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André Le Troquer

Légende :

André Le Troquer, représentant de la SFIO au Conseil National de la Résistance en mai 1943

 

André Le Troquer, representative of the SFIO at the National Council of the Resistance in May 1943

Genre : Image

Type : Photographie

Producteur : Assemblée nationale

Source : © Archives de l'Assemblée nationale Droits réservés

Détails techniques :

Photographies analogiques en noir et blanc.

Lieu : France

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Contexte historique

Né le 27 octobre 1884 à Paris (XVIIe arrondissement), André Le Troquer est issu d'un milieu très modeste. Né d'un père inconnu et d'une mère couturière d'à peine vingt ans à sa naissance, sa réussite, aimait-il à rappeler, il ne la devait qu'à son travail, son intelligence et son courage. Élève brillant, boursier, après des études secondaires au collège Chaptal, il entre à la Faculté de Droit. Mais c'est d'abord comme journaliste qu'il gagne sa vie avant de s'inscrire au barreau de Paris, en 1913.

Socialiste depuis 1902, André Le Troquer appartient après l'unité à la 14e section de la Seine et est chargé de suivre la vie politique à l'Hôtel de ville de Paris pour L'Humanité. Il est candidat aux municipales en 1908, avant même d'être éligible, puis de nouveau en 1912. Sans succès.

En août 1914, à trente ans, Le Troquer est mobilisé comme soldat de deuxième classe. Blessé à deux reprises, il perd son bras droit. Lieutenant de chasseurs à pieds, décoré de la Légion d'honneur et de la Croix de guerre, il devient, en 1916, un "minoritaire de guerre". Il appelle dans une réunion de la 14e section socialiste à arrêter ce carnage à tout prix. A Tours, en 1920, il refuse, selon ses mots, "la surveillance occulte" qui s'exerce sur le congrès.

Le Troquer est, depuis novembre 1919, conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine, dans le quartier des Quinze-Vingts (XIIe arrondissement). Il conserve ces deux fonctions jusqu'en 1940. Candidat socialiste malheureux (du fait du maintien communiste) aux élections législatives dans le secteur Quinze-Vingts-Bercy en 1928 et 1932, il emporte le siège de député en 1936, grâce à la discipline du Front populaire. Avocat d'affaires, pacifiste mais patriote, il est notamment conseiller juridique de L'Œuvre de Marcel Déat avant l'Occupation.

Avec la débâcle de l'armée française, en juin 1940, le gouvernement et la Chambre étant transférés à Bordeaux, Le Troquer tente de s'opposer à la démission du cabinet Reynaud. Le lendemain de la demande d'armistice, le 18 juin 1940, devant une centaine de ses collègues, il proteste contre la capitulation de la France, demandant la destitution du maréchal Pétain et du général Weygand. Deux jours plus tard, il s'embarque sur le Massilia, mais les républicains qui y ont pris place espérant la poursuite du combat en Afrique du Nord, sont consignés à Casablanca par le général Noguès. Il ne participe donc pas au vote sur les pleins pouvoirs au gouvernement à Vichy, le 10 juillet 1940.

En septembre 1940, Le Troquer revient à Paris. Le 11 novembre, seul, il dépose dans Paris occupé, une couronne sur la statue de Clemenceau. Et il participe à la reconstitution, dans la clandestinité, du Parti socialiste. Cet homme qui, comme le rappelait son compagnon Daniel Mayer, "faisait tout avec éclat", apprend à dompter sa nature. En 1941, Léon Blum l'engage, avec Samuel Spanien et Félix Gouin, pour sa défense devant la Haute Cour suprême de justice à Riom. Le procès de Riom le met sous les projecteurs et lui permet d'exprimer son talent d'avocat dans une circonstance historique. Le 19 février 1942, il dénonce l'illégalité du procès intenté par le gouvernement de Vichy et appelle publiquement à la Résistance, se faisant l'accusateur du régime. Critiquant la politique de Pétain, il déclare :
"(...) La France, ce n'était pas cela, ce n'est pas cela, ce ne sera pas cela. Elle a été grande par le rayonnement des idées qu'elle incarnait, qu'elle représentait ; nous ne nous résignerons pas aux abaissements qu'on lui fait subir, aux déchéances qu'on lui prépare. Les hommes qui sont au pouvoir devraient relire et méditer cet article 35 de la déclaration montagnarde du 24 juin 1793 : "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs".

"Partout, dans les campagnes comme dans les villes, on souffre du froid, la faim est inapaisée, mais on se raidit et le moral tient ; les anciens comme les jeunes sont rassemblés, les cloisons de partis se sont effondrées, les rivalités religieuses et philosophiques se sont tues ; les Français de toutes qualités, de toutes classes sont au coude à coude. S'il est vrai qu'une partie infime de la bourgeoisie s'est dérobée à l'honneur pour sacrifier à l'intérêt, il n'en reste pas moins que le peuple, les classes moyennes, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la ligne de démarcation, savent montrer partout ce que c'est qu'une nation fière, qui ne doute pas de son destin. Uni dans une attente impatiente, mais avec une dignité crispée et frémissante, le peuple de France montre son espérance, sa volonté de faire revivre souveraines la patrie et la liberté."

Sa plaidoirie l'a désigné à la vindicte de l'occupant et du gouvernement de Vichy. En décembre 1941, il n'est pas nommé à la commission départementale de la Seine chargée de remplacer le Conseil général. Ce qui n'empêche pas Le Troquer de poursuivre ses activités résistantes et de rejoindre avec des frères francs-maçons comme lui Patriam Recuperare. En octobre 1942, après avoir appris par un haut fonctionnaire qu'il allait être arrêté par la Gestapo, il passe dans la clandestinité. Il se réfugie en Auvergne où il est pris en charge par Adrien Malbrut, Alexandre Varenne et des résistants locaux durant six mois. Puis, il se cache huit mois chez des amis dans le bois de Boulogne. Là, il préside dans l'ombre le Comité directeur du Parti socialiste, et rencontre Jean Moulin. Après le refus d'Augustin Laurent, il le représente au Conseil national de la Résistance lors de ses premières réunions à partir de mai 1943. En octobre 1943, mandaté par Daniel Mayer, il passe en Angleterre, puis gagne Alger comme représentant du PS à l'Assemblée consultative provisoire. Le 9 novembre 1943, le général de Gaulle le nomme commissaire à la Guerre et à l'Air dans le gouvernement provisoire d'Alger. Il préside à la réorganisation de l'armée française en Afrique du Nord. Ses proches sont arrêtés par la Milice à Paris en mars 1944. Le 4 avril, il devient commissaire délégué à l'administration des territoires métropolitains libérés ; il le restera jusqu'au 9 septembre.  Rentré dans Paris le 25 août 1944, avec la division Leclerc, il est aux côtés du général de Gaulle lorsque celui-ci remonte les Champs-Elysées vers l'Arc de Triomphe. Du 4 avril 1944 au 9 septembre, Le Troquer est nommé commissaire général délégué à l'administration des Territoires métropolitains libérés. Le 27 août 1944, lui étaient rattachés les commissaires généraux provisoires des départements ministériels suivants : Justice, Finances, Éducation nationale, Production, Ravitaillement, Transports, PTT.

Le Troquer est désormais l'un des hommes en vue de la nouvelle République. Membre du comité directeur de la SFIO en 1944 , le 20 mars 1945, il est porté à la présidence du conseil municipal de Paris et reconduit en mai suivant. En octobre 1945, il est élu à l'Assemblée constituante. Après le départ du général de Gaulle, le 23 janvier 1946, il est nommé ministre de l'Intérieur dans le cabinet Félix Gouin et poursuit la reconstruction de l'appareil d'État. Mais il s'illustre vite par des discours anticommunistes, les premiers tenus par une personnalité officielle depuis la Libération (Moulins, mai 1946), qui ne peuvent être acceptés dans ces temps de tripartisme. Réélu député en juin puis en novembre 1946, il exerce pour un mois les fonctions de ministre de la Défense nationale dans le cabinet Léon Blum (décembre 1946-janvier 1947).

Premier vice-président de l'Assemblée nationale en 1951, Le Troquer supplée souvent Édouard Herriot, puis, lui succède, le 12 janvier 1954, à la présidence de l'Assemblée nationale, devenant ainsi le troisième personnage de l'État. Battu en janvier 1955, il retrouve ce fauteuil présidentiel en janvier 1956. Durant la crise de mai 1958, il rencontre, à la demande du président Coty, et avec son homologue du Sénat Gaston Monnerville, le général de Gaulle à Saint-Cloud, dans la nuit du 28 au 29 mai. Les événements se précipitent et portent de Gaulle au pouvoir. Le Troquer préside les dernières séances de l'Assemblée nationale d'une IVe République agonisante.

Battu aux législatives de novembre 1958, Le Troquer est atteint deux mois plus tard, par l'affaire des "ballets licencieux", dite "affaire des ballets roses". En juin 1960, à 74 ans, il est condamné à un an de prison avec sursis. Il plaide le complot gaulliste, mais sa brillante carrière s'achève sur ce scandale auquel il ne survit que deux années.

Retiré à Andilly (Seine-et-Oise), il rédige ses mémoires qu'il publie sous le titre La parole est à André Le Troquer aux éditions de la Table Ronde en 1961. Il décède le 11 novembre 1963 à Andilly.

 

Born October 27, 1884 in Paris (12th arrondissement), André Le Troquer was the product of a very modest upbringing. Born to an absent father and a seamstress mother who was twenty years old at his birth, her success, as he recalled, came about because of her work ethic, intelligence and courage. A bright scholarship student, after his secondary schooling at Chaptal, he entered law school. However, it was first as a journalist that he devoted his time to before passing the “barreau” in 1913 at Paris.

A socialist since 1913, André Le Troquer later united with the 14th section of the Seine and was charged with the following of political life at the Hôtel de Ville of Paris for L’Humanité. He was a candidate in the municipals in 1908, actually before being eligible, and also a second time in 1912. Both attempts garnered no success.

In August of 1914, at the age of 30 years, Le Troquer was mobilized as a second class soldier. Wounded twice during action, he lost his right arm. Lieutenant of foot soldiers and decorated with the Legion d’Honneur and the Croix de la Guerre, he became, in 1916, a “minoritaire de la guerre”. He called for, during a meeting with the 14th socialist section, an end to the carnage of the war at whatever possible price. At Tours in 1920, he refused, according to his own words, “occult surveillance” which he practiced in the congress.

Le Troquer was, since November of 1919, a municipal councilor of Paris and councilor general of the Seine in the 15-20 quarter (12th arrondissement). He retained the two functions until 1940. A "disappointed" Socialist candidate  (for maintaining communist connections) in the legislative elections of Bercy in 1928 and 1932, he took the deputy’s seat in 1936, thanks to the discipline and support of the Front Populaire. Business attorney, a pacifist yet a patriot, he was notably a jurist councilor for L’Oeuvre of Marcel Déat before the Occupation.

With the debacle of the French Army in June 1940, the government and the Chamber would be transferred to Bordeaux. Le Troquer tried to oppose the resignation of the Reynaud cabinet. The day after the armistice demand, June 18, 1940, before a hundred of his colleagues, he protested against the capitulation of France, asking for the deposition of Marshal Petain and General Weygand. Two day later, he embarked on the Massilia, but the republicans who had established a presence there hoped to pursue combat in North Africa and were sent to Casablanca by General Noguès. Le Troquer did not participate, directly because of this, in the voting of authority to the Vichy government July 10, 1940.

In September of 1940, Le Troquer returned to Paris. November 11, acting alone in occupied Paris, he placed a crown on a statue of Georges Clemenceau. He also participated in the reconstitution of the socialist party. This man who, as his companion Daniel Mayer recalled “did everything with a bang” knew a subdued nature as well. In 1941, Leon Blum enlisted Le Troquer, with Samuel Spanien and Félix Gouin, for their defense in front of the High Supreme Court at Riom. The trial at Riom put him under the spot light and permitted him to express his talent as a lawyer in a historical circumstance. February 19, 1942 he denounced the inequality of the suit brought about by the Vichy government and in doing so became accuser of the regime. Critiquing the politics of Petain, he declared, “France, this is not it, it is not here and it will not be here.  It was grand with the shining of ideas that it personified, that it represented. We have resigned ourselves to the lowering of those who would make us suffer, who would submit us to degradation. The men who are in power should reread and contemplate declaration 35 of the Montagnards from June 24, 1793: ‘When the government violates the rights of the people, the insurrection is, for those people, the most sacred of rights and the most indispensable of needs.’”

“Everywhere in the countryside and the cities, we suffer the cold, hunger is left unsatisfied, but we remain tense and the moral holds; the old resemble the young, the walls which divided us have been taken down, all classes stand elbow to elbow, religious and philosophical rivalries have vanished. If it is true that a marginal part of the bourgeoisie evade the honor of sacrificing for the general interest, it remains that at least the people, the middle class, that are on either side of the line of demarcation, know to show everywhere what it is the nation has pride in, not doubting its destiny. United and patiently waiting, but with a crisp and trembling dignity, the people of France show their hopes and wishes to revive the sovereignty of country and liberty.”

His defense designated the verdict to the plaintiff and the Vichy government. In December 1941, he was not named to the departmental commission of the Seine charged with replacing the Council General. This did not stop him from pursuing his resistant activities and rejoining with the French Masonry Brothers. In October 1942, having learned from a high functioning official that he would be arrested by the Gestapo, he went into clandestine life. He sought refuge at Auvergne where he was put in charge by Adrien Malbrut, Alexandre Varenne and the local resistants for six months. Afterwards, he hid for 8 months with his friends in the Bois de Boulogne. There he was the shadow Committee Director of the Socialist Party and met Jean Moulin. After the refusal of Augustin Laurent, he represented the party in the CNR when the first meeting took place in May 1943. In October 1943, mandated by Daniel Mayer, Le Troquer went to England and then Algeria to represent the PS at the Consultative Provisional Assembly. November 9, 1943, General de Gaulle named him Commissioner of War and Aviation in the provisional government. He presided over the reorganization of the army at Algiers. His confidants were arrested by the Milice in Paris in March 1944. April 4, he became the commissioner of the delegates at the Administration of Free Metropolitan Territories and would remain so until September 9. Le Troquer returned to Paris August 25, 1944 with the Leclerc division and was at the side of De Gaulle when he paraded down the Champs-Elysées. April 4, 1944 to September 9, Le Troquer was named General Commissioner Delegate of the Administration of Free Metropolitan Territories. August 27, 1944 he was reattached to the provisional general commissioners of the following ministerial departments: Justice, Finance, National Education, Production, Food Supplies, and Transportation.

Le Troquer was from then on one of the most noticeable men in the new Republic. Member of the Director Committee of the SFIO in 1944, March 20, 1945 he was brought to the Municipal Council and again the following May. In October 1945, he was elected to the Constituent Assembly. After the departure of General de Gaulle January 23, 1946, he was named the Minister of Interior in Félix Gouin’s cabinet and pursued the reconstruction of the state structure. Yet, he quickly illustrated by his anticommunist discourse, the first held by an official since the Liberation (Moulin, May 1946), that he would not be accepted in this tri-partisan time. Reelected deputy in June and then November 19446, he exercised for a month the functions of Minister of the Defense in the cabinet of Leon Blum (December 1946-January 1947).


First Vice-President of the National Assembly in 1951, Le Troquer often aided Edouard Herriot who he would go on to succeed, January 12, 1954, as the President of the Assembly, thus becoming the third person of state. Beaten in January 1955, he retook the presidential chair in January 1956. During the crisis of May 1958, he met, at the request of President Coty and with his Senate counterpart Gaston Monnerville, General de Gaulle at Saint-Cloud, on the night of May 28-29. The events preceded and catapulted De Gaulle into power. Le Troquer presided over the last scenes of the National Assembly of a dying IV Republic.

Beaten in the legislative elections of November 1958, Le Troquer suffered two months later under the “licentious ballets”, called the “affair of the pink ballets”. In June 1960, at 74 years of age, he was condemned to prison with a pending sentence. He pleaded the Gaullist plot, yet his bright career ended with this scandal of which he would not survive two years.

Retired at Andilly (Seine-et-Oise), he wrote his memoires which he published under the title La Parole est à André Le Troquer in multiple editions with the Table Ronde in 1961. He died November 11, 1963 at Andilly. 

 

Traduction : John Vanderkloot


Gilles Morin, " André Le Troquer ", in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.