Couverture de l'ouvrage de Jacques Mauloy, Les nouveaux saigneurs, paru en 1948

Légende :

Page de couverture de l'ouvrage de Jacques Mauloy, Les nouveaux saigneurs, paru en 1948 aux éditions de la Balance (Paris)

Genre : Image

Type : Couverture d'ouvrage

Source : © Musée de la résistance et de la Déportation en Ardèche Droits réservés

Détails techniques :

Photographie numérique de la page de couverture.

Date document : 1948

Lieu : France

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Sous un  titre évocateur et provoquant en jouant sur les mots « les nouveaux saigneurs », la page de couverture présente l’emblème communiste (la faucille et le marteau), planté sur une carte rougie de sang, suggérant ainsi la mainmise criminelle du Parti communiste sur la France.

Il s’agit ici d’un exemple de la légende noire de la Résistance, et tout particulièrement de la Résistance communiste, construite dans le contexte de la guerre froide par des nostalgiques du régime de Vichy.

Mauloy consacre dans ce pamphlet un chapitre entier à l’Ardèche intitulé « Un département dans la tourmente » où, selon lui, la « répression » fut « particulièrement abominable et féroce », stigmatisant l’action des « Espagnols rouges » et celle des « tueurs de Basile »*. Entre 400 et 600 exécutions sommaires auraient ensanglanté le département, un chiffre proche de celui avancé par le ministre de l’Intérieur Charles Brune en 1951 (627 pour l’Ardèche). Mais ce chiffre fut contesté par le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale qui, après une enquête minutieuse, retient celui de 255 tués, dont une trentaine d’origine inexpliquée ; et qui, après les travaux de Louis-Frédéric Ducros, apportant certains éclaircissements et ceux de Raoul Galataud, corrigeant plusieurs erreurs dont tient compte Joseph Réthoré dans le CD-Rom sur la Résistance en Ardèche, édité en 2004, atténuent singulièrement l’ampleur de la répression extrajudiciaire. Les victimes sont pour une bonne part des miliciens ou des collaborateurs exécutés essentiellement pendant l’insurrection qui suit le débarquement allié en Normandie et dans le contexte des combats de la Libération. Parmi les personnes mises à mort figurent aussi une vingtaine de FFI condamnés par les tribunaux militaires pour pillages ou exactions diverses.
Bien sûr, l’épuration extrajudiciaire a eu ses zones d’ombre et ses abus, suscitant des plaintes et des enquêtes dès la fin 1944, avec des demandes de procès en réhabilitation. Elle se déroula dans un climat de violences inouïes commises par les troupes de l’Axe et de la milice en déroute, après quatre années de dictature vichyste. L’Ardèche libérée, le retour à l’État de droit et le rétablissement des institutions républicaines pour lesquelles les résistants avaient combattus mirent un terme assez rapidement à l’épuration extrajudiciaire.

 

*Basile fait partie des premiers groupes qui formeront la 7101e compagnie FTP, avant de commander la 7103e compagnie à la fin juillet 1944. Il dirige une « équipe spéciale » qui multiplie les actions contre l'occupant et ses alliés (milice, collaborateurs), participe à la bataille du Cheylard et à la libération de Tournon. Les éxécutions dont il est chargé font partie des missions de guerre dévolues à la Résistance avant la fin des combats en Ardèche. Basile, cependant, se plie difficilement aux ordres de ses supérieurs et ses relations se dégradent avec l'état-major FTP-FFI. Le 1er septembre 1944, il s'engage dans le 13e commando de la Légion étrangère qui poursuit les Allemands jusque devant Belfort, avant la dissolution de ce corps le 30 septembre suivant, qui le rend à la vie civile.


Auteur : Jean-Louis Issartel

Contexte historique

Au lendemain de la Libération et en réaction contre l’épuration dont ils étaient la cible, les soutiens du régime de Vichy menèrent très vite une vaste campagne pour discréditer aux yeux de l’opinion publique l’action de la Résistance.
L’auteur, Jacques Mauloy,  qui aurait survécu à une exécution sommaire en septembre 1944, est en relation avec le fils de Philippe Henriot* et avec Paul Touvier.**
Il cite en exergue Xavier Vallat, l’ancien Commissaire aux questions juives sous Vichy, bien connu en Ardèche, qui vient d’être condamné en 1947 à 10 ans de réclusion et à l’indignité nationale : « Français ! Mais qui vous libèrera de vos libérateurs ? » (Xavier Vallat sortira de prison en décembre 1949 et sera amnistié en 1954).

L’ouvrage, paru en octobre 1948, est un pamphlet qui s’inscrit dans la croisade anti-communiste marquant les débuts de la Guerre froide. Celle-ci donne aux nostalgiques du régime de Vichy une plus grande liberté de manœuvre. Il avait été préparé déjà en octobre 1946 par la rédaction, toujours par Mauloy, d’un article paru dans une publication du Journal des nouvelles paroles françaises, qui avait donné lieu à une plainte en diffamation déposée par les anciens résistants ardéchois en 1947, mais qui n’avait pas abouti à la suite du vote de la loi d’amnistie du 16 août 1947.

Michel Biard, dans l’introduction du cahier du GRHIS (Groupe de Recherche d’Histoire de l’Université de Rouen) placé sous sa direction « Combattre, tolérer ou justifier » (PUF Rouen-2009), note à ce propos : « Si dans l’immédiat après guerre, ce type de récits avait pour bien des raisons un public limité, qu’en est-il dès lors que les témoins disparaissent et que la mémoire collective fléchit ? ».

En fait, au début des années 1950, l’ouvrage de Mauloy fit des émules avec la campagne de presse menée par Gabriel Domenech, journaliste au Méridional, autour de « l’affaire du puits de Fons », un ancien puits de mine de fer désaffecté entre Chassiers et Aubenas et où, selon le journaliste, des centaines de victimes auraient été précipitées par les résistants. Du 15 décembre 1950 au printemps 1951, la campagne s’enfle, reprise par plusieurs titres de la presse régionale et nationale. Une enquête est ouverte. Les restes de 34 personnes, dont plusieurs Allemands, sont exhumés lors d’une fouille effectuée en 1959.

Par la suite, en 1988-1991, des historiens comme Philippe Bourdrel dans L’épuration sauvage, ou Henri Amouroux dans les tomes 8 et 9 de sa Grande histoire des Français sous l’Occupation, reprirent une partie des récits de Mauloy concernant l’Ardèche, apportant une caution d’historiens à la légende noire.

Plus récemment, Sylvain Villard (Michel Rigaud, de son vrai nom), dans son ouvrage L‘oubli ou la face douloureuse de la Résistance en Ardèche, paru en 2007, passé au crible l’examen de l’affaire du Puits de Fons, puis celle des exécutions opérées par Basile autour de Lamastre, en s’appuyant sur les documents d’enquêtes effectuées par les services de police et de gendarmerie provoquées par les plaintes de familles des personnes mises à mort, sollicitant notamment ceux contenus aux archives de la Justice militaire, déposées dans la ville du Blanc dans l’Indre, archives restées longtemps non communicables. Un travail minutieux, quelque peu confus, non dénué d’erreurs, comportant de nombreuses digressions et construit à partir de la thèse, relevant plus du fantasme que des faits pris dans leur globalité, selon laquelle les communistes préparaient une prise du pouvoir, et éliminaient ainsi leurs opposants...

Par ailleurs, toujours selon S. Villard, alias M. Rigaud, l’insurrection relèverait plus du mythe que de la réalité. La mise en relief à partir des rapports d’enquête d’exécutions violentes effectuées à la hâte et pour certaines non justifiées, dans le contexte des combats de la Libération, est présentée comme la « face douloureuse de la Résistance » qui ne saurait être ignorée. Tout en se démarquant des exagérations flagrantes du pamphlet de Mauloy, l’ouvrage ignore en partie l’atmosphère particulière des jours qui précèdent et succèdent immédiatement la Libération, notamment la force des réactions populaires après plusieurs années de dictature et d’occupation, avec la montée très puissante des ressentiements largement partagés à la fois contre l’occupant, les collaborateurs et les profiteurs de guerre. Après des années de souffrances, de délation et de peur, la haine contre tous ceux qui avaient collaboré ou « traficoté » avec les Allemands était forte. Mais la passion peut être mauvaise conseillère, source de débordements dont - les documents d’archives en portent foi - les responsables de la Résistance mesuraient les risques, et qu’ils tentaient de maîtriser, alors que l’État de droit n’était pas encore rétabli, par des mesures drastiques, dans un climat d’urgence absolue, difficiles à appréhender en période de paix. Bavures et réglements de compte individuels n’étaient guère évitables. Toutefois, une étude approfondie montre qu’ils furent minoritaires. L’Ardèche libérée, les derniers débordements sont rapidement circonscrits, et à contrario, ce sont l’indulgence ou l’impunité dont certains hauts responsables de Vichy furent l’objet, en relation directe avec le développement de la légende noire de la Résistance dans le contexte de la guerre froide - une légende fortement chargée de contenu idéologique, comme l’était la légende dorée - qui firent scandale dans les milieux d’anciens résistants.

 

* Philippe Henriot, propagandiste de la collaboration avec l'Allemagne nazie, fut secrétaire d'État à l'Information et à la Propagande de Vichy.
Il fut exécuté par la Résistance en janvier 1944.

** Paul Touvier, responsable de la milice dans la région lyonnaise, fit exécuter 7 juifs à Rieux-la-Pape pour venger la mort de Philippe Henriot.
Condamné à mort après la Libération, il échappa aux poursuites en bénéficiant de protections au sein du clergé régulier.
Mais les recherches reprirent dans les années 80. Arrêté, il fut condamné à la prison à vie pour crime contre l'humanité en 1994. Incarcéré, il décéda d'un cancer en 1996.


Auteur : Jean-Louis Issartel

Sources :

Henri Amouroux, in La Grande histoire des Français sous l’occupation, tome 8, Joies et douleurs du peuple libéré, Paris, Laffont 1988, et tome 9, Les règlements de comptes, Paris, Laffont, 1991.

Robert Aron, Histoire de l’Epuration, Paris, Fayard, 1967.

Philippe Bourdrel, L'Épuration sauvage, collection Tempus, Paris, Perrin, septembre 2008 (1re édition 2002), 695 pages.

Joseph Réthoré, article « L’épuration » in CD-ROM La Résistance en Ardèche, AERI, 2004.

Henry Rousso, L’épuration en France, une histoire inachevée, 20e siècle, revue d’histoire n° 1, 1992.

Georges Rufin, Étude statistique de la répression à la Libération en Ardèche, Bulletin du CH2GM, n° 219, janvier-février 1976.

Jean-Claude Vimont, Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération, in Cahiers du GRHIS, Combattre, tolérer ou justifier, sous la direction de Michel Biard, PUF Rouen-Le Havre, 2009.