Le Petit Marseillais rend compte du bombardement de Marseille, 23 juin 1940

Légende :

Article en page trois du Petit Marseillais , relatant le bombardement effectué la veille par des avions italiens

Type : article de presse

Producteur : MUREL PACA

Source : © Le Petit Marseillais Libre de droits

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le 22 juin 1940, Le Petit Marseillais consacre un bref article en première page au bombardement que des avions italiens ont effectué la veille (voire album). Le lendemain, en page trois un article revient sur l'événement. Le quotidien marseillais ne cache pas que la censure  lui impose des limites : « un public stationnait auprès des points de chute qu'il ne nous est point permis de préciser. » Cette restriction est d'autant plus étonnante que les frappes ont touché le centre ville : le port, les quartiers de l'hôtel de police, de la préfecture et de la cathédrale. Peu d'habitants de Marseille pouvaient l'ignorer d'autant qu'ils se pressaient d'après le journal sur les lieux des bombardements. L'article multiplie les adjectifs pour rendre compte du traumatisme   « émotion considérable... impression de profonde et terrible stupeur » et rendre hommage à l'ensemble de la population marseillaise, secouristes, autorités, habitants.

La nationalité des avions qui bombardent la ville demeure vague,  « les avions ennemis », que ce soit dans l'article du 22 comme celui du 23 . En revanche, Le Petit Marseillais tient à préciser que de « nombreux Italiens immigrés figurent parmi les victimes. » Cette précision prend son sens quand on sait que le bombardement est effectué par des avions italiens. Il s'agit de prévenir des représailles à l'encontre de la population italienne très nombreuse à Marseille en particulier dans les vieux quartiers du port et du Panier.

Le 28 juin, le Petit Marseillais publie en page deux le bilan du bombardement( voire album) : 143 morts et 136 blessés. Le quotidien laisse apparaître les ciseaux de la censure : en tout neuf lignes ont été censurées  soit près du tiers de l'article. La nationalité des avions ennemis n'apparaît pas mais la lâcheté de leur action est stigmatisée par la qualité de nombreuses victimes : des femmes, des enfants des vieillards. Au lecteur de  tirer ses propres conclusions.

Ces articles montrent comment une presse censurée peut rendre compte d'un événement traumatisant. On ne peut cependant pas mesurer le poids de l'auto-censure.


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Le bombardement italien du 21 juin frappe une population déjà éprouvée par les bombardement allemands des 1 et 2 juin 1940. Le 17 juin le maréchal Pétain annonce qu'il faut cesser le combat et engager des pourparlers avec les Allemands en vue d'un armistice qui ne peut être que très défavorable à la France. Le bombardement italien, inutile d'un point de vue militaire peut exaspérer la population d'autant plus choquée que le 18 juin, le ministre de l'Intérieur déclarait les villes de plus de 20 000 habitants villes ouvertes et « à l'abri de la guerre » .Le Petit Marseillais  consacrait  à cette information un article à sa Une  le lendemain. Le communiqué gouvernemental visait à enrayer l'exode des populations mais les Marseillais pouvaient se croire en sécurité.

L'immigration italienne était forte à Marseille. On estime qu'un Marseillais sur quatre était d'origine italienne à la veille de la Première Guerre mondiale. Le quartier du Panier, bombardé le 21 juin 1940 est surnommé « le petit Naples » tant les Italiens originaires du Sud de la péninsule y sont nombreux. Cette population n'est pas pour autant bien acceptée.Dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, les immigrés italiens ont été victimes de violences parfois meurtrières.  Aussi lorsque le 10 juin 1940, l'Italie déclare la guerre à la France alors que les armées françaises sont balayées par l'offensive allemande, le préfet, afin de prévenir tout débordement,  fait interner immédiatement  neuf cents Italiens au fort saint Nicolas. Il invite également l'ensemble des hommes italiens  entre  17 et  60 ans à se rendre le lendemain au stade vélodrome pour souscrire une déclaration de loyalisme à l'égard de la France et se mettre à la disposition des autorités françaises civiles et militaires. Les défaillants sont menacés de « mesures administratives les plus sévères », sous entendu, d'internement. Le Petit Marseillais publie l'avis préfectoral, le 11 juin. La presse dans son ensemble considère que l'immense majorité a souscrit cet engagement. Le bombardement très meurtrier de l'aviation italienne le 2I juin  pouvaient donner lieu à des représailles anti-italiennes. Le Petit Marseillais évite de donner la nationalité des avions ennemis, insiste sur le nombre de victimes italiennes et rend  hommage  à la dignité et au sang froid dont a fait preuve la population marseillaise.

                       


            Sylvie Orsoni