Genre : Image
Type : Rapport clandestin
Source : © Document conservé aux Archives nationales (Paris), cote : 72AJ282 Droits réservés
Détails techniques :
Rapport dactylographié de 9 pages précédé d’un message d’information. Dimensions : 26,5 x 19,5 cm.
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Ce document est précédé d’une note d’information établie le 15 avril 1944 à l’attention du NAP, des corps-francs et des services de renseignements : « Nous vous transmettons ci-joint un récit de la mutinerie d’Eysses, fait par un des policiers qui ont participé aux opérations de répression. Ce texte, qui étant donnée la date des évènements, ne constitue pas une information, contient des indications précises de violences et sévices et les identités exactes de leurs auteurs. Il a en outre, nous semble-t-il, une valeur de document et de propagande indéniable, et sa large diffusion serait souhaitable ». En effet, l’enquête est menée par les brigades mobiles de Limoges et Toulouse. Celle de Toulouse est commandée par le commissaire Charles Llaoury, également agent du réseau de renseignement Ajax (réseau créé en 1943 et affilié au BCRA). C’est probablement lui qui a rédigé le rapport qui suit.
Dans un premier temps, le rédacteur dresse un récapitulatif des évènements survenus le 19 février 1944, de la capture de Schivo et de ses accompagnants au préau 1 jusqu’à l’arrivée de l’artillerie allemande et la reddition des insurgés le lendemain matin. Le dimanche, quelques heures après la reddition, Darnand arrive en personne à Eysses et exige que 50 otages soient exécutés.
Il insiste sur les brutalités exercées sur les détenus interrogés par les policiers de la brigade mobile de Limoges, tandis que ceux soumis à la police de Toulouse « étaient traités d’une façon absolument correcte et les questions posées permettaient aux accusés de laisser subsister le doute sur leur participation à la mutinerie ».
A l’issue de l’enquête policière, une délibération a lieu sur le sort des détenus interrogés pour savoir s’ils devaient être traduits devant la cour martiale ou devant telle ou telle juridiction (notamment la section spéciale de la cour d’appel d’Agen). Dans son rapport, Llaoury fait état de l’attitude des différents participants à cette réunion. Puis la cour martiale se réunit. Par peur des représailles, la plus grande discrétion entoure les « juges » siégeant à la cour martiale si bien qu’aucun membre du personnel d’Eysses n’a été en mesure de donner l’identité des intéressés. Même le commissaire Llaoury s’avère incapable de transmettre à la Résistance l’identité des trois « juges » et se contente d’une description physique détaillée des trois membres. Pendant que le juge et ses assesseurs délibéraient, les policiers maltraitaient le détenu Paul Weil avec l’espoir d’obtenir des aveux et de nouveaux noms à donner à la cour martiale. Le rapport fait état des sévices que Weil a subi de la part des miliciens et policiers de Limoges. Il avait été « choisi » suite à la découverte d’armes enterrées dans la cour de l’infirmerie.
Le rédacteur termine son récit par les exécutions des douze patriotes et leur courageuse attitude face à la mort qui les attendait.
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy, L’Harmattan, 2007
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale, l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à 5 heures.
Se trouvant à Vichy, Joseph Darnand, Secrétaire général au maintien de l'ordre,est avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Ilse rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et d'introduire des forces de police dans la centrale, ce afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge, dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des ordres et parlementer au téléphone »
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette par quatre surveillants
Bernard François, mis en cause, en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que blessé
Chauvet Jean et Brun Roger mis en cause par le premier surveillant Dupin, qui affirme les avoir vus participer à la mutinerie avec une arme
Sero Jaime, Marqui Alexandre, Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des ordres et Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le mirador
Canet jean, légèrement blessé au bras
Fieschi Pascal, accusé par le surveillant-chef d'avoir agressé le directeur
Brinetti Henri, accusé par le surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de l'avoir menacé d'un revolver.
Seuls deux des principaux responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu « dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences... Le mercredi 23 février, à quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants. Les procès-verbaux sont remis à la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés devant le procureur de la République afin d'être poursuivis par la section spéciale de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs) et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie. Outre les deux « rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés devant la section spéciale d'Agen ; ces hommes sont envoyés au quartier cellulaire avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février, soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le « quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes le 30 mai 1944.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.
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