Chemin des Passeurs à Reichshoffen (Bas-Rhin)
Légende :
Il symbolise le chemin emprunté par les passeurs pour convoyer les évadés jusqu'à la gare du village. Reichshoffen joue un rôle considérable dans les filières d'évasions des prisonniers de guerre (PG) évadés et autres fugitifs.
Genre : Image
Type : Nom de rue
Source : © Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens Droits réservés
Détails techniques :
Photographie numérique en couleur
Date document : 4 juin 2013
Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Bas-Rhin - Reichshoffen
Contexte historique
Le point de passage le plus important de la filière se situe au Rehtal en Moselle. Ce dernier est un petit hameau, au carrefour des routes touristiques reliant Sarrebourg à Dabo et Phalsbourg à Abreschviller. Lucien Fischer (fils) et Lucien Fischer (père) travaillent dans les forêts avoisinantes. Ils sont chargés de faire passer les évadés de l'autre côté de la frontière. Ces derniers sont amenés par l'intermédiaire d'une organisation clandestine dont le point de départ se situe à Reichshoffen.
Les deux fondateurs, Alphonse Burckert et Paul Rudloff, s'entourent d'une équipe efficace dont les rôles sont clairement définis, pourvoyeurs en nourriture, vêtements ou logements et convoyeurs entre Reichshoffen et les différents lieux de passage ; les cultivateurs, Edmond Meyer, Joseph Eibel, son frère, Charles Eibel et leurs épouses respectives, Madeleine et Anne Eibel, les époux Julie et Auguste Schalber, le secrétaire de mairie Joseph de Hatten ainsi que Michel Grussenmeyer. La femme d'Alphonse Burckert, Catherine, et sa fille Marcelle participent également à cette organisation clandestine alors que le fils, André, s'engagera plus tard dans les Forces françaises libres (FFL) et la 2ème division blindée (DB) avant de participer à la campagne de libération de l'Alsace (1944-1945).
Après le recrutement des membres et la mise en place des structures à Reichshoffen même, il s'agit de trouver des points de passage sur la frontière. C'est par l'intermédiaire de l'entrepreneur Alphonse Hickel, gérant d'une scierie, que le contact est pris avec Emile Rosio, natif de la localité qui développe deux affaires identiques du côté de Lorquin (Moselle). Les évadés sont amenés au domicile d'André Jerôme, son chef de chantier, à Sarrebourg. Là, ils prennent l'allure d'ouvriers forestiers avant d'être dirigés vers la frontière. Ils montent dans une voiture-grumier de l'entreprise et passent dans le secteur de Lorquin par Hattigny, Frémonville et Tancoville. Néanmoins, ce point de passage est rapidement brûlé et il faut trouver une autre alternative.
C'est ainsi que le petit du hameau du Rehtal et ses deux bûcherons, Lucien Fischer (père et fils), vont se retrouver au cœur de l'organisation clandestine. A l'instigation d'Emile Rosio, ils sont contactés et donnent leur accord. Les évadés sont convoyés par Marcelle Burckert (épouse Hassenfratz), Marguerite Pflieger (née Colling), Anne Eibel (née Colling), Jeanne Koessler (née Kocher) et Berthe Feurer (épouse Klipfel) de Mertzwiller (Bas-Rhin) depuis Reichshoffen jusqu'à la petite gare d'Arzviller (Moselle). Ils rejoignent ensuite le Rehtal. Quelquefois, c'est Henri Dietrich, menuisier, qui les conduit en gazogène.
Au Rehtal, une véritable chaîne de solidarité se forme autour de la famille Fischer. Les voisins fournissent de la nourriture. Très rapidement, Lucien Fischer (père) emmène son fils sur son itinéraire de passage. En réalité, leur filière d'évasion s'inscrit dans la dynamique générale du pays du Dabo où les lieux de passages sont nombreux et les passeurs très actifs. Ainsi, c'est Emile Rosio qui donne le nom des Fischer pour le suppléer. Mais, au cours de l'année 1942, les Allemands renforcent la surveillance de la frontière et rendent ainsi plus délicates les évasions clandestines.
Dans la pratique, les opérations se déroulent de mars à octobre pour éviter la neige avec un nombre restreint de personnes, ce qui permet de limiter les risques. A côté de cette activité nocturne, les passeurs gardent une activité professionnelle intense et enchaînent avec des journées de travail. Le premier passage par le Rehtal a lieu en août-septembre 1940 avec l'aide du bûcheron Léon Ramm de Walscheid (Moselle). Dans ce village même, à l'initiative d'Aloyse Schiby, maître-verrier, une véritable filière d'évasion est mise en place sous le nom d'« Honneur et Patrie ». La famille Fischer s'appuie sur ses habitants pour convoyer les fugitifs vers Raon-lès-Leau (Meurthe-et-Moselle) et Raon-sur-Plaine (Vosges). De là, avec les conseils des gendarmes des deux villages, les fugitifs se rendent chez la famille Mathieu à Raon-l'Etape (Vosges) avant de rejoindre Nancy où ils sont pourvus en faux-papiers avant d'être envoyés dans toute la France.
Si l'année 1941 se passe donc bien, au cours de l'année 1942, les postes des douaniers allemands se renforcent considérablement face à l'afflux des évadés que provoque l'instauration du Reichsarbeitsdienst (RAD) ou service du travail, le 20 mai 1941, puis l'incorporation de force dans la Wehrmacht à partir du 25 août 1942. Les premières arrestations ont lieu le 6 juillet 1942 à Reichshoffen par l'intermédiaire d'un faux PG évadé. Adèle Mitschler et son fils, Louis, sont arrêtés pour aide à l'évasion. Ils sont internés au camp de sûreté de Schirmeck jusqu'au 26 août 1942. En septembre, une zone interdite est mise en place. D'une profondeur de trois kilomètres à partir de la frontière, les douaniers peuvent désormais tirer sur toute personne suspecte. C'est dans le même temps, le 29 septembre 1942, que Léon Ramm est arrêté et interné à Sarrebourg. Emile Erb, lui, s'évade le 9 du même mois et va rejoindre la Résistance dans les Hautes Alpes. Sans relais, les Fischer ne doivent désormais compter que sur eux-mêmes.
De nombreux évadés des camps de prisonniers viennent à Reichshoffen grâce à des indices sur les colis qu'ils reçoivent et les habitants les trouvent dans la rue et les lieux publics. A l'aide de boussoles, ils parviennent à se rendre dans le village. La filière, trop importante, va être l'objet d'une première série d'arrestations. C'est l'électricien Ernest Hentz qui est arrêté le premier par les Allemands le 10 octobre 1942. Alphonse Burckert et sa femme, Catherine, sont arrêtés dans la nuit du 11 au 12 octobre. Cette dernière est libérée au bout de trois jours. Les deux autres sont internés à Strasbourg. Ils sont tous les trois jugés par le Sondergericht, le tribunal spécial, le 22 décembre 1942 à Strasbourg. Ernest Hentz est condamné à une peine de 18 mois de prison pour aide à l'évasion, transféré à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin) et libéré avant d'être envoyé dans un camp surveillé à Schelklingen (Allemagne) avec toute sa famille. Catherine Burckert est condamnée à huit mois de prison et son époux, Alphonse, à deux années de prison. Ce dernier est aussi envoyé à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin).
Très rapidement, l'étau se resserre autour de la filière d'évasion. Un réfractaire au travail venant d'Allemagne, Marcel Aubrin, passant par Schiltigheim (Bas-Rhin) puis le Rehtal, est arrêté et dénonce l'ensemble de la filière. Un traître, Claude Chavannes, parvient à gagner la confiance des membres de la filière.
Joseph de Hatten, Alphonse Hickel, Lucien Rombourg, Paul Rudloff, Lucien Schalber, Edmée, Marie et Edmond Meyer sont arrêtés dès le 16 février 1943. Quelques jours plus tard, le 22, les autorités nazies opèrent une rafle sur la commune de Reichshoffen. Lors de cette même journée, Charles (né en 1875), Charles (né en 1902), Anne et Marie Eibel, Marcel (né en 1886) et Marcel (né en 1911) Ernwein, François Feig, Alfred G'Styr, Michel et François Grussenmeyer, Marguerite Pflieger, Auguste Schalber, Marcel et Joseph Wackermann. Ce même jour, l'hôtelier Emile Cully de Niederbronn-les-Bains est également appréhendé.
Les Allemands remontent la filière et le 1er mars 1943, ils arrêtent Louis Hickel, jeune étudiant à la faculté de médecine de l'université de Nancy et fils d'Alphonse Hickel, qui est un maillon important après le passage de la frontière. Ils appréhendent également Joseph Steinmetz de Goersdorf (Bas-Rhin) le 3 et Jeanne Koessler le 4.
Enfin, dans la nuit du 12 au 13 mars 1943, la Gestapo arrête les trois membres de la famille Fischer au Rehtal. Plus tard, le 19 novembre 1943, elle arrête également le comptable Frédéric Muller à Niederbronn-les-Bains. Au total, ce sont 30 personnes qui sont jugées devant le Sondergericht, le tribunal spécial, le 22 juillet 1944 à Strasbourg. Une seule est acquittée et toutes les autres sont condamnées à diverses peines de prison. Le président du tribunal, le docteur Huber prononce ces mots: « Entre Reichshoffen et le Rehtal, il y a une véritable « Heerstrasse », une route d'évasion de prisonniers de guerre français. Jusque dans les camps les plus reculés de l'Allemagne, on sait qu'on était bien reçu, bien hébergé en arrivant à Reichshoffen ou au Rehtal. Seulement, nous n'avons pas assez de preuves. » L'acte d'accusation donne les détails suivants: « Rudloff, Burckert et Lucien Fischer (fils) ont délibérément accordé à tous les prisonniers de guerre français l'assistance qui leur avait été demandée. Comme Rudloff et Burckert étaient influents à Reichshoffen, de nombreux habitants se sont déclarés prêts à leur donner leur appui dans l'œuvre d'acheminement, de financement et d'habillement des évadés. Lucien Fischer (fils) se faisait présenter les fugitifs et leur permettait le passage de la frontière alsacienne. Les trois accusés sont francophiles. Ils ont travaillé dans l'intention de nuire aux intérêts allemands. Ils ont offert la possibilité aux prisonniers de guerre français, une fois arrivés en France, de reprendre la lutte contre l'Allemagne et de porter, soit dans les rangs anglais, soit comme soldats de De Gaulle, les armes contre l'Allemagne. Ils se sont donc rendus coupables d'avoir favorisé l'ennemi. »
Néanmoins, malgré un contexte défavorable avec l'attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944, les 30 inculpés sont condamnés à diverses peines de prison: Paul Rudloff (Reichshoffen) est condamné à la peine de mort, commuée le 30 août 1944 en dix années de travaux forcés; Lucien Fischer, fils, (Rehtal) à huit ans de travaux forcés ; Alphonse Burckert (Reichshoffen), à six ans de travaux forcés en plus d'une condamnation de décembre 1942, donc huit ans; Marguerite Pflieger (Reichshoffen), à quatre ans; Paulette Falbisaner (Oberhausbergen), Lucien Fischer, père, (Rehtal), et Florentine Fischer, sa femme, à deux ans; Alfred G'styr (Reichshoffen), à un an et six mois; Jeanne Jordan (Eckbolsheim), à un an et quatre mois; Auguste Schalber (Reichshoffen) à un an. D'autres ont également été condamnés à des peines de prison: Edmond Meyer, Marie et Charles Eibel (Reichshoffen), à un an et six mois; Marie Meyer (Reichshoffen) et Frédéric Muller (Niederbronn), à un an; Alphonse Hickel (Reichshoffen), Odile Meyer (Sarrebourg) et Emile Rosio (Reichshoffen), à neuf mois; Marcel Ernewein, Madeleine Eibel, Michel Grussenmeyer, Juliette Schalber, François Feig, tous de Reichshoffen ainsi qu'André Jérôme (Lorquin) à six mois; Georgette Bey (Reichshoffen) et Alice Pfadt (Oberhausbergen) à quatre mois. François Eibel est acquitté. Tous les membres de la filière reviennent de déportation mais en portent les cicatrices de manière durable, à l'exemple de Paul Rudloff qui décède en 1959.
Près de 3 000 personnes ont emprunté cette filière d'évasion, importante par son organisation. Les autorités nazies ont mis beaucoup de temps à rassembler les preuves et à monter un dossier d'inculpation solide. Alors que la grande majorité des membres de la filière est arrêtée en 1942-1943, le jugement ne peut avoir lieu qu'en juillet 1944. A ce moment-là, les circonstances et le contexte ne sont pas les mêmes. Malgré l'attentat contre Hitler, les peines de mort sont commuées. Néanmoins, ce procès du 22 juillet 1944 permet de mettre en lumière une véritable organisation clandestine implantée autour de deux communes (Reichshoffen et le Rehtal) mais dont toutes les composantes n'ont sûrement pas été décelées par les juges nazis.
Eric Le Normand, "La filière d'évasion de Reichshoffen (Bas-Rhin)" in DVD-ROM La Résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance - AERI, 2016.