Opération Gaff (juillet-août 1944)

Légende :

Carte de l'itinéraire suivi par le commando SAS chargé de l'opération Gaff

Genre : Carte

Type : Carte

Producteur : Christophe Clavel

Source : © Département AERI de la Fondation de la Résistance Droits réservés

Lieu : France - Ile-de-France

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Contexte historique

Juste après le jour J, le lieutenant-colonel William Fraser, du 1er régiment SAS, avait sauté en parachute au-dessus du Morvan dans le cadre de la mission Houndsworth. Dix-huit officiers et 136 soldats avaient suivi, dans le but de harceler l'ennemi remontant de la Côte-d'Azur vers la Normandie. Au cours de sa mission, Fraser entre en contact avec Monsieur Defors, propriétaire d'une demeure près de la Roche-Guyon. Ce dernier lui apprend que le château de cette ville est occupé par le maréchal Rommel et son état-major. Le 14 juin 1944, Fraser prévient Londres : "Source très sûre déclare quartier général de Rommel se trouve au château de La Roche-Guyon, 80 km ouest de Paris et 16 km de Mantes sur la rive droite de la Seine. Rommel là-bas depuis le 25 mai, état-major y est en permanence. Rommel arrive par rive gauche Seine, traverse par bateau à moteur. Marche et chasse dans forêt de Moissons. Envoyer cartes de la région et carabines spéciales. Préfèrerais ne pas vous voir envoyer une équipe pour ce travail, le considère comme mon gibier personnel." (Anthony Cave Brown, La guerre secrète).

Face aux difficultés de la mission envisagée, de l'éloignement de Fraser et de l'extrême importance de l'opération Houndsworth, Londres décide d'envoyer une équipe spéciale : "A Fraser : regrettons d'avoir à empêcher votre attaque personnelle contre Rommel. Apprécions vous voir le considérer comme votre gibier, mais votre tâche vous commande de rester en poste dans secteur actuel. Ce gibier sera attaqué par équipe spéciale " (Anthony Cave Brown, op. cit.). Le plan Gaff voyait ainsi le jour sous le numéro 32. Les ordres étaient précis : "tuer ou kidnapper (pour l'emmener en Angleterre) le maréchal Rommel, ou tout autre officier supérieur de son état-major " (National archives, Londres, WO 218/191). C'est donc à une équipe spécialement entraînée, un officier et six hommes, que revint la mission. Le chef du commando, le capitaine Raymond Lee (de son vrai nom Raymond Couraud) était un expert en la matière et avait déjà effectué plusieurs opérations en Europe. Il avait notamment été le seul Français à participer au raid sur Saint-Nazaire le 28 mars 1942.

Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1944, le commando est parachuté dans la région de Dourdan. Lors du parachutage, les hommes ont été dispersés. Quatre d'entre eux se trouvent au matin du 26 juillet au lieu-dit "la vallée des Pierres aiguës" sur le territoire de la commune de Boissy-le-Sec. Il s'agit du sous-lieutenant Robert Raillard (Français), du sergent Pierre Durban (Français), du sergent Fedossef (Russe) et du sergent Mark (Allemand). Deux hommes manquent à l'appel, le capitaine Raymond Lee et le sergent Tom Moore. Le sous-lieutenant Raillard envoie Pierre Durban en reconnaissance au village le plus proche, Plateau. Il arrive devant la première maison du village où demeure Mme Suzanne Sauger qui cache chez elle depuis le début de l'Occupation un républicain espagnol, José Antich. Lorsqu'elle voit le sergent Durban en uniforme, elle pense avoir affaire à un soldat allemand. Durban lui dit qu'il cherche une rivière. Elle s'aperçoit alors que le soldat qu'elle avait pris pour un Allemand parle très bien le français avec un accent du midi. Curieuse et un peu inquiète, elle lui demande pourquoi il cherche une rivière et lui fait remarquer qu'il parle très bien le français. Durban, plus confiant, lui raconte son aventure, le parachutage, ses camarades qui l'attendent quelque part et ajoute qu'il est natif de Toulon. José Antich, qui a combattu dans les Brigades internationales, finit par s'apercevoir qu'il ne s'agit pas d'un soldat allemand comme il l'avait cru lui aussi. Il sort de la maison et engage la conversation avec Durban. Il lui explique que la rivière qu'il recherche existe bien mais à plusieurs kilomètres au nord, c'est-à-dire à Villeconin. Durban lui demande alors de l'aide pour rechercher ses deux camarades manquants. José Antich lui fait comprendre qu'il est en situation irrégulière mais qu'il va faire le nécessaire. Il part alors prévenir René Maubailly qui travaille dans une ferme de Plateau. Ce dernier demande de l'aide à deux de ses camarades, Lucien Richer et Serge Marchais qui acceptent immédiatement.

José Antich, René Maubailly, Lucien Richer et Serge Marchais accompagnés du sergent Durban rejoignent l'endroit où se sont cachés les trois autres parachutistes. Après présentation, le lieutenant Raillard leur explique que des armes et des munitions sont déposées à quelques kilomètres au village de Boissy-le-Sec et leur donne les noms des personnes chez qui ces armes sont cachées : Monsieur Palleau et son genre Lecren. René Maubailly et ses camarades prennent alors la direction de Boissy-le-Sec et récupèrent l'équipement du commando. Le 26 juillet 1944, le capitaine Lee et le sergent Tom Moore se trouvent à quelques kilomètres au sud d'Etampes, à la Forêt-sainte-Croix. Ils entrent en contact avec un jeune garçon demeurant à la Forêt-sainte-Croix qui les guide jusqu'aux environs de Boissy-le-Sec. Le capitaine Lee l'envoie ensuite au village de la Forêt-le-Roi afin d'obtenir quelques renseignements. C'est là qu'il rencontre Raymond Girard et lui explique qu'il vient voir un avion qui aurait été abattu dans la région. Girard n'est pas convaincu et questionne le jeune garçon. Raymond Girard comprend qu'il y a dans le récit du garçon un lien avec les deux parachutistes recherchés. Le jeune se décide à lui dire la vérité mais refuse de lui dévoiler où sont cachés les deux hommes. Raymond Girard prend alors contact avec André Dantonnet qui lui demande de le conduire auprès des parachutistes. Quelques instants plus tard, Girard et Dantonnet font la connaissance du capitaine Lee et du sergent Tom Moore. André Dantonnet part immédiatement annoncer la nouvelle à René Maubailly qui établit la jonction entre les hommes du commando. Le capitaine Lee envoie alors un message par pigeon voyageur à destination de Londres pour signaler que " l'équipe a bien atterri, mais à 15 miles au Sud Est de l'endroit qui avait été prévu et qu'ils ont perdu leur équipement radio " (archives nationales, 3AG2 463).

Le soir du 27 juillet, le commando est prêt pour le départ. Hormis les parachutistes, plusieurs hommes les guident vers la première étape : René Maubailly, André Dantonnet, Louis Paulic, Serge Marchais, Lucien Richer et le jeune garçon de la Forêt-sainte-Croix. Chacun des douze hommes se charge d'une partie des armes et munitions. La première étape conduit le groupe à Saint-Rémy-les-Chevreuses où les hommes se reposent dans les ruines d'un vieux château avant d'être hébergé dans la propriété des époux Vernes. A ce moment, André Dantonnet et Louis Paulic, mariés et pères de famille, ainsi que le jeune garçon décident de retourner chez eux après avoir reçu les remerciements et une récompense du lieutenant Raillard. Le capitaine Lee apprend que Rommel a été blessé par des chasseurs alliés le 18 juillet ; la mission est annulée. Le 29 juillet 1944, le groupe passe la journée dans une ferme près de Maurepas. Le commando établit alors un contact avec le groupe de résistants de Neauphle le Château, commandé par Auguste Vernin. Ce dernier installe le commando à la ferme de Frileuse à Beynes le 30 juillet. Cette ferme servait de champs de manoeuvre aux officiers de l'école de Saint-Cyr. Après la défaite, l'armée française ayant été dissoute, l'Organisation nationale météorologique (ONM) avait entreposé ses véhicules dans les bâtiments de Frileuse sous la garde des époux Hourson.

Le rapport de mission du capitaine Lee mentionne entre autres les faits suivants :
Lundi 31 juillet : Journée à Rosay
Mardi 1er août : Journée à Méricourt. Nous vivons dans la forêt et je commence à chercher des informations sur notre objectif. J’appris qu’ils avaient été bombardés deux jours auparavant et que presque tout le monde à l’exception de quelques soldats étaient partis dans un autre quartier général. Je ne trouvais pas où. Je restais durant deux jours dans la zone et je m’aperçus que le lieu était vraiment bien protégé. Je me décidais alors de revenir à Beynes, d’y établir ma base et de commencer à travailler du mieux que je pouvais.
Vendredi 4 août au samedi 12 août : Semaine extrêmement fructueuse. Nous marchons la nuit depuis notre base vers notre objectif sur des routes bien déterminées (nos trois jeunes Français étaient extrêmement utiles tout le temps), puis nous revenions le lendemain matin. Nous avons eu deux trains. A cause du manque de vitesse, le premier n’a pas déraillé mais fut incendié. L’autre fut mitraillé avec le bren gun par Moore. Le train stoppa et il fut incendié. Trois camions d’un convoi, 4 camions sur différentes routes, une voiture d’état-major avec un officier d’un haut rang, certainement un colonel ou un général. Nous ne l’avons pas eu car au moment où nous attaquions le véhicule, d’autres camions arrivaient, stoppaient et prenaient une position défensive.

A partir des coordonnées géographiques mentionnées dans le rapport du capitaine Lee, nous avons pu localiser ces opérations :
- Le premier sabotage ferroviaire a eut lieu à Villiers-saint-Frédéric.
- Le second (mitraillage d’un train) fut perpétré vers Epône-Aubergenville.
- L’attaque du convoi de trois camions allemands eut lieu à Nézel
- L’attaque contre le véhicule de l’officier allemand se déroula dans le secteur Villette-Rosay.

Le 7 août 1944, à Beynes, le capitaine Lee et le lieutenant Raillard décident que leur prochaine mission sera l'attaque de la Kommandantur de Mantes. En effet, durant la convalescence de Rommel à l'hôpital du Vésinet, son chef d'état-major réside dans cette Kommandantur. Le commando part dans la nuit du 7 au 8 août. Le matin du 9 août, le commando arrive dans un petit village près de Mantes. Marchais et Richet sont envoyés en mission de reconnaissance et reviennent avec des informations intéressantes. La décision est prise : l'attaque aura lieu cette nuit-là. Le commando traverse la ville de Mantes sans difficultés. René Maubailly nous a raconté l'attaque de la Kommandantur : "Nous sommes à peu près à 300 mètres du but. Deux hommes resteront avec le lieutenant Raillard pour couvrir les attaquants : le sergent Tom Moore avec le fusil mitrailleur et le sergent Feelosef. Les six autres hommes du groupe attaqueront la Kommandantur. C'est Max, l'Allemand du commando, qui devait approcher la sentinelle et l'attaquer. Il aborde la conversation avec la sentinelle qui le prend pour un soldat allemand. Max devait poignarder la sentinelle mais il rate son coup et une bagarre éclate. La sentinelle hurle et toutes les lumières s'allument.»

Rapport du Commissaire de police de Mantes (10 août 1944) : "Hier 9 août, vers 23h45, un homme a sonné à la porte de la propriété où est installée la Standortkommandantur, 27 rue Aristide Briand à Mantes. Un soldat de service est allé ouvrir après avoir demandé qui était là. Il lui a été répondu en langue allemande. A peine avait-il ouvert, qu'il a été frappé de deux coups de couteau à la poitrine. Il était décédé lorsque le docteur Saron de Mantes, est arrivé, ce jour, vers 0h30 pour lui prodiguer des soins."

Témoignage de René Maubailly : «Max revient vers nous. A ce moment, le Bren rentre en action en direction de la porte de la kommandantur où se trouvent plusieurs soldats allemands qui viennent de sortir. C'est à ce moment que le capitaine Lee donne l'ordre de repli sur Frileuse. Le groupe est recherché activement dans les alentours de Mantes. A 7 heures du matin, nous arrivons Serge Marchais et moi-même à Frileuse ; six longues heures de marche pour rentrer de Mantes. Le soir du même jour, le capitaine Lee arrive, totalement méconnaissable tellement il est fatigué. Un peu plus tard au cours de la nuit, Durban, Max et Richet arrivent à leur tour ; puis le lendemain le lieutenant Raillard, Tom Moore et Feelosef. Tout le monde s'en était sorti vivant. M. Hourson, le gardien de Frileuse sort quelques bonnes bouteilles puis tout le monde s'en va dormir dans des énormes réservoirs qui servaient de réserve d'eau potable au moment de l'activité du camp avant l'Occupation. "

Le 13 août 1944, le capitaine Lee décide de rejoindre la IIIe armée Patton. La suite de son rapport de mission mentionne les raisons de cette décision : « Comme nous manquions de vivres et de munitions, je décidais de laisser mes hommes en sécurité dans la base et de rejoindre nos lignes pour contacter notre quartier général, et si possible revenir plus tard avec plus d’hommes et de munitions. Je suis parti le dimanche 13 août au matin, déguisé en gendarme et en bicyclette de gendarmerie en gendarmerie, je rejoignais ainsi les lignes américaines près de Brou (sud-ouest de Chartres), en passant par Rambouillet, Ablis, Auneau, Chartres, Illiers et Brou."
Le capitaine Lee est aidé par l'adjudant Renault et les gendarmes de la brigade de Pontchartrain qui lui procurent un uniforme. C'est le gendarme René Guede qui conduit le capitaine Lee, sur sa moto, auprès du commandant d'arrondissement de Rambouillet qui le dirigera sur Ablis et Chartres où il franchira les lignes américaines.

Quelques jours plus tard, les autres membres du commando reçoivent le message suivant : "Raymond à Robert, prière de rejoindre les amis". C'était un message du capitaine Lee au lieutenant Raillard lui demandant de rejoindre les lignes américaines. Le 17 août 1944, le lieutenant Raillard demande un volontaire pour une mission en liaison avec le groupement de résistance de Neauphle-le-Château. René Maubailly part de Frileuse vers 13 heures et emprunte le chemin de traverse qui va à Villiers-saint-Frédéric et passe par Saint Germain de la Grange. Vers 14 heures, au moment où il approche de la gare, un groupe de chars de la IIIe armée Patton, venant de la route de Dreux, se met en batterie et tire sur le bâtiment qui s'enflamme. René Maubailly est grièvement blessé. Par l'intermédiaire de deux personnes de Saint Germain de la Grange, il réussit à prévenir les autres membres du commando. Vers 18 heures, Lucien Richet arrive, accompagné d'Auguste Vernin. Après une visite chez le docteur Moullard, membre du mouvement Vengeance, Lucien Richet ramène René Maubailly à Frileuse. Dans la nuit du 19 au 20 août, Henri Durel, instituteur de Beynes, sollicité, recherche un véhicule automobile pour le transport du blessé. On ne peut accéder à la ferme distante de 2,5 Km que par un chemin de terre en très mauvais état et en pente très raide. La seule voiture disponible est celle du curé, l’abbé Lucien Legrand. Le trajet, rendu très difficile par l’état du chemin et l’obscurité, s’effectue sans encombre, grâce à l’aide d’Henri Durel et de l’abbé Lucien Legrand. Accompagnés des autres membres du commando, ils réussissent à rejoindre les avant-postes américains à Marcq. Le blessé est orienté vers un hôpital de campagne de la IIIe armée à Digny près de Chateauneuf-en-Thymerais (Eure-et-Loir). Le 22 août, il est transféré à l'hôpital de Dreux d'où il ne sortira que le 15 octobre 1944.

Entre temps, ses amis Lucien Richer et Serge Marchais ont été brevetés parachutistes et ont intégrés officiellement le 2e Régiment de Chasseurs Parachutistes. Ils participeront tous les deux aux opérations aéroportées en Hollande. Après avoir quitté le commando, le capitaine Lee est désigné pour servir de second au commandant Roy Farran avec lequel il érige une base SAS sur le plateau de Langres dans le Morvan. De retour en Angleterre en septembre 1944, il quitte l'Armée britannique en décembre de la même année. A partir de ce moment commence pour lui une nouvelle vie de trafiquant et de mercenaire. Il décède le 22 décembre 1977. Le profil d'aventurier du personnage n'a pas manqué de susciter des doutes au sujet de son décès : certains ont affirmé l'avoir vu en Afghanistan en 1980.
Le sous-lieutenant Raillard, quant à lui, rejoint son unité d'origine, le 3e régiment de chasseurs parachutistes, avec lequel il participera à l'opération "Amherst" en Hollande. Il restera sous les drapeaux jusqu'en 1946, avant de retourner en Algérie, son pays natal. Entre 1955 et 1966, il participe aux opérations de maintien de l'ordre en Algérie puis rejoint la France en 1962. Quant aux autres membres du commando, nous ignorons ce qu'ils sont devenus après leur retour en Angleterre.

Le bilan de l’opération Gaff est le suivant :
Hommes : 16 hommes tués ou blessés
Destruction de matériel : 7 camions, 2 voitures, 1 side-car
Chemin de fer : 2 trains détruits


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : 
Archives nationales, 72 AJ 193 et 3 AG2 463. 
National archives, Londres, WO 218/191 et dossier individuel de Raymond Couraud.
Archives départementales des Yvelines, 1 W 418 ; 300W56. 
SHD, 13 P 137 ; fonds privé Roger Flamand. 
Archives privées René Maubailly.
Témoignages oraux et écrits de René Maubailly (1998-2001).
Témoignage écrit de Lucien Richet (1999).
Correspondance avec Robert Raillard (2000). 
Anthony Cave Brown, La guerre secrète, Paris, Pygmallion, 2000. 
Roger Flamand, L'inconnu du French Squadron, édité à compte d'auteur, 1983.