Le directeur des services de police de Marseille recommande l'envoi en Afrique des communistes « les plus dangereux », 20 décembre 1940

Légende :

note du directeur des services de police de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône sur la nécessité de renforcer les contrôles des communistes.

Type : correspondance administrative

Producteur : MUREL PACA

Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 105 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Maurice de Rodellec du Porzic, directeur des services de police de Marseille, alerte le préfet sur « l'insuffisance de la surveillance des internés au camp de Chibron ». Ce camp situé près de Signes dans le Var abrite les militants communistes interpellés en vertu du décret-loi du 18 novembre 1939 qui permet l'internement « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » ( voire contexte historique).

Pour le directeur des services de police, les mesures d'internement prises à l'égard des militants communistes internés à Chibron sont un échec et sont contre-productives.

1)    l'internement permet un militantisme accru et renforce les solidarités entre internés unis par un même idéal. Maurice de Rodellec du Porzic n'hésite pas à employer le terme d'armée pour montrer le degré d'organisation qui se développe à la faveur de l'internement. Afin que le préfet saisisse bien son propos ou traversé par des souvenirs personnels, il rapproche les liens qui se créent dans le camp de ceux nés dans les casernes.

2)    Le camp de Chibron n'est en rien un centre fermé. C'est même une véritable passoire. Les internés sortent et rentrent à leur gré, communiquent avec l'extérieur.

En conséquence, le directeur des services de police propose des mesures radicales : l'envoi dans les colonies d'Afrique des éléments les plus dangereux. Maurice de Rodellec du Porzic mise sur la peur qu'entraînerait une telle mesure. Il s'appuie sur l'opération réalisée lors de la visite à Marseille du maréchal Pétain le 3 décembre 1940. Afin de prévenir toute manifestation d'opposition, dés le 1er décembre,  250 communistes ont été internés sur le steamerSinaïapendant trois jours sans information sur leur destination finale. La peur d'une déportation en Afrique qui aurait saisi nombre d'entre eux paraît de bon augure à Maurice de Rodellec du Porzic.

La situation dramatique des internés dans les différents camps et centres de séjour surveillé apparaît dans ce que Maurice Rodellec du Porzic appelle pudiquement « le grave problème de la décongestion des camps ». La déportation d'opposants politiques outre-mer lui paraît une solution simple et efficace.

 

                                                                                                                                 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Depuis novembre 1938 des mesures sont prises contre ceux que les autorités françaises qualifient d'indésirables. Aux étrangers, en particulier réfugiés politiques, se sont ajoutés les Français, en particulier les militants communistes. La signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939  accroît les mesures à l'encontre  des communistes. Dés le 26 août 1939, le préfet des Bouches-du-Rhône interdit les réunions et publications communistes. La dissolution de toutes les organisations communistes le 27 septembre entraîne une vague de perquisitions. Les dirigeants communistes Jean Cristofol et François Billoux sont arrêtés  et incarcérés à la prison de la Santé à Paris le 9 octobre 1939. Les arrestations se multiplient. Le décret-loi du 18 novembre 1939 permet l'internement de tous les « individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » sur simple décision du préfet.  S'ils ne sont pas soumis aux obligations militaires, ils peuvent être envoyés en centre de séjour surveillé comme celui de Chibron. De nombreux communistes de la région de Marseille sont envoyés dans ce camp situé près de Signes dans le Var. Les autorités déplorent l'insuffisance de contrôle des internés(  voire en album le rapport du préfet des Bouches-du-Rhône au secrétaire d’État à l'Intérieur, 6 octobre 1940).

L'envoi en Afrique des internés ne se réalise pas mais début 1941, le camp est fermé et les internés transférés à Saint Pointe-Claire dans le Tarn.


Sylvie Orsoni

Sources

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.

Mencherini Robert, Midi rouge, ombres et lumières. 1. Les années de crise, 1930-1940. Paris, Syllepse, 2004.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2., Paris, Syllepse, 2009.

Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.