Voir le recto

Laissez-passer (Ausweis) du marin-pêcheur Jean Kervision

Légende :

Ausweis für Besatzungsmitglieder Fischereifahrzeuge (Laissez-passer pour membres d’équipage des bateaux de pêche) du marin-pêcheur Jean Kervision, originaire du Guilvinec

Genre : Image

Type : Laissez-passer

Source : © Archives J. Kervision Droits réservés

Détails techniques :

Document recto-verso.

Lieu : France - Bretagne - Finistère - Guilvinec

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Cet Ausweis, délivré par l’inscription maritime du Croisic (Loire-Inférieure) à Jean Kervision, un jeune Bigouden de Guilvinec (Finistère), ne comporte pas de date. La carte d’identité pour marin pêcheur est en fait établie au moment où le jeune homme - dont le père, Jean-Marie, est engagé dans la Résistance communiste - embarque à l’été 1941 pour sa première campagne de pêche, comme mousse à bord de l’Yvette-Pierre, un sloop du Croisic. Alors âgé de 13 ans et demi (il est né le 29 janvier 1928), Jean, toujours scolarisé, intègre, à l’occasion des vacances d’été, un équipage qui se livre à la pêche au maquereau de ligne au large de Saint-Nazaire. À cette époque, tous les pêcheurs doivent être munis d’une carte semblable à celle-ci pour être autorisés à pratiquer leur activité professionnelle.

Une photo figure sur le document afin que les autorités allemandes puissent vérifier la composition de l’équipage et s’assurer que le navire n’embarque ou ne débarque ni résistant ni espion. L’apposition de l’empreinte du pouce droit (Abdruck des rechten Daumens) vise aussi à renforcer ce contrôle.


Auteur : Delphine Le Floc'h

Contexte historique

Alors que la France est vaincue par la Wehrmacht et a signé l’armistice avec l’Allemagne nazie le 22 juin 1940, l’occupant impose ses règles et ses contraintes, y compris dans le domaine de la pêche et a fortiori dans les ports de l’Atlantique et de la Manche : outre les réquisitions qu’ils subissent comme le reste de la population, les marins voient leur activité contrôlée et limitée (durées et zones géographiques dictées par les Allemands).

Vu l’importance nourricière de la pêche, surtout dans cette période de pénurie, les sorties en mer sont tout de même autorisées et les pêcheurs continuent à travailler activement, en particulier entre septembre 1940 et décembre 1942. Cependant, ils doivent accepter une stricte réglementation : le nom des navires est inscrit de manière très visible, en lettres noires sur fond blanc, et les bateaux en pêche sont éclairés la nuit. Les Allemands redoutent en effet que des navires rejoignent l’Angleterre, soit pour jouer, plus ou moins ponctuellement, le rôle de passeurs pour les résistants, soit pour se mettre directement au service des Britanniques ou de la France libre. Des mesures de rétorsion sont aussi prévues, le cas échéant : les proches des fuyards sont susceptibles d’être inquiétés et les autorités allemandes peuvent refuser de livrer du carburant aux navires restés au port, voire les interdire de sortie. C’est ainsi, par exemple, qu’entre le 15 janvier et le 11 février 1941, le port de Guilvinec reste fermé, à cause de la disparition d’un de ses navires, jamais revenu à son port d’attache. Cependant, selon les statistiques de l’Administration maritime, moins de 4 % des navires inscrits dans les quartiers maritimes du Sud-Finistère (de Douarnenez à Concarneau) ont fait défection pour rejoindre l’Angleterre.

Le contrôle des ports est assuré par la Zollgrenzschutz (protection frontalière de la douane). Celle-ci dispose d’un poste de surveillance à Guilvinec, la Grenzaufsichtsstelle (GASt en abrégé) dépendant de la direction n° 18 de Quimper. Installée à l’Hôtel du Centre en 1940, elle occupe, à partir de 1943, la maison d’un dénommé Christian Le Corre, en face du port. Elle est chargée de faire appliquer la réglementation maritime, les horaires de pêche (de 6 h à 22 h 00 en été et de 9 h à 19 h ou 20 h l’hiver) et les zones autorisées à la navigation. Elle vérifie l’identification des navires et de leurs occupants, qui doivent donc être munis d’un Ausweis comme celui de Jean Kervision, et contrôle les entrées et les sorties du port. Tous les bateaux de pêche sont tenus de posséder un livret comportant les photos d'identité de chaque homme d'équipage. Ce document est vérifié par la GASt qui y notifie aussi les quantités de poissons pêchées. Au départ et au retour de pêche, la cale des navires est scrupuleusement fouillée. À partir de 1942, l’interdiction de pêcher à moins de 10 miles nautiques du littoral est imposée, ce qui pose problème pour la pêche de certaines espèces côtières comme la sardine. Mais les Allemands font tout de même preuve d’une certaine souplesse, d’autant qu’ils profitent eux-aussi des fruits de cette activité, qui concourt à leur ravitaillement (poissons frais ou transformés en conserve).


Auteur : Delphine Le Floc'h

Sources :

Entretiens avec Jean Kervision en octobre-novembre 2017 au lycée Laennec de Pont-l’Abbé (29).

Jean Kervision, Témoignage « 39-45. Comment j’ai vécu la guerre », consulté le 25 avril 2018.

Notice KERVISION Jean, Yves, Marie par Jacques Girault, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article107837, version mise en ligne le 18 novembre 2010, dernière modification le 21 février 2013 (notice complète consultée le 6 décembre 2017).

Pierre-Jean Berrou, « Le port de Lechiagat-Guilvinec pendant l’Occupation », Cap Caval, n° 36, août 2016.

Jean-Christophe Fichou, «  Les pêcheurs bretons et leurs relations avec la Cornouaille britannique pendant l’occupation allemande (1940-1944) », Sous la direction d’Anne Goarzin et Jean-Yves Le Dizes, Bretagne/Cornouailles britanniques : quelles relations ?, CRBC - Centre de recherche bretonne et celtique, 2014.

Bougeard Christian, «  La vie quotidienne des Bretons pendant la guerre : quelques aspects », In Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 92, numéro 1, 1985. pp. 79-102.

Site Internet Persée, consulté le 22 avril 2018.

Alain Floch, L'Occupation allemande dans les 141 communes du Sud-Finistère, 1940-1944, éditions Alain Floch, 2012.

Jean-Jacques Doaré et Alain Le Berre, Pointe de Cornouaille 1940-1944, éditions AS3P, 2006.