Voir le recto

Note du capitaine Alain

Légende :

Note du capitaine Raynaud (« Alain »), chef du 3e bataillon de la Drôme au capitaine Pons commandant la 1ère compagnie.

Genre : Image

Type : Note de la Résistance

Source : © Archives Albert Fié, fonds de la compagnie Pons Droits réservés

Détails techniques :

Note dactylographiée sur papier ; dimensions 13,5 x 21 cm.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

L'intérêt du document est d'aborder plusieurs sujets. Le support lui-même est intéressant par son format et son en-tête.

Le texte est écrit sur la moitié d'une feuille 21 x 27 cm, permettant une économie de papier, à une époque de pénurie. L'en-tête porte l'origine de la note.

Diverses questions, de domaines variés, sont traitées dans ce courrier. Le comportement du groupe Narbonne fait l'objet d'une demande de renseignements. L'attitude du chef de ce groupe inquiète le commandant du secteur. Le deuxième paragraphe a trait à l'immatriculation des Résistants. Ils doivent recevoir des cartes. Des laissez-passer sont envoyés au capitaine Pons afin de faciliter le déplacement des hommes. Le troisième paragraphe traite de l'organisation d'un groupe et son rattachement à l'unité du capitaine Pons.

Le quatrième paragraphe précise les conditions et les moyens de défense qu'il faut établir sur les routes pour s'opposer à une attaque allemande dans la vallée de la rivière Drôme. Le commandant du secteur craint une offensive soutenue par des chars d'assaut. Cette mise en défense est d'autant plus nécessaire que l'on a appris que, dans le sud, une attaque allemande est en cours. Pour faire face à cette situation, le capitaine Pons va recevoir du matériel et notamment des explosifs.

En conclusion, Alain demande à Pons de lui préciser l'adresse de son nouveau poste de commandement.


Auteur : Alain Coustaury

Contexte historique

Quelques jours après le débarquement de Normandie, cette note du commandant de secteur au chef d'une unité est riche d'enseignements sur l'activité de la Résistance drômoise, à un moment où elle opère au grand jour.

Le premier commentaire à faire est de noter la qualité formelle du document. Si le texte est écrit sur une demi-feuille, il est proprement rédigé à la machine à écrire. Les ordres ne sont pas griffonnés à la hâte comme ils le seront après le 21 juillet, lors de l'attaque du Vercors. Le document révèle une bonne organisation au niveau du commandement du bataillon qui doit disposer d'un bureau et de secrétaires. Le libellé de l'en-tête, imprimée, indique l'origine du document. Il est issu du poste de commandement des FFI, sigle en vigueur depuis février 1944, traduisant une volonté d'unité de la Résistance. Ces forces agissent dans le sud de la Drôme, sous-entendant que ce département est organisé en deux secteurs. Celui du nord est composé principalement du Vercors. Le terme le plus remarquable est celui qui définit la forme de combat : la guérilla. Il n'est pas employé au singulier mais au pluriel ce qui signifie qu'il est question de groupes, autrement dit de maquis. Le terme de guérilla est plus fort et a, semble-t-il, une connotation politique. La Drôme sud, à la différence de la Drôme nord et notamment du Vercors, comportait des maquis FTP à sensibilité communiste, au moins en ce qui concerne les dirigeants. Cet en-tête disparaît au début du mois de juillet. Quand on a conservé les feuillets la comportant, on l'a barré ou recouvert par une étiquette. Est-ce lié au changement de commandant des FFI de la Drôme ? Le 3 juillet, Jean Drouot a été remplacé par Jean-Pierre de Lassus Saint-Geniès. Les rapports d'Alain avec le nouveau commandant vont s'améliorer.

Le premier sujet abordé est celui du comportement d'un groupe commandé par le lieutenant Marchal dit « Narbonne ». L'attitude de ce personnage, surtout à partir du 6 juin 1944, est loin d'être exemplaire et a amené le commandement du secteur à prendre des sanctions contre lui. Cet épisode malheureux traduit l'hétérogénéité de la Résistance qui comportait, parfois, des personnes peu recommandables, profitant de la situation pour réquisitionner de façon indue victuailles et matériels dans la population civile. Dans une note du 29 décembre 1944, Paul Pons, à propos de Narbonne, parle de rançon et de pillage dans la région de Grâne. C'est la face sombre de la Résistance qui est ici mise en évidence.

C'est, en partie, pour éviter de telles dérives que des cartes des FFI doivent être établies pour les Résistants. Leur but est aussi de les protéger de la répression allemande qui les considère comme des francs-tireurs ou des terroristes ne pouvant bénéficier de la protection des lois de la guerre. Mais la possession de la carte se révélera une protection illusoire, voire dangereuse.

Le troisième paragraphe évoque un problème d'organisation entre les différents groupes de la région. Comme nous sommes après le 6 juin 1944, les sédentaires sont mobilisés et ceux du groupe de Saoû doivent être réunis à la compagnie Pons. Saoû sera bombardé le 30 juin par l'aviation allemande, comme un village cachant des Résistants.

Le quatrième paragraphe est le plus important en ce qui concerne la défense de la vallée de la Drôme qui est un des accès méridionaux du massif du Vercors. Alain insiste particulièrement sur la nécessité d'établir de solides défenses. Paradoxalement, c'est un moyen de défense statique qui est réclamé par Alain. Il s'agit de planter dans des chapes de béton, sur la route nationale 93, en des endroits judicieusement choisis, des morceaux de rail afin d'arrêter des chars. On construira des ouvrages bétonnés qui auront la même fonction. Ces techniques évoquent les protections de la ligne Maginot ou du mur de l'Atlantique. On est loin de la tactique de la guérilla, guerre de mouvement, d'attaque surprise et de retraite rapide. Alain compte sur la célérité de Pons pour réaliser ce système de défense car il pressent une attaque dans son secteur. Il vient d'apprendre, sans le préciser, le combat qui se déroule au sud-est du département de la Drôme, aux confins de celui des Hautes-Alpes. Le 19 juin, les Allemands sont tombés dans une embuscade dans le défilé de Montclus. Ils réagissent vigoureusement le 20.

Alain envoie des renforts pour soutenir les Résistants qui risquent d'être débordés. Il s'attend donc à une attaque allemande dans la vallée de la Drôme. Pour y faire face, il demande des armes, des explosifs à Jean Drouot (« l'Hermine »), alors chef départemental des FFI de la Drôme.

Comme les groupes se déplacent souvent, Alain, pour bien avoir en main ses chefs d'unité, demande à Pons de lui préciser le lieu de son nouveau PC, dès qu'il y sera installé. Cette requête traduit, implicitement, les difficultés de liaison entre les différentes unités dispersées sur un vaste territoire mal desservi par les moyens de communication.

De cette note d'un chef de bataillon à un chef de compagnie, différents aspects de la Résistance drômoise sont mis en évidence : organisation militaire avec les cartes de FFI, rôle des sédentaires, mise en défense d'un secteur proche d'un accrochage important, appel à l'aide à l'échelon supérieur et aussi évocation d'un chef incompétent ou malveillant. Ces réflexions peuvent s'appliquer à de nombreux groupes de Résistants en France.


Auteur : Alain Coustaury