Ferenz Wolf dit Francis Boczor
Légende :
Page extraite de la brochure de propagande "L'armée du crime"
Genre : Image
Type : Brochure
Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés
Détails techniques :
Brochure imprimée
Date document : Février - mars 1944
Lieu : France
Contexte historique
L'un des dix portraits en médaillon de l'affiche rouge diffusée par les Allemands en février 1944, mentionne "Boczov Juif hongrois chef dérailleur 20 attentats". C'est sous un patronyme d'emprunt marqué par une erreur de transcription - Boczor devenu Boczov - et l'attribution d'une nationalité qui n'est pas la sienne - il est Roumain d'origine - que meurt l'un des principaux dirigeants des FTP-MOI de la région parisienne.
Ferenz (ou Francis) Wolf, est né en 1906 dans une famille juive aisée de Transylvanie en Roumanie. Dès le lycée, il milite au sein des Jeunesses communistes, puis, en tant qu'étudiant, au sein de l'institut polytechnique de Prague. Dans les semaines qui suivent le déclenchement de la guerre civile espagnole en 1936, Ferenz Wolf franchit sans passeport les frontières, est un temps emprisonné en Autriche, avant de rejoindre les Brigades internationales. En opérant comme saboteur derrière les lignes franquistes, il fait l'expérience de la lutte armée. Après la défaite des Républicains espagnols, il est interné dans les camps de la zone Sud. Le 27 mars 1941, accompagné de dizaines de prisonniers, parmi lesquels quinze interbrigadistes roumains, profitant de l'ébriété des gardes mobiles, il s'évade du train les transportant du camp d'Argelès à celui du Vernet, sur la voie ferrée reliant Perpignan à Toulouse. De nombreux Juifs roumains rejoignent ainsi Paris et étoffent leur groupe de langue dirigé au sein de la MOI par Fanny Gurvitz.
Permanent du parti communiste français, Ferenz Wolf entre en juin 1941 dans l'Organisation spéciale à l'âge de 36 ans et choisit comme pseudonyme Joseph Boczor, en hommage à un ami, ancien compagnon de lutte. Les 11 et 24 juillet 1941, il dirige le groupe de combattants qui fait dérailler deux convois allemands dans la banlieue Est de Paris.
A la fin de l'année 1941, Boczor prend la tête de l'OS-MOI, succédant à l'Espagnol Conrado Miret i Musté dont il a été l'assistant : avec Mihaly Grünsperger, alias Michel Patriciu, chef du service technique des FTP-MOI, Boczor organise un laboratoire de fabrication d'engins explosifs et incendiaires. Il refuse toutefois de prendre la tête des FTP-MOI. Avec d'autres dirigeants de l'OS, militants expérimentés, combattants aguerris des Brigades internationales, il s'oppose à un amalgame avec de jeunes combattants. Il est soutenu alors par Henri Rol-Tanguy, chef du Comité militaire interrégional des FTP. Boris Holban, désigné pour remplacer Joseph Boczor, témoigne de la détermination de ce dernier en avril 1942 : "Nous nous sommes rencontrés en dehors de Paris et avons discuté pendant plusieurs heures. Les opérations qu'ils menaient - surtout les déraillements - étaient à ses yeux d'une autre importance militaire que nos lancers de bouteilles incendiaires. Les jeunes, continua-t-il, ne sont pas préparés et il est préférable que chaque formation poursuive la lutte de son côté, avec les moyens dont elle dispose. Mais l'argument essentiel tenait dans la longue expérience clandestine des combattants de l'OS-MOI, coupés de la masse des groupes de langue, unités cloisonnées. Y mêler des jeunes qui avaient gardé de multiples contacts familiaux ou amicaux, et étaient à peine aguerris au combat clandestin, comportait un trop grand danger. Il s'opposa donc catégoriquement à la fusion, avant de conclure : "D'ailleurs, notre activité est dirigée par le chef militaire de l'OS qui, pour l'instant, m'interdit de procéder à cette fusion. Vous n'avez qu'à en discuter avec lui. S'il me donne des ordres dans ce sens, je les exécuterai". Nous nous séparons là, campant sur nos positions". Lors d'une réunion au début mai 1942, Boczor et Rol-Tanguy sont sermonnés par un responsable de la direction du PCF pour avoir freiné la formation des FTP au sein de la MOI.
En juin 1942, Joseph Boczor prend la tête du quatrième détachement des FTP-MOI, sous le pseudonyme de "Pierre" et le matricule 10003. Sa compagne Charlotte Gruia, adjointe du service technique des FTP-MOI et qui lui sert d'agent de liaison, est arrêtée le 15 décembre 1942 à Paris par les policiers de la Brigade spéciale. Cela n'empêche pas Boczor de s'exposer en personne. Au printemps 1943, il se rend de nuit dans le bois de Boulogne, en dépit du couvre-feu, à proximité des centres de commandement allemand. Il y camoufle une charge de dynamite dans le but de supprimer le commandant du Grand-Paris sur son itinéraire de promenade. L'opération échoue à la suite d'une modification de cet itinéraire. Secondé par Thomas Elek, Boczor exploite des compétences acquises à l'Institut polytechnique de Prague, transformant les mines antichars en mines anti-trains, perfectionnant le déclenchement électrique à distance des charges de dynamite sur des rails auparavant déboulonnés. Le manque d'explosifs contraint parfois à déboulonner les rails sur des dizaines de mètres, au risque d'être surpris par une patrouille allemande.
En 1942, Boczor a découvert dans les Ardennes un stock de munitions, obus et corps vides de grenades, abandonnés par l'armée française au cours de la débâcle de mai 1940, et acheminés en direction de Paris, camouflés en denrées. Grâce au parachutage de pains de plastic, le maniement des explosifs devient plus sûr et, à l'été 1943, le quatrième détachement des FTP-MOI étend son activité à l'ensemble de la banlieue parisienne puis de la zone Nord. C'est en effet à partir de juillet 1943 que ce quatrième détachement se consacre exclusivement aux déraillements.
A la fin du mois d'octobre 1943, à court d'explosifs, Boczor sollicite Boris Holban, alors en mission dans les régions minières du Nord. Boczor est filé par les Brigades spéciales depuis le 20 septembre. En suivant Emeric Glasz, un des responsables du détachement des dérailleurs, les policiers français ont repéré l'une des planques de Boczor, à l'hôtel des Deux-Avenues situé 9, rue Caillaux, dans le XIIIe arrondissement parisien. En suivant Boczor, les policiers repèrent deux jours plus tard d'autres membres du quatrième détachement, notamment Thomas Elek, puis, le 24 septembre, Missak Manouchian. Le 2 novembre 1943, Boczor réussit temporairement à échapper à la filature en entrant dans un immeuble à double issue. Dans la seconde quinzaine de novembre, Boris Holban, en mission dans les régions minières du Nord, se rend à un rendez-vous fixé à Paris par la commission centrale de la MOI, à la demande de Boczor : "Manquant de dynamite pour les actions de déraillement et sachant que nous en avions dans les mines, il m'avait demandé de lui en apporter un échantillon pour voir si elle correspondait à leur besoin. Comme toujours, nous avions établi un signe à l'entrée de son logement. Or, le signe de reconnaissance qui devait m'indiquer que je pouvais entrer dans l'immeuble n'était pas mis. Malgré cela, avec deux cartouches de dynamite dans la poche, j'ai décidé d'aller jusqu'à la planque. Le second signe de reconnaissance manquait aussi, et j'ai entendu des voix à l'intérieur : j'ai pu me sauver à temps". Au moment de son arrestation, les policiers découvrent dans la planque de Boczor, au 1bis, rue de Lanneau, dans le Ve arrondissement parisien, une mitraillette Mauser, un pistolet 7,65, une bombe, 25 distributeurs de détonateurs, 6 détonateurs explosifs, 8 allumeurs à traction, un rouleau de cordeau Bickford…
Dans la semaine de l'exécution au Mont-Valérien du groupe de FTP-MOI dirigés par Missak Manouchian, la presse collaborationniste se déchaîne particulièrement contre Boczor, le quotidien Paris-Soir décrivant à la une de son édition en date du 22 février : "Le Hongrois Poczor [sic], visqueux individu au visage de chouette, le plus réussi peut-être de cette horrible galerie de terroristes. […] Sans s'en rendre compte, il laisse échapper quelques phrases où perle sa haine de la France". Au moment où paraît cet article de commande d'une presse financée par les Allemands, Ferenz Wolf a été fusillé au Mont-Valérien le jour précédent.
Michel Laffitte in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.
Sources et bibliographie :
Paris-Soir, édition du mardi 22 février 1944.
David Diamant, Combattants, Héros et Martyrs de la Résistance, Paris, Editions Renouveau, 1984.
Boris Holban, Testament, Calmann-Lévy, Paris, 1989.
Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le sang de l'étranger. Les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, Paris, 1989.
Entretien avec Boris Holban, L'Histoire, n° 174, février 1994.