Genre : Son
Type : Disque
Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses Droits réservés
Détails techniques :
Format d’origine : 33 tours. Durée : 00 :03 :14. Durée totale du 33 tours : face A : 00 :12 :40s - face B : 00 :15 :56s.
Date document : 1962
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Ce disque 33 tours a été réalisé à partir de la bande enregistrée, mise gracieusement à disposition de l’Amicale des anciens d’Eysses, après avoir été diffusée par Europe 1 dans l’émission « La Marche du Siècle ». Les textes sont de Claude Dufresne et le récitant est Julien Bertheau. Les témoignages ont été recueillis à l’occasion d’une cérémonie sur les lieux par Jean-Pierre Chapel.
A Eysses, les détenus politiques sont sur le qui vive, impatients d’agir, mués par une force collective rodée et efficace qui a déjà permis en décembre 1943 de triompher des GMR et des plans de Vichy. Après débat, la direction du Collectif se range derrière le plan proposé par le commandant Bernard : saisir la première occasion pour se rendre maître de la centrale de l’intérieur, puis avertir la résistance extérieure après maîtrise du central téléphonique. L’occasion saisie est la venue d’un inspecteur général dans la prison. La décision d’une inspection de la centrale résulte d’un ordre général de la direction des Services pénitentiaires en date du 29/12/1943 où il est spécifié que la maison centrale d’Eysses doit être inspectée par priorité, après les Trois Glorieuses. Elle fait partie de l’ordre de service de l’inspecteur général Breton (qui n’était pas allé à Eysses depuis 1937) pour la tournée de 1944, et est connue des détenus dès décembre (un message clandestin datant de mi décembre du Comité directeur aux Electriciens fait état « de l’inspection à venir »). Tout laisse à penser que la prise d’otage fait partie du plan initial coordonné avec la résistance extérieure et n‘ait pas été une solution de repli. Mais l’action intérieure doit être désormais d’autant plus efficace que les détenus doivent agir sans appui extérieur. La date exacte de l’inspection n’est connue des détenus qu’au dernier moment peut-être le matin même, et il est probable qu’il y ait eu au dernier une modification de date qui expliquerait que l’action s’engage alors qu’aucune des forces promptes à porter un soutien extérieur aux prisonniers ne soit prévenue à temps du déclenchement imminent de l’action.
Dans cet extrait le narrateur commence par dresser un état de l’armement dont disposent les détenus et explique pourquoi cette insurrection est déclenchée ce jour-là, 19 février 1944. Il raconte l’arrivée de l’inspecteur général dans le préau 1, le signal lancé par un détenu et le déclenchement immédiat des opérations. Cette narration introductive est suivie d’une reconstitution de l’arrivée de Schivo et de ses accompagnants dans le chauffoir du préau 1 et de leurs captures par les résistants.
Auteur : Fabrice Bourrée
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une
ambitieuse tentative d'évasion collective (de mille deux cents détenus
politiques). Ce jour-là, alors qu'un inspecteur général effectuait une visite
dans la centrale, les détenus saisissent
l'occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de
l'établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où
ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis
plusieurs semaines par l'état-major clandestin des détenus, consistait à
s'emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre
14h, heure de la capture de l'inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h,
les détenus progressent, en silence, jusqu'au bâtiment administratif, capturant
et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée.
Cependant, l'alerte est donnée vers 17 heures par
une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups
de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux
fenêtres des bâtiments d'entrée donnant sur la cour d'honneur et commence à
ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en
particulier d'Espagnols bénéficiant de l'expérience du combat à la faveur de la
guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser
sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l'enceinte
extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent
les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d'autres,
protégés par des matelas, tentent de monter à l'échelle jusqu'au mirador de la
porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un
mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte
un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les
forces de l'ordre.
Vers 21 heures, les troupes d'occupation venues
d'Agen encerclent la centrale, munies de pièces d'artillerie. Vers minuit,
l'état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment
administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la
préfecture, demandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la
qualité des otages qu'ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations
avec la préfecture afin d'obtenir une reddition acceptable. On libère alors le
directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l'objet et
relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de
signaler que tous les témoins insistent sur l'attitude particulièrement veule
du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes
sortes d'attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d'officier
français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un
ultimatum donnant aux révoltés un quart d'heure pour se rendre sans condition,
faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l'intermédiaire
du directeur, un délai d'une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les
armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de
papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d'officier qu'il n'y
aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des
combats se solderait par un échec, les détenus libèrent les otages, abandonnent
leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs
dortoirs : il est environ quatre heures du matin.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.