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Note de service du capitaine (16 juillet 1944)

Légende :

Note du capitaine "Alain" au capitaine Pons Paul, en date du 16 juillet 1944. Le document est une des nombreuses notes de service que le capitaine "Alain" fait parvenir à ses subordonnés.

Genre : Image

Type : Note de service

Producteur : Raynaud Pierre (« Alain »)

Source : © Archives privées Albert Fié, fonds compagnie Pons Droits réservés

Détails techniques :

Recto verso d'une feuille mesurant 13,5 x 21cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - L’Escoulin

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Analyse média

Le document est une des nombreuses notes de service que le capitaine Alain fait parvenir à ses subordonnés.

Le document par la qualité de présentation témoigne d'une bonne organisation administrative de la Résistance. On a pris soin de masquer, en haut et à gauche de la note, l'adresse originelle inscrite sur la feuille. On a conservé FFI (Forces françaises de l'intérieur) mais l'inscription 3e bataillon cache « commandement des guérillas en Drôme sud » Le terme, très explicite, de guérilla laisse la place à une dénomination militaire, plus traditionnelle.

D'abord, "Alain" félicite Paul Pons pour la tenue de ses hommes. Il insiste sur leur caractère discipliné. Dans un long paragraphe, il précise les modalités d'érection d'un barrage antitank. Un supplément d'armes doit être fourni à la compagnie Pons qui doit venir le chercher à Die. Toujours dans le domaine militaire, "Alain" réclame à Paul Pons les plans du système défensif de son secteur, de ses mesures d'alerte. Une bonne coordination avec l'unité basée à Grâne et à Chabrillan est nécessaire pour prévenir d'une attaque en aval de Crest.

En conclusion, "Alain" souhaite que des photos du système défensif soient prises afin de constituer un dossier qui pourrait servir par la suite.


Auteurs : Alain Coustaury 

Contexte historique

Le débarquement de Normandie a eu lieu depuis plus d'un mois. Un débarquement sur les côtes de Provence devait suivre quelques jours après. Mais, à cause des difficultés des Alliés, il tarde et la Résistance ne l'espère plus dans l'immédiat. L'inquiétude grandit, d'autant que le 13 juin les Allemands ont sondé le dispositif de défense du nord du Vercors. Le 14 juillet, le bombardement de Vassieux-en-Vercors, à la suite du parachutage diurne réalisé par l'USAAF (United States Army Air Forces), fait redouter une attaque allemande.

Également le 14 juillet, commémorant la fête nationale, la Résistance avait montré sa force lors d'un défilé à Die. Cette manifestation avait été filmée. Ce fait traduit une confiance dans la puissance militaire de la Résistance.


"Alain", d'emblée, félicite Paul Pons pour la tenue et la discipline de ses soldats. On peut penser qu'il n'en était pas partout de même. 
"Alain" redoute une attaque réalisée par des troupes de montagne habituées à des conditions de combat dans un relief semblable à celui du sud du Vercors et du Diois. Le spectre des « Mongols », de plus enivrés, hante l'esprit d'"Alain". Il peut paraître surprenant de voir un chef militaire avoir un tel langage. À fortiori, on peut imaginer ce que devait être, dans l'inconscient collectif, l'image de ces troupes auxiliaires allemandes. 
Pour les contrer, "Alain" demande que soient tenues les lignes de crête distantes de plusieurs kilomètres de la vallée de la Drôme. Quant on connait le faible nombre des résistants, quelques centaines d'hommes, on comprend l'inquiétude et les précautions prises par le chef des FFI.

Pour faire face à la menace d'une attaque par les blindés, "Alain" préconise la construction de barrages routiers. Dans plusieurs notes précédentes, il avait déjà invité Paul Pons à réaliser de tels obstacles. Les rails ont été prélevés sur la voie ferrée Livron-Veynes qui est ainsi rendue impraticable pour les Allemands. Des morceaux de rail de 10 mètres doivent être plantés dans la chaussée de la route nationale 93 établie sur la rive droite de la Drôme. Si l'on estime que 2 à 3 mètres sont enfouis dans le sol, on peut apprécier la puissance de ce barrage avec des rails dépassant de 7 à 8 mètres. Cette technique du barrage par rail était réalisée sur la ligne Maginot, avec des champs de rail de plusieurs kilomètres de long. "Alain" reprend ainsi une technique de guerre traditionnelle. On sait pourtant qu'elle a montré ses limites. Pour renforcer l'armement de la compagnie, "Alain" propose à Paul Pons d'aller chercher à Die une mitrailleuse (Browning M 30 ?), un fusil-mitrailleur Bren d'origine britannique et 15 fusils Remington étatsuniens. On constate que cette dotation est constituée d'armes légères provenant de parachutages (celui de 14 juillet à Vassieux ?) mais qu'aucune pièce d'artillerie légère n'est fournie. Or les mortiers, à tir courbe, sont absolument indispensables dans les combats en terrain montagnard. 

Ce supplément d'armes permettra d'équiper des effectifs en nette progression car la note se situe au moment d'un fort afflux d'hommes rejoignant la Résistance. C'est pour cette raison qu'"Alain" demande le tableau des effectifs et aussi le nom de ceux qui peuvent prétendre à des responsabilités militaires. 

"Alain" réclame l'obstruction de la route départementale 164 qui longe la rive gauche de la rivière Drôme. L'opération doit être conduite en concertation avec l'unité basée à Grâne et à Chabrillan. Le système d'alerte d'une attaque à partir de la vallée du Rhône doit être également précisé. 

La dernière requête d'"Alain" peut paraître surprenante. Elle constitue l'intérêt majeur du document dans la mesure où elle révèle un état d'esprit peu compatible avec la guerre de guérilla. Faire une « collection d'ensemble de documents photographiques » dans les circonstances du moment traduit la conception traditionnelle de l'art militaire. La Résistance semble posséder un service photographique comme une armée conventionnelle. C'est faire preuve d'une grande confiance et de beaucoup d'optimisme quant à la suite des événements. Réaliser des photos des barrages routiers et de l'activité du secteur peut se révéler dangereux pour leurs auteurs dans la mesure où l'ennemi peut s'en emparer. Nous ignorons si l'ordre a été exécuté. Nous n'avons pas trouvé de photos des barrages routiers. Il peut en exister, de nombreux documents étant encore indisponibles pour diverses raisons. 

En conclusion, le document est très riche en informations et permet d'apercevoir la vie de la Résistance armée dans un secteur clef de la défense du massif du Vercors. Il révèle, à la fin, une certaine dose d'inconscience ou de présomption de la part d'un jeune chef qui, par ailleurs, n'est pas dénué de qualités. Cinq jours après cette note, l'attaque allemande contre le Vercors montrera les limites des conceptions militaires exprimées dans le document.


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Fié Albert, Mémoire d\'un vieil homme, archives Pons Paul