Edith Thomas
Légende :
Attestation de Jean Bruller dit Vercors en faveur d'Edith Thomas relative à ses activités dans la Résistance
Genre : Image
Type : Attestation
Source : © ONAC de Paris Droits réservés
Détails techniques :
Document manuscrit
Date document : 12 décembre 1953
Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris
Contexte historique
Edith Thomas est née a Montrouge (Seine) le 23 janvier 1909, d'un père ingénieur agronome et d'une mère institutrice. À l'age de seize ans, elle se convertit au protestantisme, inspirée par son identification à l'éthique dissidente des huguenots. Elle fait ses études à l'Ecole des Chartes, dont elle sort en 1931 avec le diplôme d'archiviste-paléographe. Cette même année, alors qu'elle subit le calvaire d'une tuberculose osseuse, elle commence à tenir un journal intime, qu'elle continuera pendant l'occupation. En 1934 La Mort de Marie obtient le prix du Premier roman, décerné par La Revue hebdomadaire, une revue de droite. Par opposition à cette droite qu'elle récuse, et à mesure que sa santé s'améliore, elle s'engage dans la lutte sociale. En 1935, elle se lance dans le journalisme, en collaborant au quotidien communiste Ce Soir et aux revues de gauche Commune, Vendredi, Regards, et Europe. Elle fait des reportages sur diverses questions sociales et à deux reprises, en 1936 et 1938, part en Espagne pour effectuer des reportages sur la guerre civile. En juin 1939, le diagnostic d'une tuberculose pulmonaire l'oblige à quitter Paris pour un sanatorium sur le plateau d'Assy où elle réside jusqu'en octobre. C'est là qu'elle apprend, avec un désarroi profond, la signature du pacte germano-soviétique. Elle va adhérer clandestinement au Parti communiste en 1942, moment de l'histoire où elle peut se sentir parfaitement en accord avec ce que le Parti représente.
Entre octobre 1940 et mai 1941, pendant qu'elle est en convalescence à Arcachon, elle rédige le Journal satirique d'un bourgeois pétainiste, exercice de santé morale contre la mystification généralisée de l'ordre nouveau.
Lorsqu'elle revient à Paris à l'automne 1941, elle entre aux Archives nationales comme "chômeur intellectuel", catégorie de l'époque. Elle refuse toute participation aux périodiques officiels et notamment d'écrire dans Comoedia ou pour la Nouvelle revue française de Drieu la Rochelle. Aux Archives nationales elle est retrouvée par Claude Morgan qui, après l'arrestation de Jacques Decour, est chargé de remplacer ce dernier et mettre sur pied un journal clandestin. Édith Thomas parvient à rétablir la filière en mettant Morgan en contact avec Jean Paulhan, l'autre fondateur du Comité national des Ecrivains, et ainsi à reconstituer le CNE. Elle assure avec Morgan la rédaction de la plupart des articles des premiers numéros des Lettres françaises. C'est chez elle dans le cinquième arrondissement, 15, rue Pierre Nicole - un immeuble qui a l'avantage exceptionnel de ne pas avoir de concierge - que se réunit, à partir de février 1943, le Comité directeur du CNE. Elle publie avec Paul Eluard "L'agonie de la Nouvelle revue française" (juillet 1943), contre le projet d'une résurrection "littéraire" de la NRF après le sabordage de la revue par Drieu la Rochelle en juin, de nombreux poèmes, et un reportage sur le maquis, en juin 1944. Elle est la "cheville ouvrière" du CNE, "celle qui assurait toutes les liaisons indispensables" (Claude Morgan). Jean Guéhenno dira, dans La Résistance intellectuelle : "Pour moi, la Résistance courageuse, c'est une fille comme [Édith Thomas] qui la représente."
Édith Thomas est un des rares écrivains à parler des déportations dans la presse clandestine, et cela en octobre 1942. Dans le deuxième numéro des Lettresfrançaises, elle écrit l'éditorial de la première page, intitulée en grandes lettres calligraphiées : "Crier la vérité!" : "J'ai vu passer un train. En tête, un wagon contenait des gendarmes français et des soldats allemands. Puis, venaient des wagons à bestiaux plombés. Des bras maigres d'enfants se cramponnaient aux barreaux. Une main au dehors s'agitait comme une feuille dans la tempête. Quand le train a ralenti, des voix ont crié "maman." Et rien n'a répondu que le grincement des essieux. . . Notre métier ? Pour en être digne, il faut dire la vérité." La vérité qu'il faut crier c'est "les étoiles sur les poitrines, l'arrachement des enfants aux mères, les hommes qu'on fusille chaque jour, la dégradation méthodique de tout un peuple – la vérité est interdite."
Sous le pseudonyme d'"Auxois", elle donne des Contes, "Transcrits du réel" aux Editions de Minuit (décembre 1943). Dans ces sept petites chroniques, elle raconte les efforts, tantôt ordinaires et tantôt extraordinaires de dire "non" aux forces de l'Occupation. Elle participe, sous le pseudonyme d'"Anne", aux deux anthologies des poètes de la Résistance, L'Honneur des poètes, parue aux Editions de Minuit (14 juillet 1943) et Europe (1er mai 1944), titre qui fut en lui même une provocation et une lutte pour reprendre le sens de ce mot. Le général de Gaulle, dans son discours d'Alger du 31 octobre 1943, rendant hommage à la Résistance intellectuelle en France, cite un de ses poèmes. En 1943, elle contribue également à Domaine français, préparé par Jean Lescure, dans lequel elle écrit un essai sur Christine de Pizan, auteur du seul poème consacré à Jeanne d'Arc pendant son vivant. Elle est chargée par Pierre Villon, chef du Front national, d'écrire des tracts pour L'Union des femmes françaises et de faire partie de leur comité directeur. Dans L'Almanach des Lettres françaises, paru en 1944, elle donne une contribution sur les femmes françaises dans la Résistance.
Des textes majeurs d'Édith Thomas sur les années noires sont restés inédits jusqu'en 1995 : son journal intime entre 1939 et 1944, son journal satirique, et ses mémoires. Les deux journaux, écrits à la main et difficiles à décrypter, ne furent pas destinés à un regard autre que le sien. Par contre, ses mémoires politiques, rédigés à Paris en 1952, sont dactylographiés et laissent croire qu'elle espérait une publication posthume, à un moment où le passage du temps permettrait un autre regard sur l'époque tourmentée qu'elle a vécue. Les trois textes présentent un intérêt exceptionnel pour leur témoignage historique ainsi que leur qualité littéraire, et par l'éclairage multiple qu'ils projettent : trois perspectives sur l'Occupation par une femme qui l'a vécue comme témoin et comme participante engagée. Après l'armistice, elle prit le risque d'écrire assez librement dans son journal ce qu'elle pensait des événements, au moins jusqu'à son engagement dans des activités pour la Résistance (septembre 1942). Son journal fictif, Le Journal intime de Monsieur Célestin Costedet, se termine en mai 1941, lors de son départ pour Paris. Dans les mémoires, à la fois récit et plaidoyer, elle retrace son itinéraire politique, des années 1930 jusqu'à sa démission du Parti communiste en 1949 après l'affaire Tito. Pour les années de l'Occupation, elle relate ce qu'elle devait taire dans son journal, notamment ses activités de résistante. Le titre de ses mémoires, Le Témoin compromis, peut paraître surprenant de la part d'une femme dont la vie fut une quête permanente pour trouver une éthique sociale qui satisferait son besoin de vérité et de cohérence. Après sa rupture avec le Parti communiste, elle ressentit le besoin de se justifier, dans un récit où elle se considère témoin dans le sens qu'elle atteste la vérité de ce qu'elle vécut et d'autre part, témoin qui se défend contre des jugements intériorisés qui l'ont profondément divisée. Une autre rupture, plus récente et d'un tout autre bord, vient de sa querelle avec Jean Paulhan après la Lettre aux directeurs de la Résistance (1951) de celui-ci, un pamphlet contre l'épuration en général et celle des lettres en particulier.
Lorsqu'à la suite de l'intervention soviétique en Hongrie, Louis Martin-Chauffier en appelle aux vingt-trois membres démissionnaires du CNE après la guerre pour fonder l'Union des écrivains pour la vérité, elle en est l'un des premiers membres. Elle devient vice-présidente de l'Union, qui se donne pour but de dénoncer les atteintes à la vérité et à la justice. Après la publication du manifeste sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie en octobre 1960 – auquel l'Union ne s'est pas associée – elle signe, avec les autres membres de l'Union, une déclaration protestant contre les sanctions administratives, l'interdiction de publication des manifestes et réclamant une paix négociée. Elle est membre de "Vérité et Liberté", fondée au printemps 1960 pour diffuser les textes saisis et les documents concernant la guerre d'Algérie.
De 1948 jusqu'à sa mort à Paris le 7 décembre 1970, Édith Thomas est conservateur aux Archives nationales. Elle consacre une part importante de son activité intellectuelle après la guerre à des biographies historiques, marquées par sa rigueur de chartiste alliée a une sensibilité de romancière : Jeanne d'Arc (1947), Pauline Roland (1956), Les "Pétroleuses" (1963, Prix Femina-Vacaresco), Rossel (1967, Prix Gobert), Louise Michel (1971). Toutes ses biographies historiques ont pour sujets des individus qui partagent avec elle un engagement de conscience dans les luttes politiques et sociales de leur temps. Une autre affinité se décèle dans le choix qu'elle fait de certaines périodes historiques, notamment la révolution de 1848 et surtout la Commune, déplacement de sa passion pour la période de défaite et de résistance qu'elle a vécue.
Dorothy Kaufmann in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004
Sources et bibliographie :
Archives nationales, 318AP, 1-14 (dossier Edith Thomas).
Les Lettres françaises, 1942-1944.
Edith Thomas, Contes d'Auxois, Editions de Minuit, 1943.
Édith Thomas, vol. 1, Pages de Journal (1939-1944), suivies de Journal intime de Monsieur Célestin Costedet (1940-1941) ; vol. 2, Le Témoin compromis, Mémoires, prés. par Dorothy Kaufmann, Editions Viviane Hamy, 1995.
Jacques Debû-Bridel, La Résistance intellectuelle (textes et témoignages réunis et présentés), Julliard, 1970.
Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes, France 1940-1945, Seghers, 1971.
Claude Morgan, Les "Don Quichotte" et les autres, Roblot, 1979.
Dorothy Kaufmann, A Life in Resistance : Édith Thomas, Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 2004.