Louis Aragon
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Libre de droits
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Date document : sans date
Lieu : France
Contexte historique
L'écrivain communiste français le plus célèbre fut un des organisateurs de la Résistance littéraire. Enfant naturel d'un député qui lui faisait office de tuteur, Aragon a été élevé pas sa mère, qui passait pour sa sœur et par sa grand-mère, qui passait pour sa mère, dans la pension de famille qu'elles tenaient avenue Carnot, avant de s'installer à Neuilly. Son grand-père maternel Fernand Toucas, qui avait pris part à la Commune de Marseille, avait déserté son foyer pour partir à l'aventure. Ce singulier roman familial fut une inspiration majeure de son œuvre (le thème du "mentir-vrai"). Scolarisé au lycée Carnot, il entreprend des études de médecine, interrompues par sa mobilisation en 1917. A l'issue de la guerre, il fonde la revue Littérature avec André Breton et Philippe Soupault. La parution d'Anicet ou le panorama chez Gallimard en 1921 annonce des débuts littéraires brillants. Ayant échoué au deuxième examen du doctorat en 1922, Aragon se consacre désormais à ses activités littéraires. S'éloignant de Dada, il fonde avec Breton, en 1924, le groupe surréaliste, qui prend dès l'année suivante position contre la guerre du Rif. En 1927, Aragon adhère avec plusieurs membres du groupe surréaliste au Parti communiste. Mais alors que l'expérience de ses amis est de courte durée, Aragon ne reniera jamais cet engagement, qui le conduit rapidement à rompre avec les surréalistes. Ayant effectué en 1930, avec sa nouvelle compagne Elsa Triolet, un premier séjour à Moscou, durant lequel il a assisté au Congrès des écrivains révolutionnaires de Kharkov, il y retourne de 1932 à 1933 pour assurer l'édition française de Littérature internationale. Journaliste à L'Humanité pendant un temps, il devient en 1933 secrétaire de rédaction de Commune, revue de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, puis en prend la direction en 1937, en même temps que celle du nouveau quotidien communiste Ce Soir. A cette date, Aragon commence à jeter les bases d'une redéfinition du réalisme socialiste intégrant l'héritage réaliste français, afin d'appliquer sur le plan culturel la ligne d'une voie nationale vers le socialisme adoptée cette même année par Maurice Thorez à Arles, à l'occasion du IXe Congrès du PCF. Les romans qui forment le cycle du monde réel (Les Cloches de Bâle, 1934 ; Les Beaux Quartiers, 1936, couronné par le prix Renaudot, et Les Voyageurs de l'impériale, 1942) s'en veulent l'illustration. Mais c'est la poésie qui va devenir le medium privilégié de la technique de "contrebande" littéraire qu'Aragon, mobilisé comme médecin auxiliaire, met au point en 1939, après l'interdiction du PCF et de ses tribunes en raison du pacte germano-soviétique.
D'abord limitée au dialogue entre proscrits communistes, cette technique, élaborée en référence à la protestation pacifiste de Barbusse pendant la Guerre de 1914, et en référence à Brecht, qui cherchait une ruse pour dire la vérité au milieu du mensonge, va se diffuser après l'Occupation allemande et devenir l'arme de l'opposition littéraire orchestrée par Aragon en zone sud. Aragon la met en œuvre dans ses poèmes recueillis dans Le Crève-cœur, Les Yeux d'Elsa et dans la suite Brocéliande. Installé à Nice depuis sa démobilisation, Aragon ne retrouve la liaison avec la direction du PCF clandestin que début 1941 : Georges Dudach alias André vient solliciter sa venue à Paris pour collaborer à La Pensée libre, revue intellectuelle communiste clandestine dont le premier numéro a paru en février 1941. L'intervention d'Aragon lors de son voyage à Paris en juillet 1941 - retardé par son arrestation à Tours pendant une dizaine de jours - est décisive pour l'orientation de la Résistance intellectuelle. Lors de sa rencontre avec le responsable des intellectuels communistes, Georges Politzer, dans l'atelier du peintre Edouard Pignon, Aragon obtient l'abandon du projet qui visait à faire de La Pensée libre la tribune du ralliement des intellectuels et son remplacement par un journal littéraire moins marqué politiquement, qui s'appellerait Les Lettres françaises. Il désigne en outre Jean Paulhan, l'ancien directeur de La Nouvelle Revue française, pour réaliser l'ouverture auprès d'écrivains non communistes, aux côtés de Jacques Decour, qui représentera le parti. C'est de ce tandem Decour-Paulhan que naîtra le Comité national des écrivains. Alors que le PCF voulait le garder à Paris pour s'occuper des publications clandestines, L'Humanité notamment, Aragon obtient la reconnaissance de son "travail légal" en vue de grouper les écrivains en zone sud autour des revues Poésie que Pierre Seghers anime à Villeneuve, Fontaine que Max-Pol Fouchet dirige à Alger, et bientôt Confluences, que René Tavernier publie à Lyon. C'est à partir de ces réseaux qu'il constitue en 1943 le Comité national des écrivains de zone Sud, qui se réunit à l'automne avec le groupement de zone Nord en lui donnant son nom. Tout en collaborant aux Lettres françaises, Aragon anime aussi, avec l'aide de Georges Sadoul et de l'imprimeur René Amarger à Saint-Flour, le bulletin clandestin Les Etoiles et La Bibliothèque française, qui présente des éditions plus populaires que les Éditions de Minuit. Son activité clandestine avait commencé dès février 1942 avec la rédaction et la diffusion de la brochure Les Martyrs, réalisée à partir des témoignages des otages de Chateaubriant fusillés à la fin 1941, et qui est imprimée sous le titre Le Crime contre l'esprit sur les presses de Libération en 1943, puis aux Éditions de Minuit, dans la collection "Témoignages", en février 1944 (elle est signée "le Témoin des Martyrs"). Cette activité se multiplie en 1943, avec la publication, à la Bibliothèque française et aux Éditions de Minuit, du Musée Grévin, sous le pseudonyme de "François La Colère". Sous ce nom ou sous celui de Jacques Destaing, il collabore encore aux deux volumes de L'Honneur des poètes, publiés aux Éditions de Minuit en juillet 1943 et en mai 1944, préface les 33 Sonnets composés au secret de Jean Noir alias Jean Cassou, qui y paraît en 1944, et introduit le volume Péguy-Péri, qui voit le jour la même année. Ses poèmes clandestins seront repris dans La Diane française.
A la Libération, Aragon fait figure, comme Eluard, de "poète national". Pendant les deux décennies qui suivent, il va jouer un rôle majeur au Comité national des écrivains, à l'Union nationale des intellectuels, qui rassemble les différents groupements professionnels issus de la clandestinité, et aux Lettres françaises. Membre suppléant du comité central du PCF à partir de 1950, il devient titulaire en 1961. Entre-temps, à la suite des révélations de Khrouchtchev lors du XXe Congrès du PCUS, il aura recouru à la technique de la "contrebande" dans Le Roman inachevé (1956) pour exprimer ses dilemmes et ses doutes à l'égard de son propre parti, cette fois. Ayant œuvré à la déstalinisation au sein du PCF, il soutient le soulèvement de Prague au printemps 1968 et condamne, dans Les Lettres françaises, l'entrée des troupes du pacte de Varsovie à Prague. Cette prise de position de l'hebdomadaire entraîne la suppression des abonnements en Europe de l'Est, et sa disparition en 1972. Privé de sa tribune, Aragon se retire de la vie politique sans toutefois quitter le Parti communiste.
Louis Aragon est décédé le 24 décembre 1982 à Paris.
Gisèle Sapiro in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004
Sources et bibliographie :
FETA-CNRS, Fonds Elsa Triolet-Aragon.
Aragon, Le Crève-Cœur, Paris, Gallimard, 1941.
Aragon, Les Yeux d'Elsa, Neuchâtel, La Baconnière, 1942.
Aragon, Brocéliande, Neuchâtel, La Baconnière, 1942.
Aragon, En français dans le texte, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1943.
Le Témoin des martyrs (Aragon), Le Crime contre l'esprit, Minuit, 1944.
François La Colère (Aragon), préface à Jean Noir (Jean Cassou), 33 Sonnets composés au secret, Minuit, 15 mai 1944.
Le Témoin des Martyrs (Aragon), Introduction à Deux voix françaises. Péguy-Péri, préface de Vercors, Minuit, 22 juin 1944.
Aragon, La Diane française, Paris, Seghers, 1944.
Aragon, L'Oeuvre poétique, Paris, Livre Club Diderot, 1974-1981, 15 vol.
Pierre Daix, Aragon, une vie à changer, Paris, Seuil, 1975, nouvelle édition Flammarion, 1994.
Nicole Racine, "Louis Aragon", in Jean Maitron et Claude Pennetier dir. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 1914-1939, t. I, Paris, Editions Ouvrières, 1993.
Georges Sadoul, Aragon, Paris, Seghers, coll. "Poètes d'aujourd'hui", 1967.
Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.