Plaque en hommage à Marcel Weinum et au groupe "La Main noire", Strasbourg (Bas-Rhin)
Légende :
Plaque située place Saint-Etienne à Strasbourg sur la façade du collège épiscopal Saint-Étienne
Genre : Image
Type : Plaque commémorative
Source : © Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens Droits réservés
Détails techniques :
Photographie numérique en couleur
Date document : sans date
Lieu : France - Grand Est (Alsace) - Bas-Rhin - Strasbourg
Contexte historique
Marcel Weinum est né le 5 février 1924 à Brumath (Bas-Rhin). Il est d'abord mis en nourrice dans la famille Lebold. Son frère de lait, Charles Lebold, seul parmi les jeunes résistants à être majeur, le rejoindra plus tard dans ses activités clandestines. Élevé dans la religion catholique, il est servant de messe dès l'âge de six ans. Ses parents déménagent ensuite à Strasbourg pour tenir un magasin dans le quartier de Neudorf. A quatorze ans, Marcel est scolarisé à l'école de la cathédrale de Strasbourg, formant les enfants de choeur. A la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, il part pour la Dordogne avec sa famille, suivant le plan d'évacuation de Strasbourg décidé par les autorités françaises. Il se lie avec un général français retraité qui, au cours de nombreuses conversations, se plaint que la jeunesse actuelle manque d'idéal patriotique. Afin de servir la France, Marcel entre alors à l'école préparatoire d'officiers à Mende (Lozère). Mais ses parents, qui ont tout abandonné en étant évacués et dont les économies ont fondu durant l'exil, décident après l'armistice de juin 1940 de rentrer en Alsace...
Travaillant comme dessinateur industriel dans une entreprise strasbourgeoise, Marcel en est renvoyé après quinze jours car il refuse par conviction d'être embrigadé dans un mouvement pro-nazi. Sans emploi, il décide de profiter de sa liberté pour réunir des camarades de 14 à 24 ans et combattre le nazisme. Son idée audacieuse est de prendre contact avec l'Intelligence Service en Suisse.
Son organisation clandestine, appelée la Main Noire, se compose de camarades de Brumath, comme les frères André et René Kleinmann fréquentant le lycée Saint-Jean appelé par les nazis Karl-Roos-Schule (du nom d'un Alsacien autonomiste arrêté sur ordre du gouvernement français en février 1939 et exécuté en février 1940); la Main Noire réunit aussi de jeunes strasbourgeois comme en particulier l'apprenti-boulanger Ceslav Sieradzki. L'organisation fait apparaître dès octobre 1940 sur les murs de Strasbourg des croix de Lorraine et des inscriptions patriotiques. En novembre, le groupe de jeunes passe à l'action et sabote des installations de la Reichsbahn -chemin de fer-, des postes et des transmissions de la Wehrmacht. La nuit, sur les parkings, Marcel organise le pillage de voitures d'Allemands. Il récupère ainsi quelques pistolets, des papiers et des bons d'essence. Les garçons crèvent les pneus des voitures de la Wehrmacht.
En octobre 1940, Marcel Weinum s'inscrit dans une école de perfectionnement professionnel, ce qui, en plus des réunions de la paroisse catholique Saint-Jean le met en relation avec encore plus de jeunes comme Jean Kuntz dont le meilleur ami était André Mathis, apprenti mécanicien-dentiste âgé de quinze ans. Il y a aussi Aimé Martin dont l'ami d'enfance, Jean-Jacques Bastian, sera le chef du second groupe, celui chargé des armements-explosifs. Les dimanches, Marcel Weinum rencontre ses anciens camarades de l'école de la cathédrale à la messe célébrée en l'église Saint-Etienne: la cathédrale de Strasbourg est en effet fermée au culte par les Nazis. Lucien Entzmann, ancien servant de messe et apprenti droguiste, est ainsi recruté pour servir la France. Dès décembre 1940, La Main Noire s'attaque aux vitrines des magasins où se trouve un buste de Hitler en lançant des grenades: plusieurs commerçants préfèrent payer de lourdes amendes en refusant de mettre le Führer en vitrine plutôt que de voir voler leurs installations en éclats... Pour récupérer des explosifs, Marcel et ses amis explorent en forêt de la Robertsau les fortins abandonnés de la ligne Maginot. Ils emportent divers matériels de guerre dont 1 000 cartouches de fusils, des cartouches de dynamite, le tout caché près du domicile des parents ne soupçonnant rien.
Calme, raisonné, réfléchi, Marcel Weinum sait en effet être discret et organisé. Tous les membres du réseau sont divisés en petits groupes de trois ou quatre ne se connaissant pas entre eux. Doué d'une intelligence supérieure reconnue par les autorités nazies lors de son procès, Marcel Weinum structure son organisation à l'instar des grands mouvements de la Résistance mais sans conseils extérieurs. Il attribue aussi un pseudonyme à chaque membre de l'organisation et met au point un code secret pour communiquer. Le nom de la Main Noire symbolisant la main qui venge l'Alsace des affronts nazis, ne figure pas sur les documents remis aux membres, mais seulement au bas de tracts antinazis.
En 1941, Marcel Weinum loue un appartement en prétextant l'ouverture d'un bureau d'étude avec l'argent des cambriolages des locaux des organisations nazies. Il met au mur le drapeau français ainsi que les portraits du général de Gaulle et de Winston Churchill. Le groupe vole une machine à écrire et commence à taper des tracts: "Alsaciens, levez vous pour la Révolution! "Nous voulons redevenir français", "Vive Churchill!" Vive la France!" "Vive De Gaulle""Les Allemands devront quitter la France" "Alsaciens levez vous pour le combat de la liberté".
Ces tracts, signés le plus souvent de "la Main Noire" sont semés dans la rue, mis dans les boîtes aux lettres, expédiés par la poste à certaines personnalités allemandes ou collés aux murs des immeubles. Lors de leurs sorties nocturnes, les jeunes résistants alsaciens arrachent les insignes à croix gammée sur les bicyclettes, motos et voitures de la police et de la Wehrmacht. Marcel Weinum et Albert Uhlrich parviennent même à arracher un drapeau à croix gammée d'un bâtiment officiel et à le jeter dans l'Ill. D'après le procés-verbal du Sondergericht, le tribunal spécial de Strasbourg, plus d'une centaine de voitures allemandes sont pillées par l'organisation.
En avril 1941, Marcel Weinum, Lucien Entzmann et Xavier Nicole récupérent dans un fort des stocks de munitions. Après un essai d'attentat au palais des Fêtes, lors d'une fête des Jeunesses hitlériennes, Marcel et Albert Uhlrich repèrent le 8 mai la voiture du Gauleiter Robert Wagner devant un restaurant près de la place Kléber. Ils la détruisent avec deux grenades et s'enfuient. Pendant des mois, la presse nazie n'en souffle mot. Jusqu'au jour où le Gauleiter Wagner, exaspéré par les actes de sabotage se multipliant, réclame dans un discours public des mesures plus radicales "contre ceux qui en Alsace ont osé s'en prendre à la vie du représentant du Reich".
Le 19 mai 1941, Marcel et son ami Ceslav Sieradkzi, se rendent en bicyclette à Bâle (Suisse) pour remettre les plans des terrains d'aviation d'Entzheim (Bas-Rhin) et de Haguenau (Bas-Rhin) au consulat anglais à l'agent "Léo", de l'Intelligence Service. Mais un épais brouillard tombé sur le secteur cette nuit-là, rend l'itinéraire incertain. Les deux jeunes sont interceptés vers 3 heures du matin le 20 mai par un douanier allemand alors qu'ils tentent de passer clandestinement la frontière. Weinum qui s'était muni d'un pistolet 7,65 vise le douanier qui est atteint au menton. L'arme s'enraye ensuite et Weinum est jeté à terre par le douanier. Ceslav, à qui Marcel avait donné un coup de poing américain, s'en sert pour défendre son ami. Le douanier lâche alors Weinum pour se défendre contre Sieradzki et Weinum en profite pour reprendre son arme. A son tour, il frappe avec le coup de poing américain le douanier qui doit lâcher prise. Les deux jeunes s'enfuient mais sont repris par une patrouille au moment où ils passent la frontière. Pendant leur transfert à la Gestapo de Mulhouse, Weinum et Sieradzki parviennent à détruire en les avalant les documents destinés au consulat britannique de Bâle. Les deux jeunes résistent à toutes les pressions lors des interrogatoires sur place puis à la prison de Mulhouse où ils restent 30 jours en cellules individuelles, rejoints par les autres jeunes du groupe arrêtés par la suite. Lundi 11 août, tous les membres de la Main Noire sont ramenés à Strasbourg. Marcel Weinum et quatre autres, considérés comme des meneurs, sont transférés à la prison de Kehl (Allemagne). De là, il réussit à passer des billets dans son linge sale que sa famille vient chercher: des témoignages de patriotisme et de christianisme vibrants ainsi que de confiance en la victoire proche des Anglais et des Américains y sont cachés.
Marcel montre encore son courage en s'évadant d'un bureau du Sicherheitsdienst, SD ou service de sécurité à Strasbourg où il est amené pour un interrogatoire. Laissé un moment seul dans une pièce du rez-de-chaussée, il saute par la fenêtre et court vers Schiltigheim (Bas-Rhin) pour se cacher chez sa tante. Son oncle Woock, qui a déjà emmené des Alsaciens en Suisse avec sa voiture, aurait peut-être pu le sauver. Malheureusement Marcel, caché dans les jardins familiaux, se fait reprendre.
Le 27 mars 1942, le procès des dix jeunes résistants alsaciens a lieu au Sondergericht, le tribunal d'exception siégeant à huis clos Strasbourg. Depuis le 17 mars, les jeunes sont incarcérés à la prison de Strasbourg et peuvent se voir à la promenade quotidienne dans la cour, voire se parler furtivement. Un rapport médical reconnait les brillantes facultés intellectuelles de Marcel Weinum et donc sa majorité morale et la pleine responsabilité de ses actes. Au procureur général Lüger regrettant que l'accusé Weinum se soit fourvoyé alors qu'il aurait pu être "un homme très utile pour notre Reich", Marcel Weinum réplique: "Ce que j'ai accompli, je l'ai fait par amour pour ma patrie, la France, je suis français et je reste français". Il impressionne le tribunal par son calme, rétorquant au président du tribunal qui l'interroge sur ses convictions catholiques et ses actes de violence: "Lorsque la Patrie appelle à l'aide, cela est permis". Lundi 31 mars, Marcel Weinum est condamné à mort et transféré à la prison de Stuttgart (Allemagne). Le rejet de son recours en grâce lui est communiqué le 13 avril. Il est guillotiné le lendemain et enterré dans un cimetière allemand d'où son corps sera exhumé et réenterré dans un cimetière strasbourgeois après la Libération.
Marie Goerg-Lieby et Eric Le Normand, "Marcel Weinum" in DVD-ROM La Résistance des Alsaciens, Fondation de la Résistance, AERI, 2016