Jack Jolas à 22 ans, pris en photo à Annonay (Ardèche)

Légende :

Cliché du volontaire Jack Jolas (maquis FTP des Baronnies, puis du Cheylard, dans l’Ardèche), pris en août 1944 à Annonay, alors que son unité venait de libérer Privas.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © Archives Jack Jolas Droits réservés

Détails techniques :

Apparence d’une photo d’identité, mais en fait, simple cliché souvenir produit par un photographe professionnel d’Annonay en 1944. Dimen

Date document : Deuxième quinzaine d’août 1944

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche - Annonay

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Analyse média

Avec quelques copains du groupe FTPF Salomon, Jack Jolas (Étienne) décide de se faire prendre en photo à Annonay, peu de jours après les rudes journées qui ont abouti à la Libération de Privas, le 12 août 1944.

C’est une photo somme toute banale, au moins apparemment. Ces jeunes viennent de toucher leurs effets militaires ; les Allemands, encerclés à Privas – le chef-lieu de l’Ardèche, ont dû concéder un important repli local ; le débarquement de Normandie a eu lieu depuis plus de deux mois ; on vient d’apprendre celui de Provence, le 15 août. Ils pensent peut-être que, si la guerre est loin d’être finie, du moins elle s’avance, et que, dans un moment de calme relatif, pourquoi ne pas songer à une photo souvenir, un peu plus grande et plus soignée qu’une classique photo d’identité. Le blouson du soldat de métier, le calot incliné sur le coin droit de la tête, une originalité avec l’écharpe – appelé plastron actuellement dans l’armée – mise avec un brin d’ostentation, en tout cas hors des critères habituels de l’Armée traditionnelle… Rien de bien surprenant à tout cela !

Cependant, si l’on questionne Jack Jolas, on apprend que le calot, porté avec une certaine désinvolture, ne manque pas d’originalité : le tissu provient du bas de son pantalon militaire, trop long, mais dont le surplus une fois coupé, est suffisant pour y tailler cet attribut du vrai soldat, indispensable à une « belle » photo !

Pour Jack Jolas, dont la mère était couturière, à qui l’on a appris à faire un patron, à couper, à coudre, c’est un enfantillage. D’autant qu’il voulait être tailleur ; s’il a eu une vie professionnelle de peintre en bâtiment décorateur, c’est qu’il n’a pu trouver un apprentissage dans la région de Reims d’où il est originaire au moment où le problème se posait. Le plastron, en soie rouge de parachute, a également été confectionnée par ses soins. Ne confie-t-il pas, ce vendredi soir 19 novembre 2010 au téléphone, après avoir retrouvé la photo dans ses archives, que c’est au maquis qu’il a un peu pratiqué le métier qu’il aurait aimé exercer, lorsqu’il taillait à ses camarades de camp des slips (appelés plus souvent caleçons à ce moment-là) grâce à de la toile de parachute récupérée à la suite des parachutages ! Ces informations donnent au cliché une note singulière propre à l’époque et à l’originalité du soldat volontaire.

Questionné sur la couleur rouge de la soie de parachute, le « tailleur » improvisé confirme le fait : il précise qu’il a offert de la soie rouge et jaune à sa future épouse pour en faire des corsages, cette soie provenant des parachutes.

Curieusement, Jack Jolas, qui ne s’est jamais démuni de son appareil photographique au cours de ses déplacements de maquisard en Drôme et en Ardèche (bien que les ordres l’interdisaient), depuis le 17 juillet 1943, date de son arrivée au camp de Châteauneuf-de-Bordette, a fait appel, ici, à un professionnel pour la photo souvenir ! Remarquons que cette indiscipline au maquis, en 1943-1944 – à l’époque de la clandestinité, on comprend que cette rigueur s’imposait – nous vaut aujourd’hui quelques précieux documents exposés ici en album.


Auteurs : Michel Seyve

Contexte historique

Jack Jolas (« Étienne ») a eu 88 ans en 2010. Serait-il exagéré d’expliquer qu’il ait passé l’essentiel de sa vie en Ardèche, si loin de son pays d’origine, en prenant la mesure de ce qu’a été le moment fort de la Résistance dans l’ensemble de sa vie ? Ce moment, de guère plus d’un an, il le décrit avec aisance : la photo d’Annonay le symbolise assez bien.

Après 10 mois dans les maquis FTP de la Drôme méridionale, il est muté au Cheylard (Ardèche) en mars 1944. Cela va avoir des conséquences à long terme pour lui. Mais ses attaches drômoises sont demeurées très fortes, en témoignent par exemple les relations qu’il conserve avec son ami Félix Rota de Nyons, ancien FTP également, qu’il a retrouvé après la guerre.

Né à Épernay, le 30 mai 1922, il est requis pour le STO en 1943 ; avec l’un de ses camarades également dans son cas, Eugène Déprez, il a décidé de ne pas partir en Allemagne et cherchait un contact avec la Résistance pour se procurer des faux papiers. Mais il ne pouvait plus rester à Reims : il fallait entrer vraiment en clandestinité. Un gendarme (en retraite), tenant un café en ville où se réunissaient les jeunes, lui indiqua une filière lui permettant d’en obtenir.

Le gendarme Deloisant et l’adjudant Labdent leur fournirent de fausses cartes d’identité, la condition étant de s’engager pour une action de résistance armée à l’occupant. Deloisant lui suggéra d’aller rejoindre son fils au maquis, à Châteauneuf-de-Bordette, dans la Drôme. Le gendarme Deloisant mourut en déportation.

Le 17 juillet 1943, Jack Jolas arriva au maquis de Châteauneuf-de-Bordette ; dès lors, il prit le nom d’Étienne. Il séjourna dans ce camp jusqu’en septembre de la même année, avec Bernard Deloisant, Eugène Deprez, Edmond Weinrich, Édouard le Parisien. Un jour, tous les cinq durent prendre le car pour Nyons, puis Valence. Arrivés au chef-lieu, ils se séparèrent : deux furent dirigés vers Saint-Donat, Jack Jolas et Édouard le Parisien restèrent à Valence et furent hébergés par la famille Champion, à Valensolle.

Ils furent huit clandestins dans cette maison, jusqu’au jour où, en octobre, madame Champion vit arriver une traction avant Citroën, ayant à bord deux policiers. Elle prévint immédiatement les jeunes. Les policiers frappèrent de grands coups à la porte. La porte résista. Les jeunes eurent le temps de s’enfuir par une issue, derrière la maison. Ils rejoignirent les Îles du Rhône. Ils n’étaient plus que sept, car Louis, le CM du groupe, avait été arrêté à la sortie d’un magasin (« CM, “Chef Militaire”, dans le triangle des maquis FTP, à côté du CE, “Chef des Effectifs” et du CT, “Chef Technique” », précise Jack Jolas). Ils dérobèrent une barque et descendirent le Rhône, en direction de la Coucourde, avec Robert Bresson (Satan) « à la barre ».

Ils rejoignirent, sous la responsabilité de Satan, le camp d’Autuche, « au-dessus de Montaulieu ».

Au cours de l’automne, vite repérés, ils migrèrent et cantonnèrent à la ferme des Cailles, à Mirabel-les-Baronnies, au sud-ouest de Nyons.

Toujours sous la responsabilité de Satan, des hommes de ce camp participèrent à l’attaque d’un train de permissionnaires allemands, à Portes-lès-Valence, le 10 décembre à 23 heures – opération préparée par les « légaux » du groupe franc de la ville. Cette action a particulièrement marqué sa mémoire. La contre-attaque allemande compromit le retour qui se fit avec les moyens du bord, par Grâne et Die, d’abord ; puis par Nyons : ce ne fut pas sans périls, frôlant souvent l’arrestation, notamment dans un car, lors d’un contrôle, alors que leur mine attirait l’attention, ces jeunes étant mal habillés, mal rasés, mal coiffés… Complice, le chauffeur les a sauvés.

Étienne resta avec ses camarades au camp des Cailles jusqu’à la fin décembre. Il fut dirigé ensuite sur le groupe FTP de La Lance, reconstitué à la bergerie Buffet, après l’incursion de la Milice et de la Gestapo six mois auparavant, le 1er juillet 1943. Il y fut nommé CM. Quelques actions ont marqué ce groupe de vingt-cinq.

Ils décidèrent entre autres, d’aller récupérer trente moutons dans le camp voisin des anciens Chantiers de jeunesse, alors occupé par Alain. Pierre Raynaud, Alain, n’est autre que l’adjoint de Francis Cammaerts, Roger, créateur du réseau de sabotage britannique Jockey dépendant du SOE, important dans le Sud-Est. Le groupe d’Étienne transporta les bêtes et le foin pour leur alimentation dans une charrette, à la bergerie Buffet. « Il fallait bien se nourrir ! ». Le lieutenant Alain arriva alors en « pétrolette », le lendemain, et leur demanda de ramener les bêtes à la ferme des Chantiers de jeunesse. Les « locataires » de la bergerie proposèrent au lieutenant de faire un échange : des armes contre le bétail. Alain hésita, puis refusa. Les jeunes de la Lance le bloquèrent pendant trois jours, ce qui amena Alain à céder et à accepter le marchandage. Au cours de ce laps de temps, l’officier évoqua quelques bribes de son parcours, ce qui permet de l’identifier sans trop d’équivoque aujourd’hui : « embarqué en Angleterre, il avait été parachuté en France ». Il leur remit 25 mitraillettes, 70 grenades, 50 000 cartouches. Les bêtes et le foin furent immédiatement ramenés à la ferme des Chantiers de jeunesse.

Dès lors, des rapports de bon voisinage s’établirent : Alain est venu plusieurs fois à la bergerie Buffet, y trouvant le peu de carburant qui lui était nécessaire provenant des réserves des paysans voisins touchant de l’essence pour leur tracteur. Un jour même, il a offert à Étienne un révolver à barillet à canon basculant et un poignard de commando.

« Le 28 janvier 1944, quatre camarades du camp de la Lance, dont moi-même, partirent faire un coup de main, de nuit, au Crestet (à proximité de Vaison-la-Romaine, Vaucluse). Ce fut une réussite, bien qu’au retour, une panne sèche ait failli tout compromettre. L’affaire s’est cependant bien terminée. Les camps purent s’équiper en vêtements, en fringues diverses, et, surtout, en chaussures… »

Le 29 janvier, une opération fut montée en direction de la mairie de Valréas. C’était le jour de la distribution des tickets d’alimentation : « Un groupe de sept FTP fut constitué et partit dans une camionnette (de la Lance), conduite par Marcel (Marius), en début d’après-midi ». Mais ils parvinrent sur les lieux trop tard : la distribution avait déjà eu lieu. Pour accomplir leur mission, ils avaient utilisé une voiture appartenant à un marchand primeur. « Ce dernier reconnut sa voiture ; il les dénonça aux Allemands. Trois FTP furent tués : Poinas (Mick), Dédé et Luc. Marius, le chauffeur fut fait prisonnier. Les trois rescapés rejoignirent le camp, le lendemain. » Jack Jolas ne voyant pas revenir ses camarades, décida de descendre à vélo à Valréas pour se renseigner, mais ne put rien savoir. Toutefois, un passant lui fit clairement comprendre qu’il valait mieux, pour lui, de quitter les lieux au plus vite ! C’est ce qu’il fit sans plus attendre…

Au début février 1944, le groupe de 25 partit pour Orcinas, près de Dieulefit. Un fermier, Édouard Valéro (ex-capitaine Édouard), se joignit à eux ; il avait participé à la guerre d’Espagne.

Au début mars 1944, Jolas fut muté, en compagnie d’Édouard Valéro, en Ardèche. Ils y renforcèrent un maquis en cours de constitution, à proximité de la vallée du Rhône, à Larnas d’abord, à Saint-Martin-Le-Supérieur ensuite. Ce maquis devint le détachement Salomon, élément de la 7/D2e Compagnie FTP, qui libéra le Cheylard dès le 6 juin 1944 et, un peu plus tard, ajoute Jack Jolas, « après trois ou quatre jours de bataille, Privas, le 12 juin ».

Après le départ des Allemands de Privas, il fut dirigé avec sa compagnie « vers la Roche Saint-Maurice aujourd’hui la Roche-en-Chalancon, puis cantonna à Annonay ». Il renonça à poursuivre la guerre dans les Alpes, selon ses premières intentions. Il fut démobilisé à la fin novembre 1944.

Jack Jolas fit la connaissance d’une jeune fille au cours de son action résistante, au Cheylard précisément, qui devint son épouse.

Après la guerre, il s’y installa comme peintre. Chaque fois qu’il le put, il expliqua aux jeunes ce que fut la Résistance ; il eut des liens avec des professeurs d’histoire et leur apporta ses connaissances d’acteur, pendant les événements, ainsi que les photos prises durant la période 1943-1944. Au cours des années 1943 et 1944, son appareil photo ne le quittait jamais, ainsi que nous l’avons déjà souligné !


Auteurs : Claude Seyve, Seyve Michel
Sources : Entretiens avec Jack Jolas en 2006 et 2010. Capitaine Paris (Lucien Dufour), Mémoires de l’ombre. Raoul Galataud, Parcours dans la Drôme du FTP Jack Jolas, muté en Ardèche en février 1944. Cédérom La Résistance en Ardèche, édition AERI - Musée de la résistance du Teil, 2005. Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.