Article « Salut aux couleurs » écrit par les détenus d’Eysses

Parmi les commémorations organisées en prison, la part des manifestations patriotiques est la plus importante. Rappelons qu’elles sont interdites à l’extérieur par les autorités d’occupation et que leurs initiateurs risquent la prison. Dans ce contexte, leur organisation à l’intérieur de l’espace carcéral est chargée de sens politique. Ce 11 novembre 1943 à la centrale d’Eysses est l’occasion de sceller l’union entre des centaines de détenus de tous horizons rassemblés depuis peu. Le programme récréatif mêle divertissements (lecture de poèmes, chorale) et action politique aux accents patriotiques. La Marseillaise ponctue le début et la fin de la cérémonie ainsi que le salut aux couleurs. Les valeurs affirmées, au-delà de la solidarité et de l’action collective, sont le patriotisme, la lutte contre l’occupant pour la conquête de l’indépendance nationale, qui permettent de faire un lien entre la célébration de la victoire de 1918 et le combat de la Résistance.

D'après Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2002.

Article paru dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné (non daté), rubrique « Notre vie » (en bas à droite de la page) et dont le titre est « Salut aux couleurs » : il est écrit par les détenus d’Eysses après le 11 novembre 1943, et fait référence à une manifestation patriotique qui s’est déroulée au sein de la Centrale.

L’article se décompose en deux parties : du texte au centre et des dessins aux extrémités. L’esprit du texte se rapportant sans cesse aux deux dessins.

L’article relate la présence du drapeau tricolore, le 11 novembre 1943, au sein de la Centrale, pour faire de la commémoration de la fin de la première guerre mondiale un acte de résistance. (« Notre glorieux drapeau tricolore a flotté à la Centrale d’Eysses ce 11 novembre 1943 »). Ecrite en lettres capitales, cette dernière phrase renforce l’aspect combatif et d’actualité de cette manifestation. Dans un autre article, sur la même page du journal Le Jeune enchaîné, on peut aussi lire : « Bien qu’emprisonnés, nous avons donné à ce 11 novembre un caractère nouveau de lutte pour la Libération ».

L’article s’adresse aux « jeunes patriotes » ayant en mains l’avenir de la France. La représentation, en bas à droite, d’un visage de jeune homme regardant vers le drapeau renforce l’idée d’une mobilisation nécessaire des jeunes générations autour du drapeau français pour défendre les valeurs de la Révolution Française (« C’est le symbole de la Liberté, de la Fraternité qui en 1789 a éclairé le monde entier »). Le titre de l’article « Salut aux couleurs » s’explique ainsi.

Cette célébration du 11 novembre est la première au sein de la Centrale (les détenus arrivent en octobre 1943) et les détenus souhaitent poursuivre leur action (« …il faut le saluer, il doit être le cri de ralliement dans ce combat qui nous mène à la victoire ».)

Cette affirmation de l’emblème national témoigne du patriotisme qui anime les détenus au sein de la Centrale.

Auteurs : Aurélie Pol et Gérard Michaut