Démantèlement d'un réseau de fabrication de faux papiers pour des antifascistes italiens. Marseille octobre 1940

Légende :

rapport de police sur la mise au jour d'un réseau de fabrication de faux papiers.Marseille, 2 octobre 1940.

Type : rapport de police

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 5 W 360 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le rapport du commissaire spécial au chef des services de la police spéciale présente le démantèlement d'un réseau de fabrication de faux papiers pour des réfugiés politiques italiens.

Le rapport ne permet pas de connaître ce qui a motivé la perquisition. En revanche il montre comment un secrétaire de la Caisse de Compensations (ancêtre de la caisse d'allocations familiales) Paul Ollivier a sollicité différents employés pour fabriquer de faux visas de sortie du territoire français et des visas de transit et d'entrée pour permettre l'émigration de réfugiés politiques italiens menacés (voire contexte historique). Romeo Tonarelli, réfugié politique italien établi à Marseille depuis 1921(voire contexte historique) a fourni des passeports et des calques de visas français et étrangers (voire album), ce qui suppose des complicités à la préfecture de Marseille. Les calques des consulats du Portugal, d'Espagne et des Etats-Unis ont pu être obtenu auprès d'émigrants déjà pourvus de visa. Un certificat d'émigration à destination des Etats-Unis au nom de Giuseppe Favarelli (sic) ,membre du mouvement Giustizia e Libertà ( Justice et Liberté) , avocat et journaliste milanais  réfugié en France depuis 1931( voire contexte historique) a été saisi, ce qui fonde l'analyse de la police : Romeo Tonarelli participait à une filière clandestine d'émigration. Elle devait permettre à des réfugiés politiques menacés de quitter le territoire français.

 La facilité avec laquelle, la police trouve les preuves de la tentative de fabriquer les faux papiers chez les imprimeurs et fabricants de tampons administratifs montre l'amateurisme de ce réseau étouffé dans l'œuf. En revanche, Paul Ollivier et Romeo Tonarelli, n'ont rien laissé qui puisse les incriminer. Le rapport établit cependant une distinction entre Paul Ollivier dont les , étranger et militant antifasciste connu, considéré comme beaucoup plus dangereux.

Le rapport n'indique pas ce qui a entraîné la perquisition. Le groupe Giustizia e Libertà de Marseille était infiltré par des informateurs de l'OVRA (police politique italienne) qui ont pu fournir des renseignements à la police française.

Ce rapport montre la solidarité qui s'établit entre des réfugiés politiques menacés et des Français sans appartenance politique affirmée. 


Sylvie Orsoni

 

Contexte historique

La proximité avec l'Italie fait de Marseille une plaque tournante de l'émigration antifasciste italienne. Romeo Tonarelli, né à Carrare en 1900 est réfugié en France depuis 1921. Il a dans les années trente, une entreprise de bâtiment à La Penne sur Huveaune ce qui lui permet de fournir du travail à de nombreux militants antifascistes italiens comme l'anarchiste Pio Turino. Le groupe Giustizia e Libertà (Justice et Liberté) auquel il appartient  se définit comme un mouvement révolutionnaire socialiste. Il est fondé en 1929 et sa filière marseillaise est particulièrement active. Le groupe marseillais a des liens étroits avec les anarchistes italiens au moins jusqu'à la guerre d'Espagne. Il participe avec toutes les composantes de l'émigration antifasciste italienne au comité d'aide aux Républicains espagnols, le comité Pro Spagna Republicana. Romeo Tonarelli est donc un militant aguerri. Il est incarcéré à la prison de Chave à Marseille à la suite du démantèlement du petit réseau de fabrication de faux cachets administratifs. Il refuse la proposition de la commission d'armistice italienne de rentrer en Italie. Par la suite il parvient à passer clandestinement en Algérie puis au Maroc d'où il s'embarque le 22 novembre 1941 avec d'autres antifascistes italiens sur le Serpa Pinto à destination de Cuba, Saint Domingue et le Mexique.

Giuseppe Favarelli (29-05-1896/ 15-06-1974, Milan) est un avocat et journaliste milanais, membre de la direction clandestine de Giustizia e Libertà à Milan. Il est obligé de s'exiler en 1931 et s'installe à Paris en 1937. Lors de l'offensive allemande en juin 1940, il quitte Paris pour Toulouse et Luchon. Ses tentatives d'émigration échouent puisqu'il est arrêté et interné au camp répressif du Vernet d'Ariège du 24 mars au 3 avril 1942. Relâché il est à nouveau arrêté le 25 juin 1942 et remis aux autorités italiennes à Menton. Condamné à trente ans de prison, il s'évade en septembre 1944 et gagne la Suisse. Il revient à Milan en mai 1946.

Les réfugiés politiques ne pouvaient plus compter sur la protection de la France puisque, par la convention d'armistice, la France s'engageait à livrer les réfugiés dont les autorités allemandes et italiennes feraient la demande. Il était donc vital pour nombre d'entre eux de quitter le pays. Pour cela, il leur fallait trouver le visa d'entrée dans leur nouveau pays d'accueil, les visa de transit espagnol et portugais s''ils s'embarquaient de Lisbonne mais au préalable un visa de sortie du territoire français établi par les préfectures. Or le gouvernement de Vichy donne pour instruction de refuser ce visa aux militants politiques que pourraient vouloir récupérer les autorités allemandes et italiennes. Dernier grand port de la zone libre, dotée de grandes compagnies de navigation et de nombreux consulats étrangers, Marseille a attiré de nombreux réfugiés. Elle devient un piège lorsqu'il apparaît que le gouvernement de Vichy est prêt à livrer ceux qui ont cru pouvoir bénéficier de la tradition d'asile. Des filières d'exfiltration françaises et étrangères se mettent en place. Le groupe Giustizia e Libertà met sur pied   par la suite une fabrique de faux documents beaucoup plus efficace que celle évoqué dans le document. La perfection de la falsification doit beaucoup à l'ouvrier marbrier Omero Ferrarini, originaire comme Romeo Tonarelli de Carrare.  Elle permet à une vingtaine de militants antifascistes sans exclusive de quitter la métropole et d'arriver à Casablanca d'où ils arrivent à partir par le Serpa Pinto.


Sylvie Orsoni

Sources

Caridi Paola, notice sur Giuseppe Favarelli, in Dictionnaire biographique des Italiens,volume 44, 1994. www.trecanni.it/enciclopedia/giuseppe favarelli

Fontanelli Morel Françoise, Pio Turino et le mouvement anarchiste en exil en France durant l'entre-deux guerre. De l'engagement individuel à la mobilisation collective. Thèse de doctorat, université d' Aix-Marseille, 2016. Cette thèse consacrée à l'anarchiste Pio Turino montre les liens Romeo Tonarelli et le mouvement anarchiste italien.

Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.