d’une famille noble anticommuniste, ou Georges Arjeliès venu de Combat.
Les mouvements et réseaux gaullistes regroupent respectivement 20,6% et 3,6% de l’ensemble des résistants d’Eysses. Parmi les mouvements gaullistes, Combat est le plus représenté : 4,2% au minimum, suivi de Libération avec environ 3% et Franc-Tireur 2 %. On retrouve là, sans surprise, les principaux mouvements de zone sud. Les maquis de l’Armée secrète regroupent 5,7% des prisonniers. Il n’est pas facile de préciser leur appartenance réelle.
Le croisement de la liste des membres de Libération-sud donnée par Laurent Douzou et la liste des prisonniers d’Eysses, donne une liste de quarante personnes. Parmi eux, Fraysse Pierre adjoint départemental du Var, Raymond Hégo, Bernard Wolf, Pierre Hespel, Maurice Lepoutre, Paul Lepoutre, Roger Morandat, agents de liaison du centre, Isidore Hercberg, chef national des services de liaison, Paul Pioda, puis Marcel Cochet, chef départemental pour l’Ain, Paul Rieupeyroux, chef départemental du Tarn. Marcel Cochet est un de ces responsables départementaux de Libération qui mettra son expérience au service de l’organisation clandestine de la centrale d’Eysses. Moniteur d’éducation physique au lycée de Bourg, il est recruté pour le mouvement Libération par son frère en 1941. Après l’arrestation de Paul Piodat, il devint responsable départemental pour l’Ain, entre janvier et juin 1943, date à laquelle il est arrêté par la police française suite à une série d’attentats par bombes contre des collaborateurs. Condamné à six ans de réclusion pour tracts subversifs, par la section spéciale de Lyon, il arrive à Eysses le 9 décembre 1943 en provenance de la prison St Paul. Le même croisement avec le tableau des militants de Franc-Tireur fourni par D. Veillon donne une liste de huit membres, complétée par d’autres sources.
Beaucoup appartiennent à divers mouvements locaux, qui, tout en ayant leur organisation propre, travaillent à la diffusion de la presse des grands mouvements de Résistance. C’est le cas du groupe du « 17ème Barreau », organisé à Limoges dont plusieurs membres, comme Georges Lapeyre ou Henri Colombeau, sont incarcérés à Eysses.
Quant au type d’activité des résistants d’Eysses, par souci de clarté, nous avons privilégié la ou les fonctions les plus souvent occupées. La plupart des condamnés occupaient une activité de propagande : 57%, la lutte armée ou du moins sa préparation dans les maquis n’étant pas négligeable : 22%, suivi du rôle d’agent de liaison (6,5%), de renseignement (2%), alors que seul un peu plus d’1% est inculpé pour avoir participé ou organisé des manifestations.
D'après Corinne Jaladieu, Les centrales sous le gouvernement de Vichy : Eysses, Rennes, 1940-1944, thèse de doctorat, Histoire, Rennes 2, 2004
Autres sources : Laurent Douzou, La désobéissance. Histoire d'un mouvement et d'un journal clandestins Libération-Sud (1940-1944), Paris, Odile Jacob, 1995, 480 pages. Dominique Veillon, Le Franc-Tireur. Un journal clandestin, un mouvement de Résistance, 1940-1944, Paris, Flammarion, 1977. Denis Peschanski, "Exclusion, persécution, répression", in Azéma Jean-Pierre, Bédarida François (dir), avec la coll. de Peschanski Denis et Rousso Henry, Le régime de Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, pp. 209-234.