Légende :
Article paru dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné (non daté), rubrique « Notre vie » (en haut au droite de la page).
Genre : Image
Type : Presse clandestine
Source : © Musée d’Histoire vivante, Montreuil Droits réservés
Détails techniques :
Dimensions de la feuille clandestine : 25,7 x 20 cm. Dimensions de l’article : 10,5 x 5 cm.
Date document : Fin 1943
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Article paru dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné (non daté), rubrique « Notre vie » (en haut à droite de la page) et dont le titre est « 11 novembre à la centrale ». Il fait référence à une manifestation patriotique qui s’est déroulée au sein de la centrale le 11 novembre 1943 et surtout à la « libération » de Lucien Bourdeau.
Outre l’évocation de la manifestation patriotique organisée au sein de la centrale à l’occasion de l’anniversaire de la victoire de 1918, l’article évoque la première victoire collective des détenus politiques d’Eysses face à la direction de l’établissement pénitentiaire. En effet, ce 11 novembre 1943, les détenus refusent de quitter le réfectoire et réclament la mutation du jeune Bourdeau parmi eux. Après l’arrestation de son père et sa condamnation à mort en août 1942, Lucien Bourdeau décide de prendre sa place et de continuer la lutte. Il est alors à peine âgé de 14 ans. Arrêté lors d’une distribution de tracts, il est condamné et incarcéré à Eysses. Vu son jeune âge, il est placé au quartier des pupilles. Les responsables du collectif des détenus politiques refusent cette situation considérant que Bourdeau doit être incarcéré avec les politiques et non avec les pupilles. Le 11 novembre 1943, les détenus refusent donc de quitter le réfectoire. Leurs deux délégués, Stéphane Fuchs et Henri Auzias, se font les porte-paroles de la revendication collective auprès du directeur, Jean-Baptiste Lassalle. Sachant que les détenus ne cèderont pas, Lassalle décide de leur donner satisfaction et envoie un gardien chercher Lucien Bourdeau qui rejoint ainsi les résistants. Lucien Bourdeau est alors placé à l’infirmerie avec le docteur Paul Weil comme aide-infirmier.
Retranscription :
"11 novembre à la centrale. C'est avec ferveur que nous tous, Patriotes avons célébré cet aniversaire. Tout d'abord en début de matinée, nous avons adressé dans un ordre impressionnant un salut aux couleurs tricolores, suivi d'une éclatante Marseillaise. Depuis notre arrivée et sur nos instances, la direction de la prison nous promettait la mutation parmi nous de notre camarade Bourdeau, jeune emprisonné politique. En ce 11 novembre, nous avons, au réfectoire, manifesté notre mécontentement en refusant unanimement de quitter les lieux tant que notre camarade ne serait pas retiré des pupilles correctionnelle. Grâce à notre action énergique, la direction nous a donné satisfaction et notre jeune ami fut muté. Quelques instants après, accompagné de nos camarades délégués, il vint nous rendre visite. Par notre chaleureuse réception notre jeune camarade put retrouver l'atmosphère de franche, saine et cordiale camaraderie. Il est à présent occupé à l'infirmerie. Qu'il trouve ici toute notre fraternelle amitié qui lui a manqué depuis plus de 20 mois.
Durant la matinée, une manifestation sportive a eu un vif succès. L'après-midi une représentation artistique de choix était donnée dans deux préaux, rassemblant ainsi tous nos patriotes condamnés. Nous adressons des félicitations à nos cuistots, qui, en cet anniversaire, se sont surpassés. Enfin, le soir, tard encore, la bonne humeur régnait. En cet anniversaire, nous avons salué tous les vaillants patriotes tombés et ceux qui ont eu le bonheur en cette grande journée d'intensifier leur action contre le Boche, pour libérer le plus tôt possible notre pays. Bien qu'emprisonnés, nous avons donné à ce 11 novembre un caractère nouveau de lutte pour la libération".
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Amicale des anciens d’Eysses, Eysses contre Vichy 1940-…, Editions Tirésias, 1992.
Parmi les commémorations organisées en prison, la part des manifestations patriotiques est la plus importante. Rappelons qu’elles sont interdites à l’extérieur par les autorités d’occupation et que leurs initiateurs risquent la prison. Dans ce contexte, leur organisation à l’intérieur de l’espace carcéral est chargée de sens politique. Les commémorations du 11 novembre (victoire française contre l’Allemagne) et du 14 juillet (fête nationale) prennent des formes diverses dans les différentes détentions. La journée du 11 novembre est l’occasion de sceller l’union entre des centaines de détenus de tous horizons rassemblés depuis peu. Le programme récréatif mêle divertissements (lecture de poèmes, chorale) et action politique aux accents patriotiques. La Marseillaise ponctue le début et la fin de la cérémonie, ainsi que le salut aux couleurs. Les valeurs affirmées sont le patriotisme, la lutte contre l’occupant pour la conquête de l’indépendance nationale, qui permettent de faire un lien entre la célébration du 11 novembre 1918 et le combat de la Résistance.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.