L’action des prisonniers politiques pendant la Seconde Guerre mondiale est jalonnée de temps forts. Les manifestations appartiennent à deux catégories : celles qui interviennent en riposte à des circonstances propres à chaque prison ou celles dictées par la mise en œuvre de mesures générales de répression aggravant le régime des prisonniers. D’autres sont des manifestations commémoratives chargées d’une dimension symbolique.
Parmi les commémorations organisées en prison, la part des manifestations patriotiques est la plus importante. Rappelons qu’elles sont interdites à l’extérieur par les autorités d’occupation et que leurs initiateurs risquent la prison. Dans ce contexte, leur organisation à l’intérieur de l’espace carcéral est chargée de sens politique. Les commémorations du 11 novembre (victoire française contre l’Allemagne) et du 14 juillet (fête nationale) prennent des formes diverses dans les différentes détentions. La journée du 11 novembre est l’occasion de sceller l’union entre des centaines de détenus de tous horizons rassemblés depuis peu. Le programme récréatif mêle divertissements (lecture de poèmes, chorale) et action politique aux accents patriotiques. La Marseillaise ponctue le début et la fin de la cérémonie, ainsi que le salut aux couleurs. Les valeurs affirmées sont le patriotisme, la lutte contre l’occupant pour la conquête de l’indépendance nationale, qui permettent de faire un lien entre la célébration du 11 novembre 1918 et le combat de la Résistance.
D’autres commémorations relèvent de l’histoire internationale, comme la célébration de la Révolution Russe le 7 novembre 1943 à Eysses.
L’utilisation des jours fériés d’origine religieuse tels que Noël et la Toussaint sont également l’occasion de commémorations. La Toussaint 1943 est par exemple l’occasion à Eysses d’organiser un hommage à tous les morts de la Résistance.
Les célébrations ont une double fonction : lancer un défi à l’autorité, contribuer à la formation politique et à l’élévation constante du moral. Leur existence témoigne donc d’une démarche volontaire et organisée, chargée de sens politique.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L’exemple des centrales d’Eysses et de Rennes, L’Harmattan, 2007.
Article paru dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné (non daté), rubrique « Notre vie » (en haut au centre de la page) et dont le titre est « Soyez dignes de nous ». Il fait référence à une manifestation patriotique qui s’est déroulée au sein de la centrale le 1er novembre 1943.
Le titre de l’article reprend une partie du post-scriptum de la lettre qu’écrit Guy Mocquet avant d’être fusillé à Chateaubriand le 22 octobre 1941 : « Vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les vingt-sept qui allons mourir. » Ce court article relate une cérémonie s’étant déroulée au sein de la centrale d’Eysses le 1er novembre 1943, jour de la Toussaint. Les détenus politiques prennent l’occasion d’une fête religieuse pour célébrer les morts de la Résistance. « Après une courte allocution, où un camarade évoqua le souvenir des Patriotes fusillés par les pelotons d’exécution allemands, des francs-tireurs, des soldats de la France Libre, ceux de Bir-Hakeim et de Tunis morts pour que vive la France, tous les emprisonnés, debout, observèrent une minute de silence. Cette courte cérémonie se termina au cri trois fois répété de « Vive la France ». Parmi les assistants, les jeunes n’étaient pas les moins ardents à crier leur foi dans les destinées de la patrie et sa libération prochaine. L’ardeur, l’enthousiasme qui vibrait dans ce cri nous animera demain dans le combat, avec la même volonté d’union. ». Il est intéressant de noter que cet hommage est rendu aussi bien aux résistants exécutés par les Allemands en France qu’aux « soldats de la France Libre », morts au combat en Afrique du Nord.
La citation qui suit le récit de la cérémonie, « Ils sont morts mais ils ont vécu » est extraite du chant du Départ, et renvoie donc au symbolisme révolutionnaire. L’article se conclut par « Soyons dignes d’eux » en écho à la dernière pensée de Guy Mocquet.
Retranscription :
"Soyez dignes de nous ! Le 1er novembre, jour des morts, une émouvante cérémonie eut lieu dans les réfectoires de la centrale. Après une courte allocution où un camarade évoqua le souvenir des patriotes fusillés par les pelotos d'exécution allemands, des Francs-Tireurs, des soldats de la France libre, ceux de Bir-Hakeim et de Tunis morts pour que vive la France, tous les emprisonnés debouts observèrent une minute de silence. Cette courte cérémonie se termina aux cris trois fois répétés de "Vive la France". Parmi les assistants, les jeunes n'étaient pas les moins ardents à crier leur foi dans les destinées de la Patrie et sa libération prochaine. L'ardeur, l'enthousiasme qui vibrait dans ce cri nous animera demain dans le combat, avec la même volonté d'union. "Ils sont morts mais ils ont vécu". Soyons dignes d'eux ! "
Auteur : Fabrice Bourrée
Article paru dans le journal clandestin Le Jeune enchaîné (non daté), rubrique « Notre vie » (en haut au centre de la page).
Genre : Image Type : Presse clandestine
Source : © Musée d’Histoire vivante, Montreuil - Droits réservés
Dimensions de la feuille clandestine : 25,7 x 20 cm. Dimensions de l’article : 10 x 4 cm.
Date document : Fin 1943