Les revues: des agitateurs d'idées pour refonder la République
Légende :
Extraits de La Revue libre, n°2, février 1944 : couvertures et pages 1 à 13 (sur 32).
Type : Revue clandestine
Source : © Coll. Bruno Leroux Droits réservés
Détails techniques :
Brochure imprimée
Date document : Février 1944
Lieu : France
Analyse média
La Revue libre est la revue de réflexion lancée par le mouvement Franc-Tireur, un des trois grands mouvements de résistance de zone sud, fondé en 1941 par un cercle de militants politiques allant des chrétiens progressistes aux socialistes en passant par les radicaux. Dirigée par le journaliste Georges Altman et l'historien Marc Bloch, La Revue libre aura deux numéros (n°1, décembre 1943 ; n°2, février 1944), avec un mot d’ordre frappant affiché sur leur couverture : « De la résistance à la révolution ». La révolution dont il est question ici n'est pas celle à laquelle aspirent les communistes, car ce mouvement n’a rien à voir avec les Francs-Tireurs et Partisans, formations paramilitaires encadrées par le PCF. Elle est à comprendre dans un sens plus large, que précisent les articles reproduits ici.
Pages 1 et 2 : l’éditorial, rappelle que La Marseillaise est chantée par les résistants, quelle que soit leur origine sociale ou leur opinion politique. Il invite à redonner à l’hymne son sens révolutionnaire originel; derrière la libération du pays, il y a l’aspiration à «l’humanisme nouveau ».
Page 3 à 7 L’article « La révolution démocratique et les classes sociales » précise les sens des termes « révolution » et « humanisme nouveau » pour la revue. Il s’agit d’instaurer « un régime socialiste démocratique » (page 6), qui refuse « l’étouffement permanent des libertés » (allusion qui ne peut viser, dans ce contexte, que le socialisme dans sa version soviétique).
Pages 8 à 12 Cet article sur les nationalisations montre combien leur principe est alors largement partagé ; il figurera dans le programme du CNR adopté en mars 1944.
« De la Résistance à la Révolution » : cette devise sera reprise en manchette après la Libération par un journal issu d’un autre mouvement de résistance de zone sud : Combat, dont l'éditorialiste sera Albert Camus.
Bruno Leroux
Sources:
Dominique Veillon, Le Franc-Tireur. Un journal clandestin, un mouvement de résistance 1940-1944, Flammarion, 1977
Contexte historique
A partir de 1942, l’espoir d’une libération du pays renaît en France avec les premières victoires alliées. Commencent à surgir dans la presse clandestine des programmes pour l’après-libération, qui sont développés dans des brochures voire de véritables revues de réflexion. Leur multiplication s’explique parce que la plupart des résistants ont en commun le sentiment que l’enjeu de l’après-guerre ne peut se limiter à rétablir la République telle qu’elle existait avant 1940 : il faut la refonder sur des bases nouvelles, qui garantissent contre un retour du processus ayant mené au désastre militaire et à l’avènement de Vichy. Les grands mouvements de résistance, les partis clandestins (PCF et PS), le Comité général d’Etudes (créé par Jean Moulin dès 1942) expriment ainsi chacun leur point de vue sur les formes que devra prendre cette « révolution » nécessaire.
L'adoption d'un programme commun par le Conseil national de la Résistance en mars 1944 n'empêche nullement que des divergences idéologiques de fond s'affichent par ailleurs à travers les options prises par chacune de ces revues, comme le montre l'exemple de La Revue Libre. De nombreux cadres des mouvements de zone sud, unis dans le Mouvement de Libération nationale avec certains mouvements de zone nord, entendent d'ailleurs bousculer le système des partis d'avant-guerre en fondant un grand parti progressiste, ce qui produit des tensions avec le PS et le PCF. La coexistence entre ces débats et le programme du CNR prouve bien qu'en 1944, la Résistance incarne une véritable République clandestine, capable de fabriquer du consensus tout en préservant la vitalité du débat démocratique.
Ces revues de réflexion sont citées dans les "revues de presse" des grands journaux clandestins, ce qui démultiplie considérablement leur audience. Car en 1944, les journaux de la Résistance atteignent un tirage total de deux millions d’exemplaires. Si l’on considère qu’un même journal a souvent plusieurs lecteurs, cela leur assure une diffusion égale à la presse légale, contrôlée par l'occupant nazi ou par Vichy.
Bruno Leroux