Plaque à la mémoire de Bernard Crétin et de la famille Keller, Saint Georges-sur-Loire
Légende :
Plaque apposée le 8 mai 2000 sur le mur du cimetière à l’initiative de la municipalité dirigée par Denis Mercier, maire de Saint-Georges-sur-Loire de 1989 à 2001.
Genre : Image
Type : Plaque commémorative
Source : © Photos S Guillet Droits réservés
Détails techniques :
Photographie numérique en couleur
Date document : 2019
Lieu : France - Pays de la Loire - Maine-et-Loire - Saint Georges-sur-Loire
Contexte historique
Bernard Crétin est né le 4 avril 1925 à Saint-Georges-sur-Loire et mort en déportation le 13 ou 14 janvier 1944 au camp de Dora. Sa mère Marie Louise Guesdon préférait l’appeler Daniel, son troisième prénom. D’où l’initiale de la plaque. Son père Ernest Crétin est un gendarme originaire du Cher qui, gazé à Verdun, est revenu les poumons brûlés, bronchiteux et asthmatique. Malgré tout, il avait repris sa fonction de gendarme, et exerçait à Montjean-sur-Loire. Mais dès 1920, épuisé, il avait obtenu une retraite anticipée après 15 ans de service. Il s’était retiré alors à Saint-Georges, dans la demeure familiale de sa femme où son beau-père Guesdon avait longtemps pratiqué le métier de hongreur, c’est à dire de châtreur de chevaux, et plus généralement de soigneur.
En 1931, Ernest Crétin meurt des suites de ses blessures de guerre. Bernard Daniel a 6 ans. En reconnaissance du sacrifice de son père, il est adopté par la République et devient, le 4 février 1932, pupille de la Nation. Il est élevé par deux femmes, sa mère et sa grand-mère. L’abbé Alexandre Perrault, bien connu en Anjou, est alors son proche voisin et ami, car les deux enfants sont à peu près du même âge. Il se souvient d’un garçon discret, mais vif, qui fréquentait l’école publique tenue par M. Métivier, et jouait goal dans la première équipe sportive du village, le Saint-Georges Sportif, montée par cet instituteur. Daniel intègre le cours complémentaire de Baugé, véritable pépinière d’instituteurs, et, à 16 ans, en 1941, est reçu au concours d’entrée de l’Ecole normale d’instituteurs d’Angers, promotion Cyrano.
Or, le 18 septembre 1940, le gouvernement de Vichy a fermé les écoles normales, suspectes de donner un enseignement républicain, donc « subversif ». Les élèves-maîtres, dont certains viennent de loin se retrouvent à l’internat du collège Chevrollier, place de l’Académie - aujourd’hui caserne de pompiers. Ils vont suivre les cours au lycée David-d’Angers. Dès novembre 1941 s’y constitue un réseau de résistance Front National, très ouvert politiquement, puisqu’allant des communistes comme Roger Paul, aux catholiques comme Bernard Daniel Crétin. Leurs premières actions consistent à distribuer des tracts, des journaux – l’École Nouvelle en particulier, des papillons, ces petits papiers volant ou collés dans les rues appelant à l’insoumission. Le groupe se signale en renversant par trois fois le kiosque de propagande place Lorraine, face à la mairie d’Angers. Incendie de la permanence du Parti populaire Français, vol d’armes, cambriolages de mairies. Il fait partie du groupe des élèves-instituteurs résistants arrêtés après l’attaque de la mairie de Vern-d’Anjou dans la nuit du 16 au 17 juin 1943.
Roger Paul, rescapé de cette promotion, témoigne : « L’arrestation de six membres du groupe a eu lieu le jeudi 17 juin, au réfectoire, après le repas. C’était l’époque de la révision du bac, mais nous habitions trop loin d’Angers, et nous n’étions pas revenus chez nous. Les portes du réfectoire se sont ouvertes brutalement, aussitôt encadrées par la police française spéciale. Le chef d’établissement, monsieur G… m’a traité alors de petit saligaud. Il était, avec le surveillant, complice de ce qui se passait. »
Aucun des étudiants habitant les environs d’Angers n’a pu être prévenu. Et c’est ainsi que Bernard Daniel qui avait révisé chez sa mère, à Saint-Georges, les épreuves du baccalauréat, a été arrêté, le 20 juin, alors qu’il se présentait pour passer l’examen.
Trois d’entre eux sont fusillés le 13 décembre à Belle-Beille. Ce sont Pierre Porcher, André Moine et Alfred Clément : des écoles primaires portent aujourd’hui leur nom. Dix autres sont déportés, parmi lesquels Bernard Daniel Crétin, matricule 20 798 au camp de Dora, Robert Fontaine, Maurice Duveau, tous les trois morts à Dora. Marius Briant est exécuté dans la prison de Plötzensee à Berlin en mars 1944 et René Brossard lui, est mort sous la torture à Angers le 23 octobre 1943.
Le général de Gaulle a décoré à titre posthume Bernard Daniel Crétin Guesdon de la Médaille militaire, de la Croix de guerre avec palmes, de la Médaille de la Résistance.
Après la guerre, Guy Riobé, alors secrétaire général de l’évêché, futur évêque d’Orléans, est venu à Saint-Georges célébrer un office à la mémoire de celui qui avait fréquenté l’aumônerie de Chevrollier lorsqu’il l’animait.
La municipalité de Denis Mercier le 8 mai 2000 a choisi d’associer sur la plaque du cimetière sa déportation à celle d’une famille de réfugiés polonais, certes, mais surtout, selon les lois de Vichy de 1940, des juifs assignés à résidence en Anjou comme 60 autres Polonais sur les 159 juifs étrangers du département. Ils vont séjourner en Anjou, à Saint-Georges-sur-Loire, de 1941, comme« réfugiés des côtes », - Saint-Nazaire, jusqu’en février 1944, dans l’une des 17 communes jusqu’alors dépourvues de juifs.
Alain Jacobzone – dans son livre L’éradication tranquille, liste une famille de cinq personnes ; le père Naftal Keller, marchand forain, tient commerce de tissus. Seule la possession d’une voiture atteste d’une aisance antérieure. Les enfants vont à l’école publique. Sarah, la fille aînée fait des cadeaux de tissus, marchandises rares en ces temps de restrictions, par générosité et par sympathie pour les gens qui les ont accueillis. Elle rend souvent visite à une couturière du village, Madame Lambin, chez qui elle travaille parfois et avec la famille de qui elle noue une amitié profonde. Elle a aussi des amies parmi les filles de son âge qui ne l’ont jamais oubliée et ont espéré longtemps la retrouver, la paix revenue.
Le père va jouer à la société de boules. Personne en revanche ne se souvient bien de la mère qui, discrète, effacée, s’enfermait chez elle.
Toute la famille est déportée à Auschwitz. Le père est la première victime. Noté par l’administration française comme étant « en surnombre dans l’économie nationale », il est arrêté en juin 1942 avant même la grande rafle de juillet 1942. Interné à Beaune-La-Rolande, il part pour Auschwitz dans le convoi n°5 du 28 juin 1942.
La vie devient très difficile : « Mme Keller n’a pour toute ressource que l’allocation des refugiés ; le conseil donne avis favorable d’assistance médicale gratuite pour ses trois enfants » peut-on lire dans les comptes rendus municipaux.
En janvier 1944, des gendarmes français se présentent à l’école publique de filles dirigée par Madame Poirier : ils emmènent Irène, puis vont chercher Michel, 9 ans à l’école de Monsieur Métivier. Le gosse crie, se débat. L’instituteur proteste. En vain ! Personne ne peut rien et il est emmené. Ensuite ils vont prendre Sarah chez Madame Lambin, effondrée, qui ne comprend rien. La mère est sans doute arrêtée chez elle.
La mère, Kelzel - Keitel, ou encore Rosa selon les sources et leurs trois enfants Michel, né en 1935 en France et donc français, et les deux filles nées en Pologne, Sarah, en 1928 et Irène en 1929 sont déportés par le convoi n° 68 du 10 février 1944. Aucun n’est revenu : Michel est le seul dont on connait le décès : il est gazé le 15 février. Sarah, la fille ainée des Keller, a jeté une carte du camion qui les emmenait de la prison du Pré-Pigeon à la gare Saint-Laud d’ Angers le 29 janvier. Cette carte est arrivée à Saint-Georges chez les Lambin ; Yves Lambin l’a prêtée à F. Capelle pour qu’elle fasse revivre dans le journal municipal la tragique destinée de ses amis. Il était dans la classe de Michel Keller, marqué à jamais par cette tragédie. Ce document est joint à l’album de cette fiche.
Auteur : Serge Guillet
Sources :
Françoise Capelle, courriels à l’auteur et dossier de préparation à l’inauguration des noms des rues Crétin-Guesdon et Keller à Saint-Georges-sur-Loire le 28 avril 2006.
Alain Jacobzone, L’éradication tranquille ». Le destin des Juifs en Anjou (1940-1944), Ivan Davy éditeur, 2002, 252 p.
1940-1945- Des Angevins en résistance, ouvrage collectif sous la direction de M. Bergère, 2016, publication des Archives départementales de Maine-et-Loire, 219 p.