Rue du Dr Alphonse Kienzler, Mulhouse
Genre : Image
Type : plaque de rue
Producteur : Bertrand Merle
Source : © collection Bertrand Merle / aéria Droits réservés
Détails techniques :
photographie numérique en couleur
Date document : 2017
Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Haut-Rhin - Mulhouse
Analyse média
Voie dénommée rue du Dr-Alphonse-Kienzler par une décision du conseil municipal du 26 septembre 2000. Cette rue commerçante est située dans le quartier des Coteaux. Elle est perpendiculaire au boulevard des Nations d’un côté et à la rue Mathias-Grunewald de l’autre. La plaque indique l’année de naissance (1923) et de décès (1992), la carrière politique d’ adjoint au maire, de conseiller général et précise la qualité de médecin. La période de résistance n’est pas évoquée.
Bertrand Merle
Sources
Les rues de Mulhouse. Histoire et patrimoine, Conseil consultatif du patrimoine mulhousien avec le concours de la Société d’histoire et de géographie de Mulhouse, éditions JM 2007 et JM 2009 actualisées et enrichies.
Contexte historique
Alphonse Kienzler est né à Mulhouse dans une famille catholique et socialiste le 1er avril 1923, 31 rue d’Illzach. Emile, son père, est médecin; il siège au conseil municipal. Sa mère, Louise, née Fleck, est sans profession. A l’âge de 15 ans, il est scolarisé au collège Stanislas à Paris où il passe la première partie du baccalauréat et rentre en Alsace à la déclaration de la guerre.
En mai 1940 il se réfugie à Lauzun (Lot-et-Garonne) avec sa mère et une sœur ainée où se trouvent de nombreux évacués du Haut-Rhin depuis l’été 1939. Pendant cette période, Emile Kienzler et d’autres élus restent à Mulhouse afin d’assurer la gestion de la Ville. Au cours de l’été 1940, c’est le retour en Alsace. A la rentrée, Alphonse Kienzler est inscrit au lycée de garçons, passe l’Abitur (bac allemand) pendant l’année scolaire 1940-1941 puis décide de rejoindre Clermont-Ferrand où est repliée l’université de Strasbourg. Ses parents acceptent son choix. Avec l’aide de son père, il s’évade par le Sundgau en juin 1941, zone frontalière avec la Suisse, est emprisonné quelques jours à Lohnhof (Suisse), est envoyé ensuite à Bâle puis est expulsé en France via Annemasse, en zone libre à l’époque. Le parcours est classique pour les jeunes alsaciens qui ont décidé de s’évader d’Alsace, annexée de fait au IIIe Reich.
A l’automne 1941 il s’inscrit en PCB (physique - chimie - biologie) à Clermont, où son Abitur est reconnu, afin d’intégrer médecine. Très rapidement, il entre en contact avec le mouvement Combat où sont actifs de nombreux étudiants alsaciens. Il prend le pseudonyme de « Kinou ». Distribution de tracts, inscriptions sur les murs, sabotage de salles de projection, aide à l’évasion vers l’Espagne de prisonniers de guerre. En septembre 1942, il est envoyé en mission à Montluçon (où résident sa sœur ainée et son beau-frère, employé de la Société commerciale des potasses d’Alsace). Roger Schaeffer (1923 - 1992) est avec lui. Ce dernier est également Mulhousien où leurs parents habitent le même quartier, évadé d’Alsace le 9 juin 1941, étudiant en médecine, membre de Combat depuis 1941 et du réseau Mithridate (agent P2). Leur mission: plastiquer le bureau de l’office de placement allemand dans la nuit du 4 au 5 septembre. C’est chose faite.
Ils sont arrêtés le 26 septembre « trahis par le bavardage d’une comparse » indique Alphonse Kienzler dans ses mémoires. Edgar Amigas (né à La Ciotat en 1919 - décédé en déportation à Flossenbürg le 26 avril 1945), autre membre du groupe, agent P2 des Groupes francs de combat est également pris. Commence alors un long parcours carcéral. C’est la prison de Montluçon d’abord jusqu’au 12 octobre puis celle de Clermont où il se lie d’amitié avec le docteur Paul Weil. Les deux tentent une évasion qui échoue. S’ensuit un tabassage en règle et 60 jours de mitard. En mai 1943 ils sont transférés à la prison Saint-Paul de Lyon dans l’attente du procès devant la section spéciale du tribunal d’Etat instauré par Vichy. Le 22 septembre 1943, Amigas et Weil sont condamnés à cinq ans de travaux forcés, Kienzler et Schaeffer à sept.
Le 15 octobre, ils sont transférés à la centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne). Alphonse Kienzler et le docteur Paul Weil (né et décédé à Versailles 1916-1980 dans une famille d’origine alsacienne) sont affectés à l’infirmerie. Toutes ces personnes participent à l’insurrection armée qui affecte la centrale entre le 19 et le 23 février 1944. Au cours d’une inspection, le directeur Joseph Schivo puis une soixantaine de gardiens sont captifs des prisonniers. Les insurgés se rendent finalement sous la menace d’une canonnade par les troupes allemandes. Douze prisonniers sont ensuite exécutés ; 50, dont Alfred Kienzler, sont otages. La centrale est évacuée le 30 mai 1944 et les 1100 détenus sont remis aux Allemands et plus précisément à la division Das Reich tristement célèbre (Tulle, Oradour). Suit un transfert vers Compiègne en région parisienne où ils arrivent le 2 juin.
Roger Schaeffer est transféré à Dachau (Bavière) par le convoi I.229 d’où il sera libéré le 29 avril 1945, Edgar Amigas part pour Neuengamme (près de Hambourg), convoi I.250. Il décède en captivité. Alphonse Kienzler et le Dr Paul Weil sont dirigés le 2 juillet vers Dachau via Metz (57), Sarrebourg (57) et Haguenau (67) dans ce que l’histoire nomme le "train de la mort" (I.240) où 519 prisonniers privés de ravitaillement en eau et en nourriture périssent pendant le transfert. Dans un texte publié par le Mémorial annuaire des Français de Dachau rédigé par l'Amicale des Anciens de Dachau, on peut lire: «La responsabilité [des décès] incombe aux SS. Au moment où la situation devenait intenable, malgré les appels de détresse des détenus, les SS ont refusé d'ouvrir les portes, d'aérer les wagons et de distribuer de l'eau, ce qui eut sauvé les mourants. Il ne s'agit, en la circonstance, ni d'une «bavure» ni d'un accident, mais essentiellement d'une action entrant dans le cadre de «l'entreprise générale et délibérée d'élimination des ennemis du Reich, de caractère authentiquement criminel. » Paradoxalement, il n’y a pas de mort dans le wagon où se trouve Alphonse Kienzler. Dans ses mémoires, il écrit: «Paul Weil qui était (…) un géant de 1,96m, prend le commandement et organise notre vie à bord.(…) Il nous fait asseoir les uns derrière les autres, nos corps véritablement emboîtés pour occuper la plus juste place. A tour de rôle, les uns pourront se lever et les autres s'asseoir. L'eau est parcimonieusement distribuée à chacun». Alphonse Kienzler et le Dr Paul Weil sont ensuite affectés à l’infirmerie avant d’être transférés à Stutthof (Prusse orientale près de Danzig - Pologne). Kienzler est affecté au service des maladies infectieuses, Weil au laboratoire. Le typhus fait rage dans ce camp.
Sous l’avancée des Soviétiques, le camp est évacué et les prisonniers dirigés vers Putzig (Poméranie - Pologne). Kienzler et Weil, malades, s’évadent et parviennent à se rendre aux Russes (12 mars 1945). Le 14 juin Alphonse Kienzler, remis aux Anglais, est de retour à Paris et reprend ses études de médecine à Strasbourg. Il exerce ensuite à Mulhouse où il devient un phlébologue reconnu. Parallèlement, il entreprend une carrière politique (adjoint au maire et conseiller général du Mouvement démocratique et socialiste de France, puis UDF). Le Dr Paul Weil demeure quelques semaines supplémentaires en Pologne afin de soigner les civils, à la demande des autorités militaires de l’URSS. Pendant ce temps, la Justice suit son cours… C’est ainsi que la cour d’appel de Lyon dans un arrêt du 20 décembre 1944 casse le premier jugement du 23 septembre 1943 avec retrait du casier judiciaire et remboursement des frais de justice. Sont notamment concernés Alphonse Kienzler alors à Stutthof et Roger Schaeffer à Dachau!
Pendant la période de guerre, les parents d’Alphonse Kienzler ont tour à tour subi la répression nazie. Louise, sa maman a été internée à Schirmeck pour n’avoir pas su retenir son fils et son gendre (22 avril 1942 - 7 septembre 1942) et Emile le père pour motif politique à partir du 23 août. Alphonse Kienzler décède à Tourettes-sur-Loup (06) le 26 décembre 1995.
Alphonse Kienzler est homologué comme résistant au titre des FFC (Forces française combattantes) et des DIR (Déportés et internés de la résistance), a été nommé chevalier de la Légion d’honneur dès janvier 1948, croix de guerre 1939-1945 avec palmes.
Bertrand Merle
Sources
- Alphonse Kienzler, Souviens-toi docteur Weil, Editions Prospectives 21, Strasbourg 1992
- Fiches biographiques de l’AFMD de l’Allier concernant Alphonse Kienzler, Roger Schaeffer et Edgar Amigas.
- Archives départementales du Haut-Rhin 433W28W
- Mémorial annuaire des Français de Dachau, Amicale des Anciens de Dachau 1987
- Témoignages strasbourgeois. De l'université aux camps de concentration, publications de la faculté de lettres de l'université de Strasbourg, société d'édition "Les Belles Lettres". 1954. Kienzler et Weil ont signé l’article: "A Stutthof. Document sur le service sanitaire d’un camp d’extermination".
- Fabrice Bourrée, "Paul Weil, étudiant en médecine" sur museedelaresistanceenligne.org
- Eric Le Normand, "Alphonse Kienzler", DVDrom de l’Aéria « La résistance des Alsaciens », Fondation de la Résistance - Dpt AERI, 2016