Emballage d’un colis envoyé à Fernand Kittler, emprisonné à Eysses |
Léon Rabinovitch |
Claude Delahaye |
|
Alphonse Rouzier |
Fernand Kittler |
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une
ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et
face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale,
l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à
5 heures.
Se trouvant à Vichy,
Joseph Darnand, Secrétaire général au maintien de
l'ordre, est
avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Il se rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans
l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et
d'introduire des forces de police dans la centrale, ce
afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour
Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante
têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de
Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de
la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont
désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont
immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la
mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge,
dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des
ordres et parlementer au téléphone »
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette
par quatre surveillants
Bernard François, mis en cause,
en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des
instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que
blessé
Chauvet Jean et Brun Roger mis
en cause par le premier surveillant Dupin, qui affirme les avoir vus participer
à la mutinerie avec une arme
Sero Jaime, Marqui Alexandre,
Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par
une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas
pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et
Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et
Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des
ordres et
Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le
mirador
Canet jean, légèrement blessé
au bras
Fieschi Pascal, accusé par le
surveillant-chef d'avoir agressé le directeur
Brinetti Henri, accusé par le
surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de
l'avoir menacé d'un revolver.
Seuls deux des principaux
responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu
« dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans
l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il
sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus
interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences...
Le mercredi 23 février, à
quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze
procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent
donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de
ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne
reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal
Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître
car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les
témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants.
Les procès-verbaux sont remis à
la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont
condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés
devant le procureur de la République afin
d'être poursuivis par la section spéciale
de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de
deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes
à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des
procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs)
et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie.
Outre les deux
« rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres
dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont
tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept
détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des
prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés
devant la section spéciale d'Agen ; ces
hommes sont envoyés au quartier cellulaire
avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière
n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février,
soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier
cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le
« quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire
seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre
Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes
le 30 mai 1944.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.
Le film retraçant l'histoire d'Eysses est décidé lors du 40ème congrès en 1985 pour donner un contenu plus historique que celui du livre édité précédemment. Le film tourné à Villeneuve-sur-Lot et à Eysses en février 1986, sort en janvier 1987, sous le titre « Eysses, une prison dans la Résistance ». Il retrace en cinquante deux minutes les victoires remportées dans la prison, le grand dessein : l'évasion du 19 février et son échec, ce qu'était l'esprit d'Eysses, fait de tolérance, de civisme, d'abnégation, tout en le replaçant bien dans le contexte.
Les détenus résistants sont transférés d'Eysses à Compiègne le 30 mai 1944. Dans les wagons, les patriotes s'organisent mais ils ignorent le supplice qui les attend : la soif. Ils sauront malheureusement qu'on peut subsister plusieurs jours avec la faim au ventre, mais ils vont découvrir qu'au bout de quelques heures l'absence de boisson devient un tourment intolérable, presqu'aussi implacable que l'asphyxie ; une goutte de liquide devient alors plus précieuse que toutes les richesses de monde. La plus dure des épreuves, dans cette chaleur suffocante, est bien celle de l'absence de liquide. Les patriotes ne reçoivent qu'un peu d'eau à Bordeaux, quelques gobelets passés furtivement par des cheminots bravant les gardiens SS. A Poitiers, la Croix rouge parvient à faire octroyer une casserole d'eau par wagon. Une casserole pour des dizaines d'hommes assoiffés dont le gorge brûle depuis des heures et des heures. Le 3 juin 1944, le convoi atteint Compiègne.
Dans cet extrait, Claude Delahaye évoque les menaces perpétrées par les SS lors du départ de Compiègne. Alphonse Rouzier et Léon Rabinovitch se remémorent les moyens de survie mis en place dans les wagons et la solidarité qui permit de sauver de nombreuses vies. La séquence est filmée devant un train composé de wagons à bestiaux, utilisés pour convoyer les déportés vers les camps nazis.
Retranscription :
Anna Dupuis-Defendini : "Quand vous avez quitté Eysses, où avez-vous été conduits ?"
Claude Delahaye (accroupi à l’entrée d’un wagon à bestiaux) : "Lorsque nous avons quitté Eysses, nous avons été conduits à Compiègne, et de Compiègne pour nous emmener vers l’Allemagne. Dans ces wagons, nous étions 100 à Compiègne et le SS lorsqu’il nous chargea nous a dit : « Si un tente de s’évader, c’est pas 100 que vous serez mais 200. Si un parvient à s’évader, j’en fusille 10, si dix s’évadent tout le wagon sera fusillé »."
Anna Dupuis-Defendini : "Comment la solidarité a-t-elle pu s’organiser dans les wagons ?"
Alphonse Rouzier : "Nous avons repris les mêmes méthodes d’organisation que nous avions à Eysses en ce qui concerne la solidarité. Nous avions laissé libre les deux côtés du wagon qui étaient ouverts à l’air et nous mettions nos camarades assis genoux dans genoux de façon à ce que ceux qui étaient par les côtés puissent continuer à respirer. Toutes les deux heures, on changeait de place les camarades qui étaient assis pour qu’ils soient debout et inversement. Et on a fait ça tout le temps du voyage. Pour l’eau, compte-tenu que nous n’avions pratiquement pas d’eau et que nous n’avions pas de récipient pour boire, le peu d’eau était réparti dans la totalité des gens qui étaient dans le wagon. La manière dont on récupérait l’eau, pour nous, il n’y a pas eu d’autre formule, vu qu’on était dans un wagon en bois, que de garder les chemises et de récupérer la sueur. Il y a eu en matière de boisson des tentatives de camarades de boire même l’urine tellement ils avaient soif. La soif, c’est formidable, c’est terrible, c’est pire que la faim."
Léon Rabinovitch : "Il y avait des camarades qui s’affolaient, des camarades qui se levaient et qui essayaient d’aller aux fenêtres pour prendre de l’oxygène mais on leur imposait une certaine discipline. Et petit à petit, cette discipline se comprenait, c’était une discipline qui était librement consentie. Et quand nous sommes descendus à Dachau, on ne se reconnaissait plus, on avait les lèvres gonflées. On se regardait mais on avait quand même la joie de se voir tous vivants grâce à l’esprit d’Eysses."
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Amicale des anciens d’Eysses, Eysses contre Vichy 1940-…, Tiresias, 1992.
Témoignages de Claude Delahaye, Alphonse Rouzier et Rabinovitch recueillis par Anna Dupuis-Defendini.
Genre : Film Type : Témoignage filmé
Producteur : Amicale d’Eysses / IFOREP
Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses - Droits réservés
Durée totale : 52 minutes ; Durée de l’extrait : 00 :01 :57s.
Date document : 1987