Légende :
Dans ce manuscrit de treize pages, André Féral, pasteur à Castelmoron-sur-Lot et aumônier de la centrale d’Eysses depuis 1906, relate les évènements survenus dans la prison le 23 février 1944.
Type : Manuscrit
Source : © Fédération nationale des déportés internés résistants et patriotes Droits réservés
Détails techniques :
Manuscrit à l’encre bleue dans un carnet. Nombre total de pages : 13. Dimensions du carnet ouvert : 26 x 20,5 cm.
Date document : 24-25 février 1944
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Dans ce manuscrit de treize pages, André Féral, pasteur à Castelmoron-sur-Lot et aumônier de la centrale d’Eysses depuis 1906, relate les évènements survenus dans la prison le 23 février 1944 et partage son ressenti. Son récit est le premier témoignage direct sur ces exécutions puisqu’il a rédigé le lendemain et terminé le surlendemain. La couverture du carnet ainsi que la page de garde portent le titre « L’exécution d’Eysses 23 février 1944 » et le nom de son auteur, le pasteur Féral. Son récit débute le mercredi 23 février 1944 à 8h30 alors qu’il est convoqué pour se rendre d’urgence à la centrale d’Eysses. Le chauffeur venu le chercher ignore la raison de cette convocation mais l’informe que les détenus se sont soulevés le 19 février. Arrivé à Eysses à 9h40, le pasteur Féral subit plusieurs contrôles d’identité et est impressionné par un tel déploiement de forces de l’ordre. Dans le bureau des surveillants, il retrouve le docteur Guy, médecin de l’établissement pénitentiaire, et l’abbé Bataille, aumônier catholique. Le pasteur Féral est alors mis au courant du déroulement de la mutinerie des détenus. Vers 10h30, les trois hommes sont conduits dans la buanderie où leurs sont amenés les 12 hommes condamnés par la cour martiale le matin même. Trois d’entre eux, dont Jean Vigne, émettent le souhait de s’entretenir avec lui. Jean Vigne lui remet une lettre destinée à sa famille. Le pasteur est étonné par le « calme formidable » dont font preuve les condamnés qui entonnent des chants patriotiques alors qu’Auzias apostrophe le directeur Schivo le menaçant de mort. Jean Chauvet puis Jaime Sero communiquent également avec le pasteur Féral. Sero lui demande d’informer sa compagne domiciliée à Paris. Après avoir écrit leurs lettres d’adieu, les douze hommes sont conduits dans la cour d’étendage, attenante à la buanderie. Le récit se poursuit par la description du lieu d’exécution puis par les exécutions elles-mêmes. Les détenus sont achevés à bout portant. Le pasteur est horrifié par ce qu’il vient de voir : «… froidement ils leur tirent à chacun un coup de revolver dans la nuque. Je n’ai guère vu que les deux premiers gardes mobiles de mon côté mais quelle horreur ! Ils ont tiré sans émotion apparente, infernaux par le calme de leur visage. ». Le pasteur Féral demande aussitôt à être reconduit à son domicile.
Deux croquis viennent illustrer ses propos. A la page 7, le pasteur Féral dessine la disposition des soldats et des détenus dans la buanderie. Quelques pages plus loin, page 11, il représente la cour d’étendage avec l’emplacement de la tourelle, du quartier cellulaire, de la buanderie et du mur sur lequel douze planches et douze poteaux attendent les condamnés. Un rang de soldat est aligné devant le mur du quartier cellulaire alors que deux rangées de gardes mobiles (les uns debout, et les autres à genoux) font face aux 12 détenus. Le docteur Guy, l’abbé Bataille et le pasteur Féral se trouvent à côté des gardes mobiles à proximité de la porte de la buanderie.
Fabrice Bourrée
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale, l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à 5 heures.
Se trouvant à Vichy, Joseph Darnand, Secrétaire général au maintien de l'ordre,est avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Ilse rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et d'introduire des forces de police dans la centrale, ce afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge, dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des ordres et parlementer au téléphone »
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette par quatre surveillants
Bernard François, mis en cause, en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que blessé
Chauvet Jean et Brun Roger mis en cause par le premier surveillant Dupin, qui affirme les avoir vus participer à la mutinerie avec une arme
Sero Jaime, Marqui Alexandre, Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des ordres et Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le mirador
Canet jean, légèrement blessé au bras
Fieschi Pascal, accusé par le surveillant-chef d'avoir agressé le directeur
Brinetti Henri, accusé par le surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de l'avoir menacé d'un revolver.
Seuls deux des principaux responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu « dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences... Le mercredi 23 février, à quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants. Les procès-verbaux sont remis à la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés devant le procureur de la République afin d'être poursuivis par la section spéciale de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs) et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie. Outre les deux « rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés devant la section spéciale d'Agen ; ces hommes sont envoyés au quartier cellulaire avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février, soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le « quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes le 30 mai 1944.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.