Le Petit Marseillais approuve les mesures antisémites de Vichy.

Légende :

Article paru à la Une du quotidien, Le Petit Marseillais, annonçant les promulgation des lois du 3 et du 4 octobre 1940.

Type : article de presse

Producteur : MUREL PACA

Source : © © Le Petit Marseillais Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Le Petit Marseillais, principal quotidien marseillais (voire notice Les Juifs d'Algérie ne sont plus citoyens français) , consacre le quart de sa Une et deux colonnes en page trois aux deux lois  concernant  les Juifs et promulguées la veille à Vichy. Ce qui apparaît comme l'article principal qui se poursuit en page trois est en fait le communiqué du gouvernement de Vichy puisque l'agence Havas n'existe plus ( voire notice les Juifs d'Algérie ne sont plus citoyens français).

Le ministère de l'information surveille minutieusement la mise en page de ses communiqués et envoie des consignes impérieuses. La présentation de l'article en Une résulte donc autant de la volonté du gouvernement de Vichy que du choix de la rédaction du journal. En revanche, l'éditorial intitulé « Le statut des juifs » exprime la position du quotidien marseillais.

Le plus gros titre résume la loi du 3 octobre portant statut des Juifs( voire notice premier statut des Juifs, 3 octobre 1940). La casse met l'accent sur le sens de l'exclusion qui frappe les Juifs français : le terme de pouvoir est assez vague pour inclure toutes les interprétations, pouvoir politique et le lecteur pensera à Léon Blum président du Conseil, mais aussi pouvoir économique, influence intellectuelle, artistique, au gré des fantasmes des lecteurs. Le jeu de la typographie met en valeur  différentes interdictions professionnelles. L'encadré « descendant de deux ou trois grands parents juifs » montre que la loi adopte une définition raciale et non religieuse. Toujours en caractères gras, des exemptions sont annoncées mais l'on comprend qu'elles seront réservées à une  minorité  « pour services éminents ou titres militaires ». Cette annonce est immédiatement contrebalancée par le point essentiel  de la loi du 4 octobre : « Les juifs étrangers pourront être internés ». Le corps de l'article publie sans commentaire le statut des juifs et résume la loi permettant l'internement  des Juifs étrangers( voire notice ).

Sans originalité, mais avec constance, l'éditorial justifie les mesures prises par le gouvernement en reprenant les principaux thèmes antisémites :

–      ce sont les Juifs eux-même qui revendiquent de former un corps différent de la nation française . Ils sont par nature racistes et séparatistes.

–      ils sont animés par la volonté de domination.

–      Ils n'ont aucun scrupule ou conscience morale.

–      Ils corrompent  le monde politique, économique et artistique.

L'article  use des procédés propres aux publications antisémites

 -affirmations que rien ne vient justifier « Elles [ les mesures] étaient annoncées depuis longtemps et ne devinrent nécessaires que par la faut même des intéressés. », « En ce qui concerne la France, il n'est pas douteux...

-par suggestion : «  Nous pourrions citer des ouvrages qui font loi dans les milieux israélites...Les scandales de la finance, de la cinématographie et de la presse ont mis en vedette d'audacieux aigrefins et d'intrépide détrousseurs de l'épargne publique » L'affaire Stavisky est encore dans toutes les mémoires. La faillite de la société de cinéma Pathé a été instrumentalisée par l'extrême-droite et son propriétaire Bernard Pathé transformé en archétype du juif corrompant la culture française. Depuis le scandale de Panama en 1892, les liens troubles entre journaux et monde de la finance avaient été souvent dénoncés. A chaque scandale financier qui ruinait de petits épargnants, la presse était  accusée d'avoir publié des articles élogieux sur les sociétés en cause moyennant finance. En décembre 1923, le Parti communiste français dénonçait  « l'abominable vénalité de la presse française ». Pour les antisémites, les juifs en étaient forcément responsables.

-une place particulière est accordée à Léon Blum dont l'accès au poste de président du Conseil incarne « La France enjuivée ». Le rédacteur utilise une expression  caractéristique des pamphlets antisémites depuis la publication en 1886 de La France juive par Édouard Drumont.

La conclusion reprend l'argument avancé dans le premier paragraphe : les Juifs ne sont pas des victimes mais des agresseurs et le gouvernement réagit avec une remarquable mesure.

Le communiqué du gouvernement peutt revêtir une forme dépassionnée, présentant sans commentaire les mesures d'exclusion  antisémites. L'éditorial se charge de banaliser les discriminations antisémites en reprenant la vulgate antisémite . Cela suppose cependant que le lecteur y est déjà accoutumé et ne va pas s'offusquer de ces lois en rupture avec la tradition républicaine.

 


Sylvie Orsoni

Contexte historique

Depuis la fin du XIXe siècle, les milieux traditionalistes et antirépublicains diffusent un discours antisémite. Edouard Drumont en 1886 avec La France juive, puis Charles Maurras dans ses ouvrages et articles, produisent un récit mythique créant un Juif fantasmé, étranger et  inassimilable à la nation, corrupteur et animé d'une volonté de domination. A partir de 1933, la production antisémite journalistique et littéraire s'accentue avec l'arrivée de nombreux réfugiés d'Europe centrale, souvent juifs. Les publications antisémites traquent les juifs dans les scandales politico-financiers qui émaillent la IIIe République. Cet antisémitisme idéologique rejoint un antisémitisme populaire fait de préjugés. L'accès de Léon Blum au poste de président du Conseil exacerbe la haine antisémite. L'effondrement de la IIIe République présentée comme « enjuivée » donc pourrie  permet la formation du gouvernement présidé par le maréchal Pétain qui fait sien le programme de l'extrême-droite antisémite. Dés les premières semaines après son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Vichy prend des mesures discriminatoires : la loi du 16 juillet 1940 complétée par celle du 22 juillet permet de revenir sur les naturalisations, celle du 17 juillet complétée par la loi du 14 août réserve les emplois publics aux Français nés de père français. Les mesures visant les Juifs se succèdent à partir d' octobre 1940 (statut des juifs le 3, loi permettant l'internement des Juifs étrangers le 4, abrogation du décret Crémieux le 7). Elles correspondent à un objectif de purification de la nation : discriminer et exclure les ennemis de l'intérieur. Les étrangers sont par nature suspects et la naturalisation n'efface pas leur origine. Les Juifs, définis comme une race, sont considérés comme les étrangers par excellence, inassimilables et corrupteurs. Ils sont tenus responsables de tous les malheurs de la nation.  Le gouvernement de Vichy  apparaît donc comme celui qui protège enfin les vrais Français et répond à une demande sociale particulièrement forte après le désastre de juin 1940. Il peut se permettre d'éviter l 'outrance et l'invective dans la présentation des lois antisémites et xénophobes, le terrain a été préparé de longue date et l'imaginaire social habitué aux tirades antisémites et xénophobes. L'antisémitisme d'Etat peut sembler  modéré par rapport  aux libelles de Céline et des antisémites frénétiques engagés dans la collaboration idéologique avec l'Allemagne. Il prépare en réalité la collaboration des services de l'Etat à la  « solution finale ».


Sylvie Orsoni

 Sources

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Paxton O. Robert, La France de Vichy 1940-1944, éditions du Seuil, Paris, 1973.

Taguieff Pierre-André (sous la direction de), L'antisémitisme de plume. 1940-1944, études et documents. Berg International Editeurs, Paris, 1999.