Hans Oppenheimer
Légende :
Juif du GTE (Groupe de travailleurs étrangers) de Crest raflé le 26 août 1942 et déporté à Auschwitz.
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Inconnu
Source : © Collection Robert Serre Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Date document : Quelques jours avant son anniversaire, le 4 juille
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Grâne
Analyse média
Pour fêter ses 20 ans, Hans Oppenheimer se fait photographier probablement à Crest (ville la plus proche de Grâne où il y avait des photographes professionnels), dans un beau costume que lui a prêté le fils de son employeur, le paysan Gerland à Grâne.
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
Hans Oppenheimer est né dans une famille juive à Heidelberg le 4 juillet 1921. Son père, Léopold, ingénieur dans les chemins de fer, abandonne cette importante fonction en 1925 pour prendre la direction d’une des plus grandes fabriques de tabac du pays, dont son épouse Rositta était l’héritière, à Wiesloch près d’Heidelberg. Il avait fait la guerre de 14-18 avec un grand esprit de patriotisme et en avait ramené d’importantes décorations, dont la Croix de fer. Léopold et Rositta ont eu deux enfants : Max, né en 1919, et Hans. Après l’arrivée des nazis au pouvoir, ils sentent peu à peu peser sur eux des menaces. Cette inquiétude les conduit à faire interrompre à leurs enfants les études très classiques qu’ils avaient entamées pour un enseignement plus pratique leur permettant de se sortir mieux d’éventuelles situations difficiles.
En 1937, la politique antisémite commence à les toucher. Contraints de « vendre » leur maison d’Heidelberg, ils s’installent dans l’usine de tabac. Mais celle-ci ne tarde pas à être « aryanisée » et leur appartement est détruit au cours de la « nuit de cristal ». Comme tous les Juifs allemands de 18 à 60 ans, Léopold Oppenheimer et ses deux garçons sont arrêtés et emmenés vers le camp de Dachau ouvert depuis 1933. Léopold se défend, exhibant ses médailles et ses blessures d’anciens combattants. Il est relâché, ainsi qu’Hans, mais Max est emmené jusqu’à Dachau. Il pourra pourtant faire valoir sa possibilité d’émigrer et partir en Suisse où il a de la famille. De là, il gagnera l’Angleterre où il restera jusqu’en 1947, travaillant dans une usine d’armement. Peu après, les autorités nazies décident de regrouper les familles juives dans les maisons confisquées à certains d’entre eux. En janvier 1939, Hans et ses parents se retrouvent donc, avec de nombreuses autres familles, entassés dans une « Judenhaus », au 14 de la Landfriedstrass. Une sorte de ghetto miniature où les nazis pourront facilement se saisir d’eux lorsqu’ils décideront la mise en route de leur plan de l’époque : l’évacuation de tous les Juifs à Madagascar. Le 22 octobre 1940, c’est le déclenchement d’une opération brutale contre les Juifs de Bade, du Palatinat et de Sarre. À 7 heures du matin, la Gestapo arrive dans la maison : « Vous êtes expulsés d’Allemagne ! ». à 11 h ½, un camion emmène tous ces Juifs vers la gare et, à 6 h 15 du soir, le train bondé quitte Heidelberg. Par Karlsruhe, Freiburg, Mulhouse, Belfort, Dijon, Lyon, Avignon, Sète, Carcassonne, Toulouse et Pau, il arrive à Oloron où des camions chargent et conduisent au camp de Gurs Hans et ses compagnons de voyage. Six trains déchargent ainsi 6 500 Badois épuisés par un voyage de 4 jours et 3 nuits. Les Oppenheimer sont placés dans la baraque 20 de l’îlot E. Hans y restera près d’un an avec ses parents.
Le 11 septembre 1941, il apprend qu’il est transféré dans le 352e GTE de Crest. À son arrivée, il est affecté à une coupe de bois de la société La Mure à Omblèze. De la montagne, avec son compatriote Alfred Rubin, de Manheim, et trois Polonais, il doit faire descendre les troncs par un câble métallique. Avec le froid, le travail est très dur : « Même les Polonais, c’est tout dire, en pleurent presque et ne veulent pas rester ici », écrit-il le 26 septembre 1941. Peu après, Hans, de trop faible constitution, est muté chez un paysan de Grâne, Ferdinand Gerland. Il couche dans un lit avec un édredon, ce qui le comble de joie. Pendant près d’un an, environ 200 lettres vont s’échanger entre Hans et ses parents internés à Gurs, puis à Noé, près de Toulouse. Dans ses lettres, Hans raconte ses journées d’ouvrier agricole : il fait la saison des battages avec les équipes se déplaçant d’une ferme à l’autre derrière la batteuse. Il dit le plus grand bien de son « patron ». Cependant il souffre beaucoup d’être séparé de ses parents. On est très surpris des informations qu’il arrive à connaître, par exemple l’exécution de 100 otages juifs à Paris en décembre 1941. Il parle aussi de la déportation de Juifs vers l’Est dans ce qu’il croit être des camps de travail. Il voudrait faire venir ses parents près de lui, mais, explique-t-il, il n’a pas la chance d’Adler – qu’ils connaissent – dont l’employeur a payé une caution pour rapprocher sa mère et sa sœur*.
Le 4 juillet 1942, Hans Oppenheimer avait fêté ses 21 ans à Grâne. Ses parents lui avaient envoyé en cadeau une histoire manuscrite de leur famille. La famille Gerland le gâte. Il se fait photographier dans un beau costume. Au cours de ce mois, Hans obtient une permission pour aller voir ses parents à Noé. L’autorisation d’entrer dans le camp de Noé lui est accordée. On imagine sa joie. Hélas ! Au moment de son départ, il reçoit un courrier du chef du camp de Noé : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que l’autorisation de visite que vous avez reçue est nulle et non avenue, les visites étant supprimées ». Hans ne se doutait pas qu’il ne reverrait plus jamais ses parents et que ceux-ci ne retrouveraient son visage que sur sa photo d’anniversaire prise quelques jours avant.
Le 20 août 1942, alors que la veille, il écrivait : « Notre capitaine [Texier] nous a déclaré qu’il n’y a pas de danger pour nous », Hans Oppenheimer reçoit à Grâne l’ordre de se rendre au camp de Crest. Il obéit, mais il est inquiet. Depuis quelques jours, dans leurs lettres, ses parents font état de rumeurs circulant dans leur camp de Noé sur le transport des Juifs en Pologne : « Fais tout ce que tu peux pour rester avec ton patron », lui ont-ils dit le 31 juillet.
Il a reçu une lettre du 15 août caviardée par la censure : « Nous avons eu peur que toi aussi…… Aussi nous avons attendu……. Le journal de Zurich a écrit………. ». Il a envisagé de rejoindre la « maison de l’abbé Glasberg dans la Drôme, mais il faut payer 3 000 F de pension ». Il fait allusion au centre établi par cet abbé à l’hôtel Bitsch de Pont-de-Manne, dans la commune de Saint-Thomas-en-Royans, sur lequel on sait peu de choses.
Le 20, Hans écrit à ses parents : « Mon patron va m’accompagner à Crest pour tenter de convaincre le chef de camp qu’il ne peut se passer de moi. Je vais seulement prendre ma valise, je laisse ici ma caisse avec mes photos et mes lettres ».
Dans la lettre du 24 août envoyée de Crest, il dit : « Nous sommes 32 Juifs, des hommes de moins de 50 ans. On dit que nous devons aller dans un autre camp […]. Mes patrons étaient si attachés à moi qu’au moment de mon départ, tous ont pleuré. Ils m’ont donné de la nourriture pour plusieurs jours. Le fils Gerland est venu à Crest avec moi pour essayer de me garder, mais toutes ses tentatives ont été vaines. Je vous prie de leur écrire quelques mots pour les remercier de tout ce qu’ils ont fait pour moi […]. Nous pensons que nous allons quitter le camp de Crest puisqu’on nous a regroupés ».
Le 26 août, c’est du « Centre de séjour surveillé » de Fort Barraux que Hans envoie sa dernière lettre : il se réjouit que ses patrons lui aient fait passer un colis de nourriture à Crest avant son départ car il en a eu bien besoin.
Le 28 août, les parents envoient une lettre à leur fils. Le père l’achève par ces mots : « Sois prudent, sois honnête, sois serviable, sois obéissant ». Surprenante naïveté d’un homme qui a toujours été persuadé que lui et sa famille étaient parfaitement assimilés au peuple allemand, qu’ils se conduisaient parfaitement et qu’on ne pouvait leur faire de mal. Hans est déjà parti pour Drancy.
Ses compagnons et lui, entassés dans un wagon, arriveront à Auschwitz. On lui tatoue sur le bras le n° 130 778. On ne sait rien de cet enfermement de près de trois ans, sinon qu’Hans est affecté aux kommando de Ottmuth, puis de Blechhammer, en Silésie.
Sans nouvelle de son fils, madame Oppenheimer écrit le 28 septembre au chef du GTE de Crest. Texier, feignant l’ignorance, envoie une réponse sèchement administrative, l’assurant que l’argent de son fils « a été remis à l’escorte chargée de sa conduite à Fort Barraux. Hans Oppenheimer étant porteur d’un reçu régulier, cet argent lui a été certainement rendu par la suite ». Était-ce bien cela que la mère d’Hans voulait savoir ?**
Le 18 janvier 1945, voyant l’avance de l’armée soviétique, les nazis font évacuer l’immense complexe concentrationnaire d’Auschwitz. Ne laissant que les 7 000 hommes et femmes incapables de marcher que les Soviétiques découvriront à leur arrivée le 26, les SS jettent sur les routes, par un froid polaire, les 58 000 détenus restants. C’est la « marche de la mort ». Hans est dans cet énorme groupe forcé de reculer vers l’ouest. Au début février, il arrive au camp de Gross Rosen. Mais il faut reprendre la marche jusqu’à Buchenwald. Hans est placé dans le « petit camp ». Comme des milliers d’autres déportés, il est à l’agonie. Le 17 mars, il meurt. Le 11 avril, les troupes américaines libèrent le camp. Hans avait quitté ce monde trois semaines trop tôt.
Le 23 avril 1946, Rositta Oppenheimer vient à Grâne. Elle ne sait rien de ce que sont devenus son mari Léopold, déporté à Maïdanek en février 1943, et son fils Hans, dont elle n’a plus aucune nouvelle depuis sa lettre envoyée de Fort Barraux le 26 août 1942. Elle se rend à la ferme Gerland où on lui remet les photos et la correspondance laissées par Hans et son journal intime resté inachevé. C’est une belle journée de printemps. Rositta va s’étendre dans un pré voisin et lit les pages écrites par son fils. Puis elle prend son stylo et, à la suite des derniers mots, elle écrit à ce garçon que, follement, elle espère encore en vie :
« Grâne, 23 avril 1946
Mon cher enfant
Je suis ici, chez tes patrons […], je cherche tes traces […]. Quatre ans se sont écoulés depuis ta dernière inscription dans ce journal, quatre ans d’inquiétude, de chagrin, de douleur. Ce matin, je me suis assise sur l’herbe dans cette campagne magnifique et j’ai lu avec beaucoup de souffrances tes notes. J’ai lu ta peine d’être éloigné de nous, la chaleur de ton amour pour tes parents […]. Et mon cœur a saigné de douleur. Que de choses sont arrivées ! Toi, mon pauvre enfant, tu as été déporté dans un camp d’esclavage. Léopold, ton cher père, a aussi été déporté. Moi, j’ai erré d’un côté et d’autre dans cette France courtoise, mais sans cœur, seule et abandonnée de tout le monde […]. Marcel Garcia m’a écrit que tu étais encore en vie en 1944. Je conserve l’espoir que tu aies pu survivre. […] Je veux retourner chez nous, réparer notre chère maison, pour toi, mon cher enfant car, quand tu reviendras, tu auras besoin de calme et d’une mère qui prenne soin de toi […]. Je ne regrette pas d’être venue ici, d’imaginer comment tu y as travaillé chez ces gens si aimables. Tous t’ont aimé et disent le plus grand bien de toi, de ton travail, de ta conduite à leur égard. Je te remercie, mon chéri, d’être resté toujours le même. Je suis fière de toi, mon cher enfant. Si tu reviens un jour, cette lettre sera ma réponse et mon salut.
Ta mère, Rositta. »
Rentrée en Allemagne, Rositta Oppenheimer apprendra enfin officiellement que son mari est mort à Maïdanek et son fils Hans à Buchenwald. Max, son autre fils, reviendra d’Angleterre en mars 1947. Elle deviendra directrice d’une maison de retraite de la communauté juive d’Heidelberg***.
(*) Norbert Giovannini et Frank Moraw, Errinertes Leben, Autobiographische Texte zur jüdischen Geschichte Heidelbergs, Heidelberg, 1998, éd. Wunderhorn, 400 pages. Dans cet ouvrage, Frank Moraw a publié et analysé une sélection de 42 des lettres échangées entre Hans Oppenheimer et ses parents. Frank Moraw a également dirigé la publication d’une brochure sur la famille Oppenheimer : Oppenheimer, eine Heidelberger Famille vor dem Holocaust, éd. Wunderhorn, Heidelberg, 1998, 48 pages. Entretiens avec Frank Moraw, 8, 10 et 18 août 1999. Témoignage de Mme…, née Gerland, 18 août 1999.
(**) Entretiens avec Frank Moraw, 8, 10, 18 août 1999. Correspondance entre Hans Oppenheimer et ses parents, juillet-août 1942, op. cit.
(***) Entretiens avec Frank Moraw, 8, 10, 18 août 1999. Correspondance entre Hans Oppenheimer et ses parents, juillet-août 1942, op. cit.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Archives Frank Moraw, Heidelberg. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, Valence, Peuple Libre/Notre Temps, 2006. Des indésirables. Politisches Archiv des Auswartgen Amts, Juland II A/B, 83-76, R 99 817. Fort Barraux, 1940-1944, camps et prisons de la France de Vichy, plaquette de l’exposition du Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, 1998. Correspondance et entretien avec Sylvia Charbit, coauteur du chapitre « Les Juifs à Fort-Barraux » dans cette plaquette. Norbert Giovannini et Franck Moraw, Errinertes Leben, autobiographische Texte zur jüdischen Geschichte Heidelbergs, Wunderhorn, Heidelberg 1998. Correspondance entre Hans Oppenheimer et ses parents, juillet-août 1942. Entretiens avec Frank Moraw et Renée Gerland, 1999.