La cohabitation en milieu fermé alimente souvent des tensions et les prisonniers politiques n’en sont pas exempts. Les mises à l’écart sont politiques ou répondent à des impératifs de sécurité. A Eysses, des pratiques de mises en quarantaine sont connues. Un comité de criblage destiné à éliminer les « mouchards » est mis en place, comme celui expérimenté par les détenus gaullistes à la prison Saint-Paul à Lyon. Il était destiné à assurer la sécurité de l’organisation clandestine. Ce système fut transposé à Eysses et sa mise en place se trouva facilité par le passage au quartier cellulaire des nouveaux arrivants, quelques semaines avant leur affectation dans les différents préaux. Ce laps de temps était nécessaire pour recevoir de l’extérieur des renseignements sur les intéressés. Ce principe de précaution était d’autant plus nécessaire que l’administration pénitentiaire utilisait un certain nombre de détenus comme mouchards. Outre cette politique d’exclusion politique (sécuritaire ou préventive) qui toucha les « donneurs » ou les détenus peu sûrs, on note des exclusions-sanctions de type droit commun. Elles touchèrent les détenus ayant commis des vols dans les préaux ou qui ne respectaient pas règles communes. Mais la centrale connut aussi des exclusions politiques dictées par l’appareil communiste. L’épisode le plus connu concerne les trotskystes. Rappelons que selon la rhétorique de l’appareil communiste, les trotskystes sont « les ennemis de l’URSS » et donc « les ennemis du peuple ». Politiquement dangereux, ils ne sont pas des individus fréquentables.
D’après Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy, L’Harmattan, 2007.
Cet article publié dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné relate un fait survenu à Eysses en décembre 1943. Au sein de l’organisation des détenus d’Eysses, le colonel Bernard, outre ses attributions clandestines de commandant militaire du bataillon d’Eysses, est aussi chargé de la justice au sein du collectif. Son rôle dans ce domaine restera très réduit. Seulement en décembre 1943, il devra régler un cas de vol dans un préau, ce que relate cet article. Le coupable, qui puisait dans les colis, sera exclu du collectif et envoyé au quartier cellulaire. L’article insiste sur l’importance du jugement rendu.
Retranscription :
"Un regrettable incident a motivé vendredi dernier une petite cérémonie dont nous ne saurions trop reconnaître l'importance. L'un de nos camarades - du moins il se prétendait tel, avait à plusieurs reprises, volé des vivres et du tabac appartenant à la collectivité ou à ses camarades de gourbi. Grâce à notre vigilance, il fut pris sur le fait et dût tout avouer. Notre collectif n’ayant plus recourt à la justice boiteuse de l’administration, le jugea et le fit envoyer au quartier définitivement. Ainsi, l’ensemble de nos camarades comprirent mieux la nécessité d’être vigilants et la méthode intransigeante augmenta la valeur du collectif en renforçant notre solidarité. Serrons nos rangs camarades."
Fabrice Bourrée
Sources : Amicale des anciens d’Eysses, Eysses contre Vichy 1940-…, Editions Tiresias, 1992.
Extrait du journal clandestin Le Jeune enchaîné, non daté.
Genre : Image Type : Presse clandestine
Source : © Archives FNDIRP - Droits réservés
Montage. Support papier. Format article : 5 x 5 cm. Format page du journal : 19,5 x 25 cm.
Date document : Décembre 1943