Légende :
Pierre Georges, dit "Colonel Fabien", commandant du secteur FTP Seine-Sud et du détachement de la garde, groupe de choc susceptible d'agir aux quatre coins de l'agglomération
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Lieu : France - Ile-de-France - Paris
Né le 21 janvier 1919, à Paris, dans le XIXe arrondissement, Pierre Georges naît au troisième rang d'une famille qui comptera quatre enfants, soit une sœur – Denise – et deux frères – Daniel et Jacques. Sa mère, Blanche Gaillourdet, meurt de la tuberculose en 1928. Son père, Félix Georges, ouvrier boulanger, milite à la CGTU et adhère au Parti communiste en 1930. Arrêté le 8 juin 1942, désigné comme otage en raison des activités de son fils, il sera fusillé au Mont-Valérien.
En partie élevé par sa sœur qui tient le ménage, Pierre appartient, avec son frère Jacques, au groupe des "enfants ouvriers et paysans" créé par Denise à Villeneuve-Saint-Georges, localité contiguë de Villeneuve-le-Roi où les Georges se sont installés en 1928. S'il ne vit plus avec eux, Daniel, l'aîné, exerce une grande influence sur la fratrie. A dix-sept ans, celui-ci participe à la direction nationale des enfants communistes. Turbulent et attiré par l'activisme batailleur des "Jeunesses", Pierre échoue une première fois au certificat d'études que son père l'oblige à repasser avec succès, en 1932. L'adolescent occupe alors divers emplois sans apprendre aucun métier. Tour à tour aide-monteur, apprenti pâtissier ou cuisinier, garçon de courses, commis boulanger, poseur de rivets, etc., son instabilité professionnelle tient moins à la conjoncture qu'à son caractère irascible qui l'amène à se battre avec l'un de ses employeurs. Le militantisme fait le reste. Revenu habiter, en 1934, avec sa famille dans le XIXe arrondissement, boulevard de la Villette, il s'inscrit au patronage de "la Bellevilloise", anime le groupe des enfants communistes du quartier et organise la solidarité avec les membres de l'Arbeiter Jugend Club. Surpris, la veille du 1er mai 1935, à tracer des slogans, il est condamné, le 11 octobre, par le tribunal des enfants à onze francs d'amende. Secrétaire du cercle des Jeunesses communistes "Combat" en mars 1936, il est admis au Parti communiste.
Malgré les réticences paternelles et celles de la commission des cadres, il part en Espagne en octobre après avoir falsifié sa date de naissance sur sa carte d'identité. Retenu à Albacète où Marty l'emploie comme garde du corps pour éviter de l'exposer sur le front, il finit par être muté à Madrid, dans une école de sous-officiers. D'abord élève, il devient instructeur avant de rejoindre l'état-major de la 14e Brigade La Marseillaise. Au terme d'une période de formation, il parvient à être versé comme sergent-chef, début 1938, au 12e bataillon. Le 19 mars, il est blessé à la cuisse, au bras et, plus sérieusement, au ventre, sur le front d'Aragon. Soigné en Espagne, il regagne la France en août. De loin, Marty veille à parfaire la formation politique du jeune convalescent qui accède au secrétariat de la région Paris-Ville des Jeunesses communistes. Grâce aux cours de recyclage professionnel du centre de perfectionnement de la Fédération de la métallurgie, il acquiert, début 1939, un certificat d'ajusteur d'aviation et s'embauche dans le XVIIe arrondissement, puis à La Courneuve. En avril, ses camarades l'élisent au conseil national des Jeunesses communistes, quelques semaines avant son mariage, le 8 juillet, avec Andrée Coudrier, une militante parisienne qui lui donnera une fille, Monique, née le 10 août 1940.
Il doit toutefois attendre près d'un an avant de pouvoir prendre son enfant dans les bras. Depuis septembre 1939, en effet, la vie du couple se ressent des conséquences de l'interdiction du PCF. Arrêté, ainsi que son épouse, le 3 décembre, pour confection et distribution de tracts communistes, Pierre Georges bénéficie d'un non-lieu, mais se retrouve interné à Baillet (Seine-et-Oise). Lors de l'invasion allemande, en juin 1940, il s'évade à la faveur d'un transfert vers Bordeaux. Tandis que sa femme, libérée en février ou mars 1940, rejoint Paris où elle accouche, le jeune militant reprend contact avec une organisation communiste très affaiblie. Désormais clandestin, "Frédo", son pseudo, séjourne successivement à Brive, Toulouse et Marseille. Là, il prend en charge, à l'automne, la direction des Jeunesses pour l'ensemble du Sud-Est. Intrépide, il redonne confiance aux militants et renoue les fils de Nice à la Corse. Actif auprès des marins de Toulon, il songe à récupérer tout ce qui peut l'être : matériel de reproduction, papier, armes. Muté à Lyon en décembre 1940, il y reste plusieurs mois. Il revient à Paris, au printemps 1941, afin de renforcer la direction nationale des JC. Ancien brigadiste formé au maniement des armes, Pierre Georges est associé aux premiers pas de l'Organisation spéciale du PCF, puis des Bataillons de la Jeunesse en qualité d'adjoint d'Albert Ouzoulias, leur responsable. Résolu à vaincre par l'exemple les hésitations des militants devant la consigne de "descendre" des militaires allemands, il prépare et exécute, en compagnie de Gilbert Brustlein, Fernand Zalkinow et Albert Gueusquin, l'attentat du 21 août 1941 contre l'aspirant Moser, à la station de métro Barbès. A partir de là, les opérations s'enchaînent : attaques de soldats, destruction par incendies ou explosifs de matériels et de locaux allemands ainsi que de permanences de mouvements collaborationnistes…
Tandis que la plupart de ses camarades tombent sous les coups de la police et sous les balles de l'occupant, Frédo échappe de peu à l'arrestation le 6 mars 1942. La sécurité commande son départ de la région parisienne pour l'Est de la France. En Franche-Comté, il constitue, sous le pseudo de "capitaine Henri", les premiers détachements FTPF. Il expérimente avec succès la ligne de large union et recrute, pêle-mêle, pour une lutte armée toujours plus audacieuse, des ouvriers communistes, des prisonniers de guerre soviétiques, des paysans catholiques, des commerçants et des fonctionnaires patriotes. Dénoncé, il est grièvement blessé à la tête par une balle, le 25 octobre 1942, mais réussit à passer à travers les mailles du filet lancé par les gendarmes. Par pour longtemps.
De retour à Paris, il est arrêté, le 30 novembre, à la station République. Quelques jours plus tard, sa femme est à son tour interpellée. Déportée en Allemagne d'où elle ne reviendra qu'en avril 1945, Andrée ne devait plus revoir son mari vivant. Ce dernier pourra encore, épisodiquement, embrasser leur fille confiée à la garde de familles amies qui se relaieront pour la protéger jusqu'à la fin de la guerre. Dans l'immédiat, Pierre Georges, passe des mains des Brigades spéciales à celles de la Gestapo. Sauvagement torturé, il tente de se suicider à deux reprises, mais ne livre rien que ses tortionnaires ne sachent déjà. Emprisonné à Fresnes, il y reste trois mois, au secret avant d'être transféré à Dijon, où les SS le soumettent de nouveau à la question pour lui arracher l'emplacement des dépôts d'armes franc-comtois. Enfermé au fort de Romainville en mars 1943, il s'évade en mai. Epuisé physiquement et moralement, il se repose un temps dans une planque d'Aubervilliers. Rétabli, il repart diriger l'action militaire de sept départements de l'Est. A la fin de l'année, le "colonel Fabien", son nouveau pseudo, contrôle près de 1.200 FTP venus de divers horizons. Spécialiste des initiatives difficiles ou délicates, ses compétences le désignent pour d'autres affectations. Nommé au bureau national des opérations, il a la charge d'une école de cadres FTP dans l'Oise, devient interrégional militaire pour les départements du Centre au début de 1944, aide à la réorganisation des FTP du Nord, rejoint la Bretagne en mai.
Rappelé en région parisienne à la veille de l'insurrection, il reçoit le double commandement du secteur Seine-Sud et du détachement de la garde, groupe de choc susceptible d'agir aux quatre coins de l'agglomération. Depuis son PC de l'Institut dentaire (XIIIe arrondissement), ses FTP participent aux combats de la Libération, notamment contre la garnison allemande du Luxembourg ou, quelques jours plus tard, dans les environs du Blanc-Mesnil. Nouveau chef d'état-major pour l'Ile-de-France de FTP soucieux de conserver leur autonomie, il revendique son appartenance aux FFI dont il approuve l'idée de faire le noyau de l'armée nouvelle par la poursuite de leur mobilisation jusqu'à la défaite des nazis. A cette fin, il part, les 2 et 3 septembre 1944, à la poursuite des Allemands avec un millier d'hommes, avant-garde destinée, une fois encore, à créer l'élan. Engagée aux côtés des Américains, l'unité dépassera le seuil des 3.000 volontaires au moment d'être intégrée, à la mi-novembre, à la Première Armée française. Si les modalités de l'amalgame diffèrent de celles envisagées en septembre, Fabien s'efforce de maintenir l'esprit FTP-FFI des origines, de surmonter les obstacles, matériels et politiques, dressés contre une formation peu ordinaire. Le 27 décembre 1944, il périt dans l'explosion de son PC d'Habsheim (Haut-Rhin) qui décapite une partie de l'état-major de la colonne. L'enquête incriminera une erreur dans le maniement d'une mine allemande dont Fabien voulait examiner le mécanisme avant de l'utiliser pour une opération en zone ennemie. Les circonstances mal éclaircies de la déflagration nourriront, des années durant, le soupçon d'attentat.
Le 3 janvier 1945, des milliers de personnes assistent, à Paris, aux obsèques de ce peu banal colonel d'origine ouvrière, fauché à 25 ans par une mort qu'au nom de son idéal politique il n'avait cessé de défier depuis près d'une décennie.
Michel Pigenet in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004