Le prix du lait à partir du 24 avril 1943

Légende :

L’étude de la consommation du lait a été privilégiée car cet aliment est vital pour toutes les catégories d’âge. Particulièrement pour les nourrissons, les adolescents, il est indispensable sous forme de lait entier, cru, pasteurisé, concentré sucré. La consultation des arrêtés des Actes administratifs a été poussée jusqu'en 1949 pour montrer que le lait est encore, à cette époque, une denrée rare et chère.

Genre : Carte

Type : Carte

Producteur : Christophe Clavel d'après Alain Coustaury

Source : © AERI Droits réservés

Détails techniques :

Carte couleur format numérique.

Date document : 2006

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

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Contexte historique

Le prix du litre, au détail, dans le premier bassin laitier drômois, en mars 1941, est de 1,70 franc. À partir du 16 septembre 1949, il atteint 34,50 francs. Cette forte hausse reflète la dévaluation du franc mais aussi le fait que le lait est toujours une denrée rare, donc chère.

La consommation du lait dans la Drôme met aussi en évidence les différentes régions naturelles de ce département. En fonction de l'abondance du lait dans certaines ou de la pénurie dans d'autres, le prix du lait varie. Les autorités ont été amenées à découper la Drôme en bassins laitiers. Un prix de vente au détail est fixé pour chacun d'entre eux. Les arrêtés préfectoraux ont partagé, selon les époques, le département en trois, quatre, cinq, six ou huit bassins laitiers ! Les cartes (celle-ci et les autres sur le prix du lait dans le département de la Drôme pendant la période 1941-1949) mettent bien en évidence ces découpages.

On constate que le prix du lait est toujours plus élevé au sud qu'au nord de la Drôme. Les particularités climatique, orographique expliquent cette différence. La Drôme du Nord, le Vercors, plus humides, possèdent un beau troupeau bovin. La cuisine est au beurre ! Au Sud de la rivière Drôme, les conditions méditerranéennes prévalent. Sans être absentes, les vaches sont peu nombreuses ; les ovins dominent. La cuisine se fait essentiellement à l'huile d'olive, particulièrement dans le Nyonsais et les Baronnies où se développent de belles oliveraies ! L'auteur ne sait expliquer la multiplicité des découpages. Il est difficile d'interpréter les variations du découpage des bassins. Parfois Valence, Bourg-lès-Valence, Romans, Bourg-de-Péage constituent un bassin (avril 1943) L'aspect urbain de ces communes peut justifier ce choix. Mais ce n'est pas toujours le cas. Des pressions locales ont pu jouer pour faire passer une commune, un canton, dans un bassin ou dans un autre.

Le prix du lait peut être fixé par le maire de la commune. Selon l'arrêté du 20 mars 1941 :
« Le prix du lait pourra être fixé par arrêté du maire dans la limite maximum de celui en vigueur au chef-lieu du canton, exception faite de certaines communes limitrophes du Vaucluse où ces prix pourront atteindre 2,4f et 1,7f à la condition qu'ils soient fixés par arrêté municipal ».

Un système aussi complexe de fixation des prix a sûrement eu du mal à être appliqué. L'achat du lait, dans un bassin laitier moins cher, devait souvent se produire.
La nourriture des animaux, des bovins en particulier, est également réglementée pour éviter la fraude. Un arrêté de mars 1944 régit le transfert des fourrages.
« M. le Ministre Secrétaire d'État à l'Agriculture et au Ravitaillement m'informe qu'en vue de se soustraire à leurs impositions en fourrage, certains cultivateurs ont loué une partie de leurs prairies à des négociants ou producteurs d'autres régions qui ont pu ainsi obtenir des autorisations de transferts de fourrages. Cette pratique risquant de compromettre la collecte, le Ministre a décidé :
1) qu'aucun transfert de fourrage ne sera désormais accordé aux locataires d'herbage dont le contrat de location aura été signé après le 30 juin 1942 ;
2) que tout contrat de location de prairie passé depuis le 30 juin 1942 n'entraînera pour le propriétaire aucun dégrèvement de ses impositions en fourrage.
»

La lecture des arrêtés de 1941 à 1949 n'a pas mis en évidence une fraude relativement fréquente sur la qualité du lait. Pour en augmenter la quantité, certains producteurs « mouillent » le lait, c'est à dire ajoutent de l'eau. Un tel procédé a perduré après la guerre, entraînant des procès quand son auteur est découvert. Plus la pénurie s'aggrave, plus les autorités prennent des mesures pour assurer le minimum des besoins en lait.
Elles déterminent et imposent une quantité de lait que tout éleveur doit livrer par vache qu'il possède. L'arrêté du 31 janvier 1942 ordonne aux éleveurs de livrer quotidiennement au minimum 3 litres par vache du 1er février au 31 mars, 4 litres du 1er au 31 avril, 5 litres du 1er mai au 31 juin, 4 litres du 1er juillet au 31 octobre et 3 litres du 1er novembre au 31 décembre 1942. Ces modifications s'expliquent par les variations du rendement saisonnier des vaches.
Ces prélèvements sont importants car le rendement des vaches laitières est bien plus faible que de nos jours où une vache produit facilement 15 litres de lait quotidiennement. Mauvaise qualité des races élevées, utilisation du bovin pour les labours, traction des charrettes peuvent expliquer cette déficience. Les arrêtés des 12 mars et 12 juillet 1943 fixent des livraisons obligatoires. Le minimum à livrer par vache est de 1 200 litres pour la période du 1er mai 1943 au 30 avril 1944. Pour les vaches travaillant , employées comme animaux de trait, ce qui est assez fréquent, l'éleveur bénéficie d'un abattement de 40%. Dans le Vercors et ses alentours, la quantité est ramenée à 900 litres, ce qui est surprenant dans la mesure où le massif possède un troupeau bovin de bonne qualité. Par contre, il ne profite pas d'abattement. Les éleveurs qui livrent des quantités supérieures bénéficient de primes.
Par contre, ceux dont les vaches n'ont pas livré 50% du minimum prévu, voient leurs animaux réquisitionnés.
Toutes les mesures prises ont pour but aussi de limiter les fraudes, relativement faciles à réaliser sur un produit comme le lait. Beaucoup de vaches sont devenues travailleuses...
Malgré toutes ces mesures, l'administration doit diminuer les rations de lait en mars 1944. Les données suivantes traduisent sans ambiguïté une situation désastreuse.
Les rations seront fixées comme suit, à dater du 1er mars1944 :
- enfants de catégorie E, de 0 à 18 mois : trois quarts de litre par jour, ration maintenue ;
- enfants de catégorie E, de 18 mois à 3 ans : un demi-litre par jour au lieu de trois quarts (modifié et augmenté le 21 mars 1944) ;
- enfants de catégorie J1, de 3 à 6 ans : un demi litre par jour au lieu de trois quarts de litre ;
- enfants de catégorie J2 : un quart de litre par jour, ration maintenue.
En contrepartie de ces réductions, il sera alloué mensuellement les suppléments suivants :
- aux enfants de catégorie E de 18 mois à 3 ans : 250 g de farines simples ;
- aux enfants de la catégorie J1, de 3 à 6 ans : 125 g de sucre.

L'auteur n'a pas relevé de législation concernant le lait de brebis. Sa production n'est pas suffisamment importante pour être réglementée. Le lait est surtout utilisé pour la fabrication d'un fromage : le « picodon ». Les ovins sont essentiellement localisés dans le Sud de la Drôme. Le massif du Vercors accueille aussi les troupeaux transhumants venant de Provence.
Assez surprenant, comme l'écrit l'abbé Bossan, les 22 et 23 juin 1944, les « beies », les brebis, montent à Glandasse comme si rien n'était. En réalité, ces transhumants, 2 000 bêtes, parviennent au col du Rousset par Chamaloc après avoir essuyé une embuscade tendue aux Allemands à Pontaix et refusé la dîme de 150 bêtes demandée par les FTPF de Die. Est-ce que le caractère quasiment surréaliste de cette transhumance peut être interprété comme la perception de la fin de guerre, de la victoire, et d'un nouveau départ ?

La chèvre est un autre producteur de lait. La « vache du pauvre » a joué un rôle non négligeable dans l'apport de son lait transformé en fromage la tomme de chèvre et dans l'alimentation avec le sacrifice du cabri, procurant une viande réservée surtout aux jours de fête. Le paysage de la veuve de guerre faisant paître deux ou trois chèvres sur les talus des chemins donne une bonne idée du rôle des caprins. Il subsistera quelques années après le conflit, jusqu'à l'avènement de la société de consommation et à la disparition des bergères.
Les autorités préfectorales ont établi un ensemble de mesures qui révèlent bien la réalité de la pénurie de lait dans la Drôme. Il est évident que selon les lieux, la profession, la population a plus ou moins souffert de cette situation. Comme pour d'autres produits, le système D a joué, les combines plus ou moins légales ont été employées.


Auteur(s) : Alain Coustaury
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme et le Vercors, éditions AERI-AERD, 2007.