A Eysses, les détenus politiques parviennent à occuper les postes clefs, comme l'infirmerie pénitentiaire dirigée par le docteur Paul Weil. Dans son journal intime, il transcrit le quotidien d'un médecin pénitentiaire à la centrale d'Eysses en 1943-1944. Regard d'un professionnel en exercice, il livre un rapport sanitaire et médical, document inédit sur l'état de santé des diverses catégories de prisonniers. Il y évoque aussi les conditions de travail.
Paul Weil explique ainsi que l'équipe soignante est composée de dix huit personnes « très bons camarades » et « s'entend admirablement bien » (12 février). Il fait partie d'une équipe plus restreinte de cinq personnes sous les ordres du patron (un médecin en exercice interné administratif le docteur Galpérine), avec trois infirmiers dont Woerther « le blondinet », Kienzler : « Kinou » avec lequel il se lie d'une amitié profonde et un aide infirmier, Amigas, passé à l'infirmerie le 5 décembre, et qui se découvre une passion : « ce bon copain... il est infirmier ici et veut quitter ses études d'ingénieur hydraulicien pour la médecine qui le passionne... ». Ici ce n'est pas l'aptitude professionnelle, mais l'amitié avec Weil qui le fait « embaucher »: « Amigas et Kinou sont devenus deux amis... c'est vraiment avec ces deux-là que je m'entends le mieux depuis que je suis en prison » (14 janvier), « ce sont les deux vrais camarades de ma longue captivité...trio très uni » (31 janvier). Au fur et à mesure des arrivées l'équipe soignante intègre les détenus selon leur compétence « un nouveau médecin vient d'arriver ici (on le chargera du dépistage) c'est un médecin du nord employé des mines qui connaît bien ce genre de travail et qui s'en accommodera sûrement très bien... » (13 décembre), « nous aurons un nouvel infirmier étudiant de seconde année arrivé hier va venir nous donner un coup de main » (22 décembre), ou le 14 janvier « nous avons reçu aujourd'hui un nouvel infirmier qui était infirmier major militaire ». Le médecin externe, médecin officiel de l'administration pénitentiaire, le docteur Guy, se contente de visiter l'infirmerie une fois par semaine. P. Weil se plaint le 31 décembre du « médecin de l'extérieur qui probablement après démarche de l'administration, a dit à son patron que je donnais trop de médicaments » et se déclare déterminé ( il sort de sa neutralité habituelle pour un ton vindicatif ) à défendre l'intérêt de ses malades « cela m'a mis dans une belle rage !!...je résisterai jusqu'au bout aux injonctions du médecin externe qui veut faire sortir des pauvres types qui n'ont pas la force de s'asseoir... ».
D'après Corinne Jaladieu, Les centrales sous le gouvernement de Vichy : Eysses, Rennes, 1940-1944, thèse de doctorat, Histoire, Rennes 2, 2004
Cette photographie prise devant l’entrée de l’infirmerie montre l’équipe soignante entourant le docteur Paul Weil (au centre avec les lunettes et le tablier). Parmi ces résistants figurent : Jean Belloni (complètement à gauche avec le béret), Georges Lapeyre (à droite de Jean Belloni avec un béret), Henri Neveu (avec le béret, à droite de Paul Weil), Alphonse Kienzler dit Kinou (au dernier rang, à gauche).
Il est à signaler que certains d’entre eux portent des blouses blanches. Aucun ne porte la tenue de bure réglementaire dans les maisons centrales, et ils n’ont pas le crâne rasé. Ceci montre les libéralités concédées par le directeur de l’établissement pénitentiaire sous la forte pression des détenus.
Auteur : Fabrice Bourrée
Genre : Image Type : Photographie
Producteur : Inconnu
Source : © Association généalogique des familles Bourrée et Lapeyre - Droits réservés
Photographie argentique noir et blanc. Dimensions : 9 x 6 cm.
Date document : Décembre 1943 à janvier 1944