Entre silence et oubli. Mémoires d’un quotidien rural bouleversé
Légende :
Ouvrage de Sylvette Béraud-Williams paru aux éditions Les Rias en 2009, collection Mémoires
Genre : Image
Type : Ouvrage
Source :
Date document : 2009
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche
Analyse média
Auteur
Originaire de la vallée de l’Eyrieux, Sylvette Béraud-Williams, très attachée à cette ruralité, l’a choisie comme terrain de recherches. Le recueil de mémoire est la base de son travail. Depuis 1975, elle parcourt les campagnes à la rencontre d’anciens qui lui ont confié contes populaires, chansons de tradition orale, savoir-faire, histoires de vies… Cette matière lui a permis d’écrire une quinzaine d’ouvrages dont les plus connus sont l’arbre aux sept vies en collaboration avec la photographe Sylvie Crolard, contes populaires en Ardèche, la cuisine paysanne d’Ardèche, la mémoire retrouvée, de Fernand à Sylvia, tradition et innovation en terre d’Ardèche avec le photographe Claude Fougeirol, entre silence et oubli...
Analyse
Ce livre de 286 pages format A4 paru en juillet 2009 dans la collection Mémoires, édition Les Rias, n’est pas à proprement parler un livre d’histoire mais une remarquable contribution à la connaissance de la vie quotidienne entre 1939 et 1945 sur le plateau de Vernoux (Ardèche) et au-delà au gré des témoignages (une cinquantaine) recueillis entre avril 2004 et janvier 2009 par Sylvette Béraud-Williams ethnologue. Il fait suite à une exposition d’octobre 2005 intitulée « Entre fatalisme et Résistances, mémoires de la période 1939-1945 sur le plateau de Vernoux » montée par l’association Les Rias. La démarche d’ethnologue de Sylvette Béraud-Williams s’inscrit dans le courant qui se développe notamment à partir des années 1970. Ce mouvement a apporté une nouvelle dimension à la recherche historique en s’appuyant sur le vécu, le ressenti des témoins avec leurs charges émotionnelles.
Dans le chapitre 4 : les années de traque, page 104, un passage donne sens au titre de l’ouvrage « Personne ne sut jamais rien de cet accueil risqué là. Personne, jamais. Pas plus au temps des faits qu’en 1999, lorsqu’une plaque a été apposée, en souvenir des Juifs déportés d’Alboussière. Le silence, tel qu’il était de règle pendant leur séjour, s’était maintenu comme une protection, un dernier lien fidèle au cours des ans, entre-soi de ceux qui avaient partagé la terreur, fil ténu portant l’espérance d’hypothétiques retrouvailles. Le silence, tact et pudeur envers ceux qu’ils avaient secourus : « Nous avons fait notre devoir, nous ne voulons tirer aucun avantage de la situation où ils risquaient leur peau... » Le silence, surtout parce qu’ « il était normal » d’apporter son aide, solidarité héritée de siècles de luttes. Le silence, et soudain cisaillant son linceul, l’urgence des derniers témoins à dire, arracher à l’oubli la mémoire de ceux qui s’étaient engagés », avant que les sources ne tarissent.
Dans un cheminement thématique et chronologique, neuf chapitres composent cet ouvrage illustré de nombreux documents notamment des photographies. Ce livre, dont on se détache difficilement tant il est captivant, dégage une forte puissance émotionnelle. Avec sensibilité, il reflète la complexité du genre humain entre collaboration et résistance, entre attentisme et action, entre souillure et droiture, entre peur et courage. Mis en exergue, les multiples extraits des témoins de cette période sont accompagnés d’admirables commentaires de Sylvette Béraud Williams, donnant de belles pages.
« Les souvenirs de ces derniers mois de guerre escamotent souvent causes et effets, stratégies, chronologie, pour ne garder que les moments forts de situations que l’on n’avait jamais imaginées et qui vous révélaient à vous-même: confrontation avec l’ennemi, le combattant d’en face, l’autre que, abstraction faite des camps, causes et commandements d’états majors, l’on arrivait parfois à ne plus considérer, dans son humanité nue, que comme son semblable, otage d’une histoire qu’il n’avait pas voulue, écrasé, épuisé, déchu » ( page 247 ).
« Et restait la douleur. L’indicible vécu dans les camps séparait désormais les rescapés et leurs proches qui avaient pourtant si fort attendu ces retrouvailles. Le cheminement de toute une vie allait parfois être nécessaire pour resserrer les liens, panser les plaies sans toutefois parvenir à combler la faille » ( page 269 )
Alain Martinot
Contexte historique
"Loin de tout" (chapitre I), le pays de Vernoux accueille avec la guerre des réfugiés en provenance des états limitrophes et des juifs. Le conflit est à l’origine d’"Une jeunesse confisquée" (chapitre 2) par les chantiers de jeunesse, la relève des prisonniers en Allemagne et les débuts du STO [Service du Travail Obligatoire] dont les réfractaires vont gonfler les rangs de la Résistance qui s’organise. Les habitants doivent : "Vivre en guerre" (chapitre 3) avec pour se nourrir la débrouille, le troc, le marché noir, l’entraide mais aussi la méfiance, le silence.
Avec : "Les années de traque" (chapitre 4) sont abordés le contexte et les conditions de vie des juifs en Ardèche, les rafles dont celle d’Alboussière le 18 février 1944, l’accueil, les familles rescapées et l’itinéraire d’une famille juive : les Schlenker de Saint-Apolinaire de Rias à Saint-Michel-de-Chabrillanoux.
Dans : "Avant le débarquement attendu, la lutte clandestine" (chapitre 5) sont étudiés : de la clandestinité à l’action l’itinéraire de Robert Combe, les activités des maquisards, un accident de quadrimoteur le 3 novembre 1943 au dessus de Marcols-les-Eaux, les résistances de l’ombre, la répression avec les exemples de Sully Arnal, de Mme Cécile Keller- Dautheville, de Joseph Rignol curé de Silhac et du maquis de Juventin dénoncé. "La rafle" ( chapitre 6 ) présente celle de Vernoux le 13 avril 1944, la dénonciation, la famille Etienne [pharmacien] et l’inquiétude de M. Etienne. Dans le chapitre 7 : "L’insurrection générale", il est question de la levée des hommes à l’annonce du débarquement, de l’AS [Armée Secrète] et des FTP [Francs Tireurs et Partisans], de l’encadrement, de la vie quotidienne, du ravitaillement, de nomadisation et crainte de dénonciation, du maniement des armes et de règlement de comptes et des menaces dans la région de Vernoux. Le chapitre 8 : "Affrontements" fait référence à divers évènements comme le ravitaillement en essence au Pouzin : 9 juin 1944, le Pouzin [tragédie] : 16 juin, l’infirmerie clandestine du Ranc, un avion Halifax s’écrase à Tachay (27 juin), les Allemands au Chambon de Bavas (29 juin), la bataille du Cheylard (5 juillet), les bombardements aériens ( à partir du 29 juin ), une infirmerie clandestine au hameau de La Nove [ Saint-Maurice-en-Chalencon], et en route vers le Sud de l’Ardèche avec Maisonneuve et le pont sur le Chassezac, Vogüé, Lavilledieu. Dans Libération (chapitre 9) il est question de celle de Privas, des prisonniers allemands (août 1944) , de la participation des FFI de l’Ardèche à la libération de Lyon, de poursuivre ou non dans l’armée régulière, de libération, de retour à la vie et pour terminer de reconstruction. Ce livre a pour fil rouge l’accueil de juifs et en particulier le parcours de la famille Schlenker. Un évènement a marqué à jamais la mémoire des habitants de Vernoux : la rafle du 13 avril 1944. Onze personnes sont arrêtées, déportées, cinq ne reviendront pas.
Alain Martinot