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Grange de la ferme de la Taye à Saint-Georges-sur-Eure

Légende :

La grange de la ferme de la Taye où se trouvaient les corps des victimes d'un bombardement (aux environs de Chartres) et où fut enfermé et maltraité le préfet Jean Moulin qui refusait de signer une note attribuant ces morts à des soldats noirs français.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © SHD - Photothèque du Comité d'Histoire de la Deuxième Guerre Mondiale Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique noir et blanc

Date document : sans date [1940]

Lieu : France - Centre - Val-de-Loire (Centre) - Eure-et-Loir - Saint-Georges-sur-Eure

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Contexte historique

A l'aube du 17 juin 1940, des Allemands de la 8e division d'infanterie arrivent à la préfecture de Chartres sur les pas des troupes françaises en repli. Des officiers de renseignement se présentent à la préfecture et emmènent le préfet Jean Moulin au quartier général. Jean Moulin est sommé de signer un document accusant les troupes noires de l'armée française de massacres de femmes et d'enfants. Ce texte rédigé par les services de l'armée allemande devait être signé par l'autorité du département. Jean Moulin indigné, proteste. Aux injures succèdent les coups et un passage à tabac en règle. Il est conduit au lieu-dit La Taye près de Saint-Georges-sur-Eure, où huit cadavres mutilés lui sont montrés. Jean Moulin devant les corps criblés d'éclats d'obus proteste, objecte que ce sont des victimes des bombardements le 14 juin. Il est laissé quelques heures pour réfléchir auprès des restes d'une femme.

A la nuit tombante, non sans avoir insisté violemment pour qu'il signe, les Allemands l'enferment dans la loge du concierge de l'hôpital civil en compagnie d'un Sénégalais fait prisonnier. Craignant de finir par céder, Jean Moulin tente de se suicider en se tranchant la gorge avec des morceaux de verre à terre. " Et pourtant, je ne peux pas signer [...] Tout, même la mort [...] Les boches verront qu'un Français aussi est capable de se saborder [...]. Je sais que ma mère, me pardonnera lorsqu'elle saura que j'ai fait cela pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels et pour qu'elle n'ait pas, elle, à rougir de son fils ". Découvert à l'aube couvert de sang, il peut être sauvé. Il est ramené à la préfecture et soeur Aimée lui prodiguera les meilleurs soins.

Les supérieurs de ces officiers allemands évoquent mal à l'aise, un "malentendu". Jean Moulin, le 12 juillet, relate au ministre de l'Intérieur du gouvernement de Vichy, les faits survenus dans son département depuis le 9 juin, mais ne consacre qu'un court paragraphe à son attitude face aux Allemands : "un des rares incidents qui se soient produits depuis l'entrée des troupes allemandes est celui dont j'ai été victime les 17 et 18 juin, incident sur lequel j'ai décidé de faire le silence dans un but d'apaisement". Il demande à être convoqué pour exposer ses préoccupations.

Cet épisode doit être replacé au coeur d'un épisode plus complexe. Le 16 juin ont lieu les combats au sud de Chartres opposent côté ennemi, la 1ère division de cavalerie et la 8e division d'infanterie, à la 8e division légère d'infanterie coloniale. Dans cette guerre raciale, les Allemands expriment leur aversion à combattre les troupes noires : c'est la Schwarze Schmar - la honte noire - Près de Maintenon et devant Chartrainvillers, le 26e régiment de Trailleurs sénégalais (RTS) oppose une grande combativité. Formé en 1940 à Dakar, il a passé l'hiver sur la ligne Maginot. Il est rattaché à la 8e DLIC, qui, après un transfert dans la Drôme est renvoyée en renfort sur la Seine pour barrer la route aux Allemands. Elle arrive avec 2 jours de retard.

L'étude de M. François permet de comprendre le scénario allemand. Le 16 juin, 193 soldats du 26e RTS ont été tués dont 29 officiers et sous-officiers. A lui seul, le régiment totalise plus de 40 % des soldats tués en Eure-et-Loir. Le 16 juin est découvert le corps mutilé d'un officier, Joseph Pawlitta, chef de musique du 38e régiment d'infanterie de la 8e Division d'infanterie allemande dans la zone de combat du 26e RTS. Les Allemands prétendent que le corps a été mutilé. Le lieutenant Coutures de la 1ère Cie du 26e RTS prisonnier est violemment pris à parti. On parle de le fusiller. Le 17 juin, le 3e bataillon du 26e RTS est encerclé au nord d'Ermenonville-la-Petite et dépose les armes. Le général Feldt de la 1ère division de cavalerie allemande et le colonel von Thüngen commandant le 22e régiment de cavalerie menacent de faire fusiller tout le bataillon. Il semble qu'il y ait simulacre comme pour le lieutenant Coutures. Les mitrailleuses sont placées en batterie.

Le discours tenu à Moulin est tout autre, les Allemands ayant découvert les circonstances de la mort de l'officier allemand, tué au combat. La propagande nazie fait le reste ; elle dénonce la décadence de l'armée française qui compte dans ses rangs des troupes de couleur, donc des "sous-hommes". L'idéologie nazie se réfère également à l'occupation de la Ruhr dans les années 20 par des troupes de l'empire français et rappelle dans son discours de propagande, les exactions de ces troupes d'occupation. Les forces allemandes qui opèrent ces massacres sont des troupes de la Wehrmacht ce qui contredit l'image du "soldat correct". D'autres exemples peuvent être cités de tirailleurs sénégalais ou soldats métropolitains fusillés sur place : près de Chasselay (dans le Rhône) un peu plus de 200 Sénégalais du 25e RTS ont été fusillés ou du 53e Régiment d'infanterie coloniale mixte à Airaines du 5 au 7 juin qui a perdu le Capitaine N'Tchoréré massacré. Jean Moulin est sans illusion sur la psychologie et le comportement de l'ennemi. Il a eu connaissance d'excès de tous genres, dans son département. Dans son journal, il cite le triste exemple de Mme Bourgeois, qui ayant protesté contre la réquisition de sa maison a été fusillée devant sa fille que les Allemands obligèrent à creuser sa tombe

Son attitude fut-elle exceptionnelle ? La situation doit être analysée département par département. Le dictionnaire des préfets et le rapport du président de l'Association de l'administration préfectorale Autrant du 21 août 1940 renseignent sur le comportement général des préfets. Quelques exemples méritent d'être cités. Des préfets livrent un baroud d'honneur face à l'occupant en laissant un temps le drapeau tricolore flotter. Il y a ceux qui dans des départements exposés, ont fait face : le sous-préfet de Dunkerque, les préfets des marches de l'Est, du Bas-Rhin, de la Moselle. Il faudrait aussi ajouter ceux qui demeurent courageusement à leur poste, le préfet de police Roger Langeron à Paris et d'Emile Bollaert à Lyon pris en otage par les Allemands dans la nuit du 19 au 20 juin. Autrand, dans un rapport présenté au gouvernement de Vichy consacre la dernière page à Jean Moulin : " A leur arrivée à Chartres, les Allemands avaient exigé qu'il signât une déclaration reconnaissant que des aviateurs français avaient fait de nombreuses victimes à Chartres et que nos soldats avaient violenté des femmes. Le préfet s'y étant énergiquement refusé, les Allemands l'ont conduit dans une pièce obscure et l'ont roué de coups. Craignant sous la souffrance de prononcer quelques mots imprudents, il s'est ouvert la gorge. Gravement atteint, les Allemands n'ont pas consenti à son transfert dans un hôpital de Paris. Il a été soigné à Chartres. Il est resté des semaines sans pouvoir articuler une parole avec une blessure grave. A fait preuve d'un réel courage civique. ". Le cas de Jean Moulin est unique. C'est le seul aussi qui a été confronté à telles épreuves.


Source :  "Photographies de Jean Moulin face à l'ennemi" par Christine LEVISSE-TOUZE [en ligne]