Barthelmé Pierre

Légende :

Pierre Barthelmé

Genre : Image

Producteur : Francis Barthelmé

Source :

Détails techniques :

Photographie argentique couleur

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Romans-sur-Isère

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Analyse média

Alice Stroh, Pierre Barthelmé habitaient le territoire qui a été annexé par l'Allemagne après la signature de l'armistice de juin 1940. Ils ont donc subi l'occupation par le régime hitlérien. Ils se sont mariés en novembre 1945


Alain Coustaury

Contexte historique

L'intérêt de cette étude réside dans l'histoire d'un « malgré nous », engagé de force dans la Wehrmacht et qui s'est évadé pour rejoindre la France. Après des pérégrinations à travers une bonne partie de l'Europe, il arrive à Romans-sur-Isère. En juillet 1944, avec d'autres Résistants, il monte au Vercors, assiste et participe aux événements du massif.

C'est le récit de ce périple extraordinaire qui est relaté. Résumé de plusieurs articles de la revue locale de Gambsheim, il est accompagné d'une carte qui permet de prendre conscience d'une véritable épopée.

En juin 1940, l'Alsace est annexée au Grand Reich. Dans les territoires annexés, 140 000 jeunes furent contraints de porter l'uniforme de la Wehrmacht. En ce qui concerne la commune de Gambsheim, 60 incorporés de force sont morts.

Pierre Barthelmé est incorporé dans l'armée française en 1937 au 170e régiment d'infanterie à Épinal. Il combat en 1939-40 sur le front de la Sarre puis sur le front de l'Aisne. Après l'armistice, il est libéré le 18 juillet 1940 et rejoint l' Alsace.

En avril 1943, il est incorporé dans la Wehrmacht à Rathenow dans le 208 Panzer Pion. Il participe au déblaiement de Hambourg bombardée par l'aviation alliée. Lors de ces opérations, il est enterré à moitié par le souffle d'une bombe.

Va commencer un long périple à travers l'Europe centrale et orientale. En novembre 1943, Pierre Barthelmé est affecté au Marsch Btl Pion 58 à Teschen (Tchécoslovaquie) ; en décembre c'est le départ pour le front russe via Brest-Litovsk.

Installé dans le village de Kommuna, il participe à des travaux de défense, à une attaque meurtrière dont il réchappe. L'unité se déplace en janvier 1944, arrive à Vitebsk et se trouve sur le front de Nevel. Le 28 janvier 944, c'est à Pskov, le lieu le plus oriental atteint, que Pierre Barthelmé décide avec un camarade, « Godasse », de déserter et d'essayer de rejoindre la France distante de 1750 km en ligne droite ! Équipé de sa veste de camouflage, de son ceinturon avec baïonnette, de deux musettes et d'un béret Pierre Barthelmé monte dans la cabine du serre-frein d'un train de marchandises en partance pour Dunabourg.

Des moments difficiles sont évoqués. À Rositten, avant Dunabourg, Pierre Barthelmé et son compagnon sont interpellés par un officier SS qui leur demande de porter ses valises jusqu'à la gare, ce qu'ils font sans commentaire ! Dans la même gare, ils profitent de la chaleur d'un train de permissionnaires après s'être rasés. Arrivés à Dunabourg, les deux fugitifs se restaurent frugalement. Vilnius est un centre de contrôle et d'épouillage. La rencontre de deux jeunes gens leur permet d'être hébergés dans une vieille caserne où ils peuvent se reposer. Ils échangent leurs uniformes contre des habits civils.

Le 5 février 1944, les fugitifs reprennent la route vers la Prusse orientale. Ils marchent, pendant dix jours à travers la Lithuanie, passent par Kaunas. Ils sont arrêtés par un barrage de police. Ils se font passer pour des ouvriers de travaux publics dont le camion est en panne. Après avoir parcouru 200 km à pied ils sont hébergés par un vieil homme qui a deviné leur situation et qui leur donne des conseils pour passer la frontière. Des Lituaniens qui ne sont ni pour Hitler ni pour Staline les aident pour prendre un train de fonctionnaires moins contrôlé.

Le 18 février, des policiers les interceptent. Les deux hommes jouent aux cheminots pour répondre aux questions des Allemands. (Rappelons que Pierre Barthelmé et son compagnon parlent parfaitement l'allemand).

L'entrée en Prusse orientale a lieu le 18 février par une température de - 20°. Le 19, la rencontre avec des Français, les frères Comet, leur permet de profiter d'un hébergement parmi des Français prisonniers libres. Le séjour, reposant, revigorant, dure une quinzaine de jours. Mais la jalousie de prisonniers les oblige à partir. Entre-temps, Pierre Barthelmé avait réclamé, par lettre, papiers et argent à son oncle de Kistett. Il reçoit une valise avec les objets demandés le 5 mars. La valise est amenée par un certain M. Eugène qui se révèle être Victor Jung, frère du maire de Gambsheim (On peut être surpris de la rapidité de cet envoi à un moment où les transports en Allemagne sont fortement perturbés par les attaques aériennes alliées).

Le 4 mars, à Allenstein, ils sont hébergés par six Français. Le lendemain un contrôle inopiné oblige les deux déserteurs à se cacher sous la scène d'un théâtre.

Le départ pour Strasbourg, sans son camarade « Godasse », a lieu le 6 mars. Vers minuit, le 7 mars, Pierre Barthelmé retrouve l'Alsace. Mais il doit toujours se cacher car il est un déserteur. Fatigué par les péripéties de son évasion, Pierre Barthelmé tombe malade pendant quelques jours. Il faut rappeler que l'Alsace est annexée au Reich. Pierre Barthelmé doit donc passer en zone occupée .

Son passage en France occupée ne se fait pas sans difficulté. Il est aidé par sa fiancée Alice Stroh. La première tentative de passage est un échec. Dans l'attente d'une autre, il se réfugie chez Eugène. Pierre Barthelmé profite du 20 avril 1944, jour anniversaire de Hitler et d'un relâchement de la surveillance, pour passer en France. Il bénéficie de l'aide d'une femme « Mariette » et de « Max » chauffeur de la locomotive du train de scories de haut-fourneau de l'usine de Jœuf en territoire allemand. Grâce à ces aides, il pénètre en France. Il obtient un laissez-passer au nom de Pierre Duprez géomètre, en convalescence, qui se rend à Limoges. Ce document est signé par le responsable allemand pour l'usine de Wendel. Le 21 avril, après avoir débarqué à la gare de l'Est à Paris, il retrouve des connaissances qui le conduisent à la gare de Lyon. Grâce à sa carte permanente pour circuler, il rejoint Limoges où il arrive le 22. Marchant dans la ville, il assiste à un défilé militaire aux hommes en uniforme bleu foncé. À sa grande stupéfaction, il reconnaît leur chant « Les dragons bleus », marche des soldats allemands, chanté avec des paroles françaises. C'est la Milice qui défile. Pierre Barthelmé se rend à des adresses qui lui ont été données, notamment chez Adèle Hommel. Il va séjourner quatre semaines dans ce refuge, période pendant laquelle il se fait établir une fausse carte d'identité par l'intermédiaire du commissaire de police de Limoges. Adèle lui conseille de se réfugier à Romans-sur-Isère où elle a des amis.

 Pierre Barthelmé dans la Drôme.

Le 20 mai, par Montluçon, Lyon, Valence-sur-Rhône, Pierre Barthelmé arrive à Romans-sur-Isère où il est accueilli par monsieur Argence chez qui il séjourne pendant quelques jours, puis chez madame Herrenschmitt.

Cette arrivée à Romans marque la fin d'un périple de plus de 2 000 km. Pierre Barthelmé a réussi une évasion en profitant de sa connaissance de la langue allemande, de circonstances favorables et de nombreuses complicités que ce soit en Allemagne ou en France. Son aventure met en valeur le rôle de personnes qui, au risque de leur vie, ont favorisé le franchissement de frontières, de la ligne de démarcation. Trop souvent, le rôle obscur de ces complicités a été oublié.

Le 26 mai, Pierre Barthelmé a une entrevue avec Octave Taravello qui se propose de l'héberger et de lui donner du travail. Le 27, il s'installe dans les dépendances de l'usine, instruit de la situation, conseillé par un réfugié lorrain, Godefrin, et Magnat directeur du personnel.

Le 2 juin, Pierre Barthelmé se rend au commissariat pour se mettre en règle. À partir de cette période, Pierre Barthelmé participe activement à des actions de Résistance. Dans l'atelier Taravello, on fabrique des sacs tyroliens, des étuis à chargeurs pour la Résistance du Vercors. Fin juin, il aide au ramassage des conteneurs parachutés dans la région de Saint-Donat-sur-l'Herbasse. Le 11 juillet, c'est la montée au Vercors avec le reste de la compagnie Daniel. Un de ses compagnons est un Alsacien, Pierre Schmuda. L'installation se fait dans le village de Presles. Pierre Barthelmé est posté avec un groupe de 7 à 8 hommes sur la route de Saint-Pierre-de-Chérennes. Considéré comme tireur d'élite, il est équipé d'un fusil Springfield Remington qu'il préfère à la mitraillette Sten. On lui relate les accrochages qui ont eu lieu le 15 juin dans le nord du massif. Le 13 juillet, Pierre Barthelmé assiste de loin à l'attaque aérienne de Vassieux par la Luftwaffe basée à Valence-Chabeuil. Il n'en connaîtra le déroulement que quelques jours plus tard. Fait général, on peut noter le décalage entre les événements et leur connaissance par des personnes éloignées seulement de quelques kilomètres. Cela est une donnée fondamentale qui explique les nombreuses erreurs ou imprécisions dans les récits. De même, Pierre Barthelmé assiste de loin au parachutage diurne du 14 juillet sur le terrain de Vassieux.

Le 20 juillet, de faction, il entend des bruits de camions sur la route de Saint-Romans. Il rend compte à son chef de section de cette activité inquiétante. Le 21, comme pour le 14 juillet, il assiste de loin au largage de planeurs sur Vassieux. Il pense qu'ils ont décollé de l'aérodrome de Chabeuil et qu'ils transportent des SS. Il n'apprendra le déroulement de cette attaque dramatique que quelques jours plus tard. Dès le 22 juillet, après avoir caché du matériel non emporté pour éviter des représailles aux habitants de Presles, la compagnie Daniel se réfugie dans la profonde forêt des Coulmes. Le 24, le groupe est rejoint par messieurs Chartier et Taravello qui ont des fils parmi les Résistants. Ayant décidé de rejoindre la plaine, le groupe s'engage dans une descente difficile, une traversée délicate de l'Isère et rallie Romans. Les armes emportées sont cachées jusqu'à la première libération de Romans le 22 août. Pour Pierre Barthelmé, il n'y a pas eu une grande bataille mais une série d'accrochages avec de petits groupes d'Allemands. Le 23 août est marqué par l'entrée, pour quelques heures, des Américains dans Romans. Le retour des Allemands le 27 août oblige Pierre Barthelmé et certains de ses compagnons à se replier sur Saint-Thomas-en-Royans. Il rejoint Romans le 30 août où il apprend la mort de plusieurs de ses amis.

Les combats sont terminés pour Pierre Barthelmé mais les ennuis continuent pour sa fiancée qui est internée dans le camp de Schirmeck dans le Bas-Rhin.

Pierre Barthelmé rejoint son village en mars 1945. Ce dernier a été dévasté par les combats de décembre 1944 et de janvier 1945. Les parents de Pierre, évacués de force en Allemagne, ne rejoignent leur village qu'en mai 1945.

Une longue période de reconstruction commence marquée par les séquelles de l'histoire des « malgré nous ». Pour son action Pierre Barthelmé a reçu une citation à l'ordre du régiment, la médaille du Réfractaire et la Croix du Combattant. Quant à Alice elle bénéficia de la carte du combattant.

En novembre 1944, fin dessinateur, Pierre Barthelmé réalise un tableau représentant le cimetière des fusillés de Saint-Nazaire-en-Royans. En 2002, cette œuvre a été remise par son fils Francis au maire de Saint-Nazaire lors d'une cérémonie au mémorial édifié sur l'emplacement des exécutions.

Le parcours de Pierre Barthelmé n'est pas unique mais il est suffisamment rare et spectaculaire pour être rapporté. Il traduit une forte volonté pour résister à l'asservissement imposé par le régime hitlérien.


Alain Coustaury

Sources : documents fournis par Francis Barthelmé

 Passage, N° 27, bulletin du syndicat d'initiative, office de tourisme de Gambsheim.