Parachutiste sautant à partir d'un Douglas C47/Dakota

Légende :

Parachutage, en souvenir des parachutistes de « mission », le 8 mai 2005, à Vassieux-en-Vercors.

Genre : Image

Type : Avion

Producteur : Cliché Alain Coustaury

Source : © AERD, fonds Alain Coustaury Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique couleur.

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Vassieux-en-Vercors

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Analyse média

La photo représente un parachutiste qui vient de quitter l'avion. Il est encore retenu par la sangle qui ouvre automatiquement son parachute. L'avion est l'emblématique «Dak», le Douglas C47 de l'USAAF, dénommé «Dakota» dans la Royal Air Force. C'est ce type d'avion qui devait pouvoir se poser sur Taille-crayon à Vassieux. Mais ce sont les Allemands qui l’utilisèrent avec des Junkers 52 de transport qui atterrirent le 23 juillet 1944 et les jours suivants. Le Dakota porte les marques d'identification du débarquement de Normandie. Tous les appareils alliés portaient ces bandes qui devaient éviter une confusion avec les avions allemands. Les hommes parachutés dans la Drôme le furent surtout par des avions britanniques comme le Halifax.


Auteurs : Alain Coustaury

Contexte historique

Le 19 juillet 1940, Winston Churchill crée le SOE (Special Operation Executive) et résume sa mission dans une formule éloquente : « Incendiez l'Europe». Cette volonté ce traduit par l'envoi de missions interallliées en France, en particulier dans la Drôme et le Vercors.

Dans la Drôme, aux nombreux parachutages d'armes et de matériel de sabotage, il faut ajouter ceux d'hommes et de femmes organisés en unités de combat aux multiples dénominations. Les missions de ces groupes étaient diverses : recherches de renseignements, aide et entraînement des Résistants, préparation du débarquement de Provence. Nous mettons en valeur quelques-unes de ces missions.

Le 29 août 1942, deux agents sont parachutés «blind» (en aveugle) à Étoile-sur-Rhône. Leur destination est inconnue. Le rapport témoigne d'une certaine impuissance de la gendarmerie à s'opposer aux parachutages. Ne pouvant intercepter les parachutistes, elle se venge sur les témoins.
« Un fait nouveau en matière d'activité antinationale s'est produit dans le département : le 29 août 1942, vers une heure, deux parachutistes non identifiés ont atterri sur le territoire de la commune d'Étoile-sur-Rhône. Deux témoins de cet atterrissage n'ont prévenu la gendarmerie qu'à 7 heures 30 alors que les 2 parachutistes, porteurs de colis volumineux, avaient depuis longtemps disparu. Malgré les actives recherches aussitôt entreprises, ils n'ont pu être retrouvés. Les témoins ont été arrêtés, en accord avec le Parquet, pour s'être volontairement abstenus de réprimer et de signaler en temps utile une activité antinationale » indique le rapport de la gendarmerie.

Le 23 octobre 1943, annoncé par le message « Pour une blague, c'est une blague (c'est deux blagues ?) », sur « Frêne » à Montjoux, sont parachutés deux hommes, Gabriel Mazier (« capitaine François ») et Joseph Cabot. Provenant de Blida pour le compte du BCRA, le capitaine Gabriel Mazier narre son parachutage. Le récit permet de comprendre les difficultés d'un vol d'approche, du parachutage et de la réception par la Résistance. De plus, les particularités de la Résistance à Dieulefit sont bien mises en évidence :

« L'aventure devait commencer dans la nuit du 20 au 21 octobre 1943. Nous avions embarqué, Cabot et moi, seuls passagers d'un bimoteur (quadrimoteur) Halifax, où nous attendions l'ordre d'avoir à débarquer comme c'en était devenu l'habitude, avec le retour au cantonnement, [...]. Au lieu de cela, les moteurs se mirent à vrombir et l'un de nos instructeurs, le Major Searl, monta dans la cabine pour nous annoncer qu'il nous accompagnait une dernière fois, mais que là nous sauterions sans lui. Le temps d'échanger un regard avec Cabot et l'avion roulait déjà sur la piste puis décollait vers le nord, en direction de la France occupée. L'avion changeait constamment de cap pour tromper les écoutes radio de l'ennemi : nous volions tantôt vers l'ouest et Gibraltar, tantôt vers Marseille ou Gênes et ce fut à l'ouest de Toulon finalement, que nous avons atteint la côte. [...]. Nous attendions le feu vert, mais l'attente se prolongeait : le pilote ne repérait pas les signaux prévus au sol et repartait vers la mer pour refaire le point à partir d'une grande ville identifiable. Nous survolions à nouveau Toulon où la DCA ennemie nous repéra et nous prit à parti. Ce fut un beau feu d'artifice [...], une explosion plus forte suivie d'une violente lueur nous apprit que l'avion avait été atteint ; il se mit à tanguer et à faire du saute-mouton. Le moteur gauche [...] avait été touché de plein fouet, le mécanicien avait pu couper à temps son alimentation pour éviter le feu. Le pilote réussissait, tant bien que mal à rétablir l'équilibre ; nous volions au ras des vagues que nous pouvions apercevoir assis au bord de la trappe de saut. Il avait tout de même fallu larguer par celle-ci tout ce qui n'était pas indispensable pour pouvoir reprendre le cap avec une altitude suffisante: c'est ainsi que nous avons perdu nos valises, nos vêtements de rechange et les documents qui devaient nous permettre de justifier, une fois débarqués, de notre identité d'emprunt. Heureusement, on avait pu conserver les trois tonnes de matériel destiné à nos amis au sol de même que les réservoirs d'aile. Et puis nous étions toujours vivants et l'avion, après un large virage en mer, pouvait reprendre le cap de Dieulefit, dans la Drôme, où nous étions attendus. Toute cette alerte s'était déroulée dans le calme et l'équipage avait appliqué comme à l'exercice les consignes de sécurité. […] et vers trois heures du matin, nous atteignions finalement l'endroit prévu pour notre parachutage, un plateau de 1 350 mètres d'altitude, huit kilomètres à l'est de Dieulefit.

Nous étions à nouveau accroupis au bord de la trappe de saut, Cabot d'un côté, moi de l'autre, regardant vers l'arrière, avec entre nous ce trou noir d'un peu plus d'un mètre de diamètre, au fond duquel 500 mètres plus bas se devinait le pays où nous étions attendus. Au feu vert, je m'appuyai énergiquement des deux mains au rebord de la trappe et poussai vers le trou pour éviter d'accrocher le gros sac dorsal du parachute. Je me retrouvai, tournoyant dans l'air froid de la nuit puis une brusque secousse m'avertit que mon parachute venait de s'ouvrir. Au sol, la lumière d'une explosion m'apprit que le parachute d'un des containers apportant les explosifs n'avait pas fonctionné. Je réalisai aussi que ma descente m'éloignait du plateau où nous avions rendez-vous : le vent m'entraînait le long d'une vallée où alternaient les champs et les petits bois et j'étais déjà bien au-dessous de l'altitude prévue : peut-être cela, d'ailleurs, m'avait-il sauvé la vie car l'avion nous avait largués bien bas et j'aurais fort bien pu m'écraser en prenant contact plus haut sur le plateau. J'atterris à la limite d'une petite clairière et eus beaucoup de mal à décrocher ma voilure de l'arbre où elle s'était accrochée ; je la camouflai de mon mieux avec mon harnais et ma belle combinaison de saut en faisant tomber dessus un vieux pan de muraille qui se trouvait aux environs. Il me fallait maintenant rejoindre le comité de réception en remontant sur le plateau : j'y mis plus d'une heure et fus accueilli par un « Halte, Haut les mains ! »
de l'une des sentinelles qui surveillaient les abords du lieu de parachutage. Apparemment l'équipe ne s'attendait pas à voir débarquer un civil chaussé de souliers de ville, au beau milieu de leur travail de récupération. Ils ne connaissaient pas «Édouard» avec qui j'avais rendez-vous et je crus bien faire de crier son nom pour l'appeler ; cela me valut un bon coup de canon de mitraillette dans les côtes car la consigne était au silence. Édouard ne tarda pas à se montrer et nous pûmes nous serrer la main ; il n'avait pas fait connaître son pseudo d'Alger à ses amis : il avait quitté l'entraînement un mois avant moi et c'était sa première « réception ». […] Une fois réunis, nous avons cherché Cabot : personne ne savait où était passé mon radio et il fallut partir sans lui. Édouard, qui était le chef de l'expédition, renvoya chacun chez soi ou à son travail à Dieulefit. La plupart rentrèrent à vélo, quelques-uns à pied et moi dans une vieille camionnette censée rouler pour le meunier du pays. Elle transportait des sacs de son où nous avions camouflé quelques armes du parachutage, des Sten en particulier, pour montrer aux copains qu'elles étaient bien arrivées. Le trajet se déroula sans incident et nous nous sommes retrouvés chez l'ancien maire du pays [Justin Jouve] qui dirigeait le groupe des Résistants de Dieulefit. J'eus la bonne surprise d'y voir Cabot, mon radio disparu, attablé devant une énorme tranche de jambon : il était venu à pied depuis l'endroit où il avait atterri poussé par le vent, une vallée en contrebas du plateau prévu, comme cela m'était arrivé. Au lieu de remonter, il avait jugé plus expéditif de rejoindre Dieulefit en suivant tranquillement la route. Il s'était fait reconnaître en utilisant le mot de passe. Inutile de dire que la soirée qui suivit cette longue journée donna lieu à des réjouissances dignement arrosées. Cabot et moi étions les héros du jour, chacun voulut nous inviter, qui à dîner, qui à déjeuner, ce qui donna lieu pendant quelques jours à un va-et-vient qui aurait pu finir par nous faire repérer ; heureusement, ce pays ne comptait pas le moindre mouchard, ce que je devais aussi vérifier plus tard. Le maire en exercice, (le colonel Pierre Pizot) pourtant choisi par Vichy se tint toujours lui-même de notre côté. Les jours suivants, je commençai mes reconnaissances dans les environs à la recherche de terrains possibles de parachutage. (suit un pittoresque récit sur la façon de capturer les lapins et d'agrémenter les menus par ces temps de pénurie !) [...]

La liaison radio avec Alger fonctionnait parfaitement grâce à la compétence de mon ami Cabot et nous exécutions régulièrement les missions dont on nous chargeait : organisation de parachutages de matériel sur les plateaux des environs, mise à l'abri des armes, groupées selon leur type et avec leurs munitions, sabotages, livraisons d'armes aux maquis voisins : le tout dans l'attente du jour, tant espéré, où nous passerions à l'action les armes à la main. Dans nos messages, les lieux de parachutages, étaient localisés d'après la carte Michelin, procédé simple et efficace que les Allemands n'ont jamais découvert.

Gabriel Mazier rend hommage également aux gendarmes de Dieulefit.

« Il faut dire que dans la Gendarmerie aux ordres de Vichy, nombreux étaient ceux qui se refusèrent à prendre parti, et cela jusqu'au dénouement ; il y eut heureusement des exceptions : à Dieulefit, par exemple, la brigade au complet était de notre côté et quand elle procédait, la nuit, à des contrôles routiers, c'était pour nous avertir des opérations organisées contre nous par la Gestapo »

Gabriel Mazier et Joseph Cabot quittèrent la Drôme pour les Alpes-Maritimes où ils jouèrent un rôle important dans l'organisation et les actions de la Résistance. Joseph Cabot est mort le 3 mai 1944 près de Puget-Théniers, victime de l'explosion d'une Gammon qu'il portait, alors qu'il était poursuivi par la Gestapo. Gabriel Mazier est blessé par cette explosion mais parvient à s'enfuir.

Le 6 janvier 1944, sur Agonie, à Eymeux, largué d'un Halifax du squadron 138, atterrit la mission Union avec le capitaine Henri Thackthwaite du SOE (« Procureur »), le radio Camille Monnier du BCRA (« Magyar »), Jean-Pierre Ortiz de l'OSS (« Chambellan »). Le lieutenant-colonel Pierre Fourcaud qui s'était cassé la jambe ne sera parachuté que le 8 février 1944 dans l'Ain.

Largués d'un Halifax du squadron 138, le 29 janvier 1944, réceptionnés par la SAP de Henri Faure atterrissent sur Ajusteur, à Saint-Uze, des membres du BCRA, Marguerite Petitjean (« Binette »), Yvon Morandat (« Arnolphe »), René Obadia (« Pioche ») et Eugène Déchelette (« Ellipse ») qui se fracture la cheville. Malgré un épais brouillard, Henri Faure réussit la réception grâce au poste Euréka.

Le 10 avril 1944, un Halifax du squadron 138, largue à Eymeux sur Agonie, la mission Union 1 du BCRA composée du radio Jean Paris (« Égyptien »), du radio Henri Benhamou (« Andalou »), Roger Olive (« Hache »), du commandant Henri Guillermin (« Pacha »). Le 21 avril, sur le même terrain, atterrit, venant de Londres, dans le cadre de la mission Musc, l'instructeur BCRA, Raymond Henaff (« Versoir »).

Le 6 mai, sur Temple, à Allex, mission Saint-Valentine, un Hudson du squadron 161, largue le radio du BCRA, Jean Cendral (« Lombard »). Il rejoint le Vercors et fait partie de l'équipe de radios installée dans la laiterie Revol au quartier de La Britière à Saint-Agnan-en-Vercors.

Le 8 juin, en Isère, près de Beaurepaire, sur Tanit, venant d'Algérie, atterrit la première mission Jedburgh Veganine affectée au secteur Drôme-nord. Elle est composés du major Neil Martin, du commandant Gaston Vuchot (« Noir ») et du radio D. Gardner qui se tue à l'atterrissage. Son but est le harcèlement des communications allemandes dans le secteur.

Le 25 juin, sur le même terrain, réception d'une mission Jedburgh Dodge pour renforcer Veganine : Maniere et Durocher pour remplacer Gardner.

Le 28 juin 1944, à Comps, sur le terrain Framboise, à la suite du message « Ernest vole le tabac des copains », trois agents Jedburgh, le capitaine Jacques Martin (Jacques Martino « Joshua »), le sous-lieutenant radio Jean Sassi (Jean Nicole « Latimer »), l'étatsunien Henry Deane Mac Intosh (« Lionel ») atterrissent en Drôme-sud. La mission est la prise de contact avec Francis Cammaerts (« Roger »), chef du réseau Jockey du SOE et avec le colonel Zeller (« Faisceau ») dirigeant les FFI du sud-est de la France. Les trois hommes sont dirigés vers les Hautes-Alpes où ils participent à des sabotages.

Dans la nuit du 28 au 29 juin 1944 une mission interalliée Jedburg Eucalyptus est parachutée sur Taille-Crayon à Vassieux-en-Vercors. Commandée par Desmond Loge (« Refraction »), Britannique, et composée d'André Pecquet (André E Paray [« Bavarois »]) de l'US Army, du capitaine français John Houseman (« Reflexion »), du sous-lieutenant Yves Croix, cette mission a pour but officiel de rechercher des terrains de parachutage et d'atterrissage. Sur place, le groupe reçoit l'aide d'un interprète André Jullien du Brueil, de deux radios, Bourdon et Ricard, d'un cuisinier Louis Sébastiani et d'un agent de liaison, Léa Blain. Officieusement, Desmond Loge doit convaincre les chefs du Vercors de ne pas enrôler plus d'hommes qu'ils ne peuvent armer et entraîner.

« Il est de votre devoir – et assurément le plus important de toute votre mission – de le dire clairement aux chefs du Vercors, et de les persuader de ne pas accepter plus d'hommes qu'ils ne peuvent armer adéquatement. Les hommes dont il est prévu que l'on ne pourra les équiper, devraient, si possible, regagner leurs villages et attendre les instructions. Vous devez avoir à l'esprit et expliquer aux chefs locaux le fait que le Vercors ne bénéficie pas d'une haute priorité pour le moment. Il est de votre devoir de conseiller aux dirigeants locaux de n'entreprendre que des petites opérations, principalement dans le but d'intervenir sur les communications de l'ennemi ». Les directives données à la mission ne peuvent être plus claires. Elles sont difficiles à comprendre et à appliquer pour les chefs du Vercors qui doivent faire face, depuis le 6 juin, à un afflux massif d'hommes.

La même nuit est parachuté un groupe opérationnel (operational group, OG) autrement dit un commando de l'US Army. Composé de 14 hommes, il est commandé par le capitaine Hoppers et le lieutenant Chester Meyers. Il est composé de J. DeFrane, J. Vanasse, J. Brochu, J. Harp, W. La Breck, W. Murray, L. Richman, D. Calvert, O. Flake, E. La Flame, M. Levine, J. Paquette, J. Picard. Parmi les membres de ce commando, on trouve Delmar Calvert. Ils doivent enseigner aux Résistants, entre autres armes, l'usage du bazooka. Le groupe s'installe aux Berthonnets, hameau de Saint-Matin-en-Vercors. Il cohabite avec les chasseurs alpins du lieutenant Abel Chabal.

Venant d'Alger, le parachutage dans la nuit du 6 au 7 juillet, de la mission « Paquebot » laisse à penser aux chefs du Vercors que l'aide alliée va s'amplifier et que l'on passe à un niveau supérieur dans l'approvisionnement en armes et en hommes. Le chef de cette mission est le capitaine Jean Tournissa (« Paquebot »). Il est accompagné de quatre sous-lieutenants dont Francis Billon qui se casse la jambe à l'atterrissage (il sera exécuté par les Allemands à la grotte de la Luire le 28 juillet 1944) et d'une femme, Krystina Skarbek (« Christine Grandville », « Pauline »).

La mission de Tournissa est l'aménagement d'une piste d'atterrissage capable de recevoir des avions de transport de la taille du DC3/C47 qui est l'appareil le plus utilisé pour cette fonction. Elle doit mesurer autour de 1 100 mètres de long et 150 mètres de large. Elle est orientée nord-est sud-ouest, dans l'axe du val de Vassieux. Les travaux sont rondement menés grâce à l'emploi de civils et de Résistants. Ils consistent à aplanir le terrain, boucher des cavités karstiques et déplacer une ligne électrique. Le 11 juillet, Tournissa fait savoir à Alger que le terrain pourra accepter des Dakota dans quelques jours. Ces derniers livreront l'armement lourd qui fait cruellement défaut, notamment les mortiers.

Le 13 juillet, le second échelon de la mission Eucalyptus arrive au Vercors. Elle avait été parachutée dans l'Ain. Les capitaines français Conus (« Volume »), Pellat (« Mado »), le lieutenant britannique Suaverby la constituent. Leur but est de trouver des terrains capables de recevoir des parachutistes et des avions, en toute sécurité.

Le 14 juillet, le parachutage diurne d'armes et de matériel par 72 B17 ne fait qu'augmenter le sentiment que le Vercors va recevoir une aide de plus en plus conséquente de la part des Alliés et qu'il est une pièce maîtresse de leur dispositif.

Pendant tout ce temps, le «mouchard», le « Storch » allemand, survole quotidiennement et photographie, en toute impunité, l'avancement des travaux et les mouvements de la Résistance. À l'euphorie créée par l'arrivée des hommes et par les parachutages, succède aussi l'inquiétude d'une réaction allemande.

Le 17 juillet sur Peupliers à Poët-Laval, sont parachutés des hommes du BCRA, François Chatelain, Cruse, Étienne Schricke, Philippe Lemaire, Roger Reverchon, André Battut.

Le 25 juillet 1944, sur Temple à Allex est parachuté un radio du BCRA, provenant d'Alger.

Dans la nuit du 30 au 31 juillet, partis de Blida en Algérie, atterrissent sur Framboise, à Comps, 15 parachutistes commandés par le capitaine Hennequin (« Hepp »). Un vent très fort rend l'atterrissage difficile et il y a plusieurs blessés dont un grave, Corley, chef du commando du 1er bataillon de choc. C'est l'aboutissement d'une tentative avortée le 25 juillet. La section du Bataillon de Choc avait embarqué à Blida dans deux avions Halifax. Arrivé au-dessus de la Drôme, le moteur gauche de l'avion de la section Muelle prend feu à 5 000 mètres et retourne à Blida sans pouvoir la parachuter. L'autre avion, celui de la section Corley, n'a pas trouvé le balisage du terrain.

La nuit suivante est parachutée la section de Raymond Muelle. Dans cette dernière se trouve Michel Poniatowski. Son récit du largage et de son atterrissage est symptomatique des difficultés d'un parachutage nocturne :

« Équipés et les parachutes agrafés, vérifiés une dernière fois, Jones nous donne une amicale pression d'encouragement sur l'épaule. Dans l'avion obscur, nous nous tenions assis au bord de la trappe par laquelle le vent entrait avec violence. Nous étions les cinq premiers à sauter dans cet ordre : Muelle, moi-même, Philippe, Barrat et Polomba. Le sol tout proche devenu visible, nous distinguions les feux délimitant le terrain et les ombres qui couraient. L'avion vira une dernière fois, piqua, se redressa, la lumière rouge passa au vert et, avec un sourire, le largueur leva le pouce : Go, Go, Go.

C'était le grand moment : nous nous soulevâmes sur les mains au bord de la trappe avant de nous laisser glisser en avant d'un coup de rein. Philippe, un peu pressé, me donna un coup de soulier sur la tête. Le vent était d'une extrême violence, nous étions ballottés en tout sens, jetés sur le dos, puis sur le ventre ; j'appliquai les instructions, les mains au garde-à-vous, collées au corps. Le parachute allait bien s'ouvrir. Nous avons été largués d'une hauteur de 150 mètres. Peu à peu, en descendant, je devais éprouver une impression unique et merveilleuse : c'était bien la France que je retrouvais avec l'odeur de sa terre, celles de ses fleurs et de son herbe humide qui montaient vers moi ; j'étais bouleversé. J'eus la chance de tomber sur une parcelle de terre meuble, le choc fut presque doux. J'aurais pu rester debout mais je préférerais enfouir mon visage dans cette terre qu'on nous avait prise, qu'il fallait reprendre ; c'était la conviction forte et absolue de ce moment-là.

Une forme approcha, je sortis mon revolver.

- Ça va ?

- Ça va.

L'accent était si authentique qu'aucune gueule de teuton ne pourrait jamais arriver à le reproduire. - Laissez vos parachutes là, on va les ramasser, prenez vos armes, rendez-vous à la maison que vous apercevez là-bas.

Cependant, l'avion passant et repassant larguait les hommes, les containers, les caisses de munitions et les explosifs.

Nous nous relevâmes tous sauf un, Pallot. Couché au sol, il gémissait. Il allait rejoindre d'autres blessés. En effet, le vent était assez fort la veille, l'avion avait parachuté d'une hauteur légèrement supérieure. Corley était tombé la tête contre un mur. Dans un état comateux, il gisait depuis, caché dans une cave avec le sergent Villuana à la jambe cassée et Godard à l'épaule fracturée. Le terrain choisi permettait une bonne approche des avions et une évacuation rapide du matériel, car il y avait quatre chemins d'accès, et les blessés pouvaient être soignés à Dieulefit. En revanche, le champ de Comps était étroit, avec pour limites une ligne électrique d'un côté, une ligne téléphonique de l'autre et des chemins dotés de fossés. Dès qu'il y avait du vent, il devenait dangereux. Brus, qui nous avait accueillis, nous pressait :


« Il ne faudra pas s'attarder, depuis l'opération Vercors, la semaine dernière, les Allemands circulent un peu partout, des parachutages deux nuits de suite, ça se repère. »

Les parachutes ne traînaient pas sur le terrain ; sitôt ramassés, ils étaient dissimulés de cave en cave avant de finir dans la meilleure cache possible, sous la forme de chemise ou de robe de mariée.

Pendant que Muelle se rendait auprès de Corley pour juger de son état, reprendre l'ordre de mission de la section et l'argent qui s'y trouvait joint, nous fûmes accueillis par les habitants d'une ferme toute proche, les époux Fraysse, touchants de gentillesse, de cœur et de courage aussi, car tout raid allemand aurait entraîné leur exécution sur place. Au moment de franchir le seuil de la porte, l'idée me vint de tester le mot de passe que l'on nous avait donné en partant ; je me retournais vers Brus.

« Le Diable le défit ... » Il ne répondit rien.

«Dieulefit» , ajoutai-je. Il me regarda surpris.

« Ah ! Dieulefit ! Mais c'est par-là, dans la vallée, à six ou sept kilomètres. »

Je lui expliquai que c'était le mot de passe. Il n'en avait jamais entendu parler.

« Vous savez, ces Messieurs d'Alger, ils s'amusent comme ils peuvent ! »

Madame Fraysse nous conduisit dans sa grange. Lovés dans le foin, quelques jeunes officiers du BCRA dormaient. Récemment parachutés, ils n'avaient pas encore reçu d'affectation auprès des FFI. Mais ce qui nous frappait davantage, c'était une longue table garnie de miches de pain croustillantes, de bouteilles de vin, de pâtés, de saucissons, de tranches de viande. Après l'odeur, nous retrouvions la saveur du pays, son goût, ses mets. Ce fut le meilleur repas que j'eusse jamais fait, et dans le foin, le plus doux sommeil que j'eusse jamais trouvé. »


Michel Poniatowski résume parfaitement les difficultés des parachutages, les sentiments des Français qui touchent le sol natal. Le rôle des équipes de réception est bien campé. Le soutien, la complicité de la population locale permettent aux arrivants d'être soignés, voire chouchoutés. Mais les incidents liés aux parachutages n'ont pas toujours une fin aussi heureuse.

Le 7 août, sur Poteau à Mirabel, quatre aspirants du BCRA sont parachutés.

Le même jour sur Framboise, atterrit le commando Alice composé de 15 hommes : R. N. Barnard, D. J. Meeks, R. H. Bilodeau, P. Barb, C. Poulton, R. Linman, G. Coleman, S. Condon, H. Desmaretz, J. Kocis, A. LaPointe, J. Ross, L. J. Dubuc, P. Carson, Leroux.

Le 13 août, sur Framboise, atterrit le capitaine Fred B. Agee de l'OSS. Il doit assister la Résistance dans le domaine médical. Il serait le dernier homme parachuté dans la Drôme avant la libération du département le premier septembre 1944.

Au fur et à mesure de l'avance alliée, les agents sont récupérés par leur service d'origine et repartent vers de nouvelles missions en France, en Allemagne puis en Indochine et au Laos, dans le Pacifique afin de lutter contre le Japon. Nombre d'entre eux y laissèrent la vie. C'est en mémoire et en hommage à ces héros britanniques, états-uniens et français qu'une cérémonie a eu lieu le 8 mai 2005 à Vassieux-en-Vercors. Delmart Calvert, vétéran du groupe Justine parachuté le 29 juin 1944, sur « Taille-crayon » a reçu les insignes de Chevalier de la Légion d'honneur. Un DC3 /C47/ Dakota aux marques du débarquement de Normandie a largué un groupe de parachutistes en uniforme d'époque et utilisant un parachute modèle 1944.

 


Auteurs : Alain Coustaury
Sources : Rapport de gendarmerie R4 Cie Drôme n°137/4, 24/09/1942. Propagande antinationale. Fédération des unités combattantes de la Résistance et des FFI de la Drôme, Pour l’amour de la France, Drôme-Vercors 1940-1944, Éditions Peuple libre, 1989, 469 pages plus annexes. Escolan Patrice, Ratel Lucien, Guide-Mémorial du Vercors résistant, Le cherche midi, 1994, 406 pages. El Baze Michel, témoignage n° 100, un officier d'occasion dans le haut-pays niçois, Pour effacer l'oubli, 1995. Muelle Raymond - Le 1er bataillon de choc, Éditions Presses de la cité, 1977 249 pages - préface de Michel Poniatowski, sergent au 1er bataillon de choc.