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Dessins du déporté Ferdinand Dupuis

Légende :

Dessins réalisés par le déporté Ferdinand Dupuis et représentant l'arrivée de détenus au camp de Dachau (recto) et le block de quarantaine (verso) - ces dessins, non datés, illustrent le fascicule de l'abbé Fraysse, De Francfort à Dachau, Souvenirs et croquis, paru en 1946

Genre : Image

Type : Dessin

Source : © AD Ardèche 70 J 54-2 Droits réservés

Détails techniques :

Dessins au crayon à papier (voir recto-verso et également l'album photo lié).

Date document : 1943 - 1945

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Ardèche

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Analyse média

Dans ces dessins, tout est dans le trait de crayon expressif, précis avec nombre de détails jusque dans l'arrière-plan, donnant l'impression de photographies prises sur le vif et démontrant l'entassement, la multitude de déportés, le dénuement, la condition animale, l'horreur.

Des lignes droites, principalement horizontales et verticales, montrent en plan large, avec beaucoup de profondeur et de rigueur, les bâtiments, l'environnement des détenus représentés par des courbes, des lignes brisées.

Ferdinand Dupuis croque des déportés avec le même visage impersonnel, le regard absent ou vide comme si la vie les avait déjà quittés, comme s'ils n'étaient plus que des ombres. Les nazis cherchent à transformer par la terreur, les privations, des individus différents en un groupe uniforme, une masse atone. Par contraste, quelques-uns de ces hommes ont encore une allure humaine par leur visage, leurs vêtements.


Alain Martinot

Contexte historique

Les dessins, qui illustrent la brochure De Francfort à Dachau, souvenirs et croquis, parue en 1946 à Annonay sous la signature de l'abbé René Fraysse, sont dus à Ferdinand Dupuis.

Né le 23 mars 1922, ce séminariste angevin est requis pour le STO en 1943. Employé dans une usine de Francfort qui fabriquait des pièces pour l'aviation, il est arrêté, incarcéré à la prison de Damstadt, puis envoyé à Dachau, matricule 80 118. Il séjourne dans le même block 26 que l'abbé Fraysse, celui des religieux : 400 prêtres de 25 nationalités, dont 150 Français originaires de 56 diocèses. Cela explique la présence d'une chapelle, lieu de silence, de prière, de ressourcement.
Il souhaite ne pas être mentionné comme auteur des dessins, mais une lettre d'Edmond Michelet, déporté lui aussi à Dachau et ministre des Armées en 1946, qui lui est adressée, révèle son identité. Libéré le 29 avril 1945, son état de santé le conduit en sanatorium. S'il ne devient pas prêtre, il continue d'être au service des autres.

Ces dessins, croqués sur le vif par Ferdinand Dupuis, ceci au péril de sa vie, décrivent son vécu, son quotidien. L'auteur a tenu, malgré les risques courus, à laisser une trace de la barbarie nazie.

Il traduit artistiquement, mais aussi par les thèmes abordés, la négation de l'Homme dans l'univers concentrationnaire nazi, ici Dachau, camp ouvert dès 1933, année de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne.

 

Dans l'univers concentrationnaire, les déportés ne sont plus que des nombres : le matricule 113 095 (celui de l'abbé Fraysse), des ombres décharnées tant la nourriture est quantitativement très insuffisante et peu variée : la soupe arrive au block. Volontairement, l'affaiblissement des détenus est aggravé par de longues journées de travail : départ en kommando. Le travail est un instrument de torture : trépalium dans le double but de profiter de leur labeur et de les exterminer. Ainsi les camps sont hantés de squelettes vivants, ambulants que frappent les maladies et les épidémies, favorisées par la prolifération des poux : par exemple la gale et, pire, le typhus.

Dans les camps du troisième Reich l'intimité est niée, la promiscuité prime : les bains-douches, les WC, les lavabos, stube 4 du block 26. La nudité est un moyen d'humilier, de détruire.

Une vision de cauchemar s'offre aux nouveaux arrivants dès leur entrée dans le camp : la mort côtoie la vie, mais quelle vie ! La grande faucheuse rôde, elle est omniprésente : block de quarantaine, le char de la mort, un mort passe, voici les croque-morts, l'entrée d'un block, le crématoire : extérieur, intérieur.

Ces camps sont mangeurs d'Hommes, un instrument d'élimination d'êtres humains à qui les nazis ont d'abord enlevé la condition d'Homme en les privant de liberté : promenade près des barbelés après la soupe (paradoxe de l'association dans le titre des termes promenade et barbelés) et en annihilant leur intelligence, en les brutalisant. Dans les crématoires, les corps sont brûlés à la chaîne, véritable entreprise industrielle, dénuée d'instants de recueillement. Les cendres servent d'engrais pour les jardins des SS.

Dans cet univers où règne l'horreur et où se développent les pires instincts de l'Homme, réduit à l'état de bête sauvage cherchant à survivre, des lueurs d'humanité se manifestent : entraide (arrivée de détenus à Dachau ), solidarité (communion clandestine chez les typhiques). Des amitiés vont naître qui, pour ceux qui sont revenus de l'enfer, vont parfois durer la vie entière.

Les « activités » intellectuelles et artistiques, cultuelles (récitation de complies au dortoir du block 26) ont été des moyens de résister à cette entreprise de déshumanisation.

« N'oubliez pas que cela fut. Non, ne l'oubliez pas ». Primo Levi, Si c'est un homme.


Auteur : Alain Martinot