Vue sur la cour d’étendage
Légende :
Le cliché a été pris à l’époque de la Colonie pénitentiaire à Eysses. On y voit une pupille étendant le linge dans la cour d'étendage, accompagné d'un gardien. En arrière-plan, on reconnaît le quartier cellulaire.
Genre : Image
Type : Photographie
Producteur : Cliché Henri Manuel
Source : © Archives École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ), fonds Henri Manuel. Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique en noir et blanc.
Date document : Entre 1929 et 1931
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Analyse média
Cette photographie est extraite d’un album réalisé par le studio photographique d’Henri Manuel à la fin des années vingt et comprenant une cinquantaine de clichés pris à la maison centrale d’Eysses. Elle représente la cour d'étendage (actuelle cour des fusillés), située derrière le quartier cellulaire. C'est dans cette cour que, le 23 février 1944, douze résistants sont fusillés par les GMR, en raison de leur participation à la tentative d'évasion collective du 19 février précédent.
« Bien avant la campagne contre les bagnes d’enfants lancée en août 1934 après l’évasion de colons de la maison d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer, entre 1929 et 1931, le studio Henri Manuel réalise une commande sur les prisons et les institutions pour mineurs relevant du ministère de la Justice. Le reportage est d’importance et couvre l'École d'administration pénitentiaire, 17 maisons d'arrêt, 6 centrales et enfin 9 établissements pour mineurs : les maisons d'éducation surveillée d'Aniane, de Belle-Île-en-Mer, de Saint-Maurice, la colonie correctionnelle d'Eysses, l'école de réforme de Saint-Hilaire, les écoles de préservation de Cadillac, de Clermont-de-l'Oise, de Doullens, ainsi que la prison de la petite Roquette qui, à cette époque, accueille des mineurs. Pour certains établissements, le reportage donne lieu à deux albums, un pour les hommes et un pour les femmes. Quelle est l’origine de la commande, quel en est le commanditaire, à quel public s’adresse-t-elle ? Les questions sont nombreuses, les réponses ne peuvent guère dépasser le stade des hypothèses de travail. Comme pour de nombreux fonds photographiques, nous ne possédons que des images. Elles sont montées sous forme d’albums de facture artisanale. Les photographies sont collées sur du papier Canson et rassemblées par établissement. Seule la dénomination officielle de l’institution, inscrite à la main, figure sur la couverture, mais aucune légende n’accompagne les clichés. A ce jour, nous n’avons retrouvé aucune archive concernant les modalités et les finalités de cette commande. Restent plus d'une trentaine d'albums et des images extraites des reportages sur les institutions accueillant des mineurs et diffusées sous forme de carnets d’une douzaine de cartes postales. »
(Françoise Denoyelle , « Le studio Henri Manuel et le ministère de la Justice : une commande non élucidée »).
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Françoise Denoyelle , « Le studio Henri Manuel et le ministère de la Justice : une commande non élucidée », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », Numéro 4, 2002 , mis en ligne le 18 mai 2007 [article en ligne : http://rhei.revues.org/index56.html].
Contexte historique
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale, l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à 5 heures.
Se trouvant à Vichy, Joseph Darnand, Secrétaire général au maintien de l'ordre, est avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Il se rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et d'introduire des forces de police dans la centrale, ce afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge, dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des ordres et parlementer au téléphone »
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette par quatre surveillants
Bernard François, mis en cause, en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que blessé
Chauvet Jean et Brun Roger mis en cause par le premier surveillant Dupin, qui affirme les avoir vus participer à la mutinerie avec une arme
Sero Jaime, Marqui Alexandre, Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des ordres et Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le mirador
Canet jean, légèrement blessé au bras
Fieschi Pascal, accusé par le surveillant-chef d'avoir agressé le directeur
Brinetti Henri, accusé par le surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de l'avoir menacé d'un revolver.
Seuls deux des principaux responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu « dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences... Le mercredi 23 février, à quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants. Les procès-verbaux sont remis à la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés devant le procureur de la République afin d'être poursuivis par la section spéciale de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs) et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie. Outre les deux « rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés devant la section spéciale d'Agen ; ces hommes sont envoyés au quartier cellulaire avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février, soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le « quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes le 30 mai 1944.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.