Marguerite Soubeyran devant des élèves

Légende :

Il s'agit de l’école de Beauvallon à Dieulefit. Une atmosphère de liberté et de confiance émane de cette scène.

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : Inconnu

Source : © PMH Dieulefit Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique noir et blanc, format 6 x 6 cm.

Date document : 1943

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Dieulefit

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Analyse média

Marguerite Soubeyran est face à une trentaine d’enfants d’âges différents. Au fond de la salle, on distingue trois ou quatre adultes et quelques adolescentes. Les plus jeunes sont devant. Une tenue de rigueur n’est pas exigée. Les plus jeunes, passionnés par ce que fait « tante Marguerite », sont agenouillés devant la table, d’autres sont assis sagement sur une chaise. Les garçons d’une dizaine d’années, au fond de la classe, sont debout avec une attitude plus décontractée, l’un d’eux est même perché sur un meuble. Mais tous sont très intéressés par ce qui se passe. Il semble que c’est un jour où l’on marque les anniversaires. Certains ont déjà reçu leur cadeau et feuillettent leur livre, d’autres sont en attente de celui qui leur est destiné.

Marguerite Soubeyran est vêtue d’un pantalon et d’une veste, ce qui représentait, à l’époque, une certaine liberté et une affirmation de sa personnalité.


Auteurs : Jean Sauvageon

Contexte historique

Marguerite Soubeyran est née à Dieulefit, le 29 avril 1894, dans une famille protestante. Son édu­cation familiale accorde une pre­mière place au souci de l'autre. Sa sensibilité est très vive. Après des études d'infirmière, malade, sans argent, elle ne trouve pas de maison de repos à sa portée. Aussi en crée-t-elle une dans une ferme de sa famille maternelle, La Pension, située dans le quartier de Beauvallon, à un peu plus d'un kilomètre à l'est du village de Dieulefit.

La Pension est vite connue et appréciée. Dix ans après, pour s'occuper d'en­fants, elle reprend ses études à l'Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève où elle a pour professeurs Jean Piaget, Édouard Claparède et Adolphe Ferrière. Elle a toujours gardé de cette période un sou­venir ébloui de l'atmosphère de liberté, de familiarité entre professeurs et étudiants, de libres discussions, des repas en commun.

En 1929, à son retour, avec une amie, Catherine Kraft, genevoise, protestante également, elles fondent l'école de Beauvallon pour y accueillir « des blessés de la vie, des blessés par la famille, par la société, par la rue, par l'école ». Ce sont souvent des enfants difficiles. Certains d'entre eux, ayant des affections pulmonaires, y sont admis pour profiter du climat de Dieulefit. L'école, à son début, fonctionne dans La Pension. Marguerite Soubeyran achète un terrain dans le même vallon, au lieu-dit Combe-Lise. « C'est un lieu idéal pour une école destinée à s'occuper d'enfants "caractériels". Dans le creux de la montagne, elle est un refuge au sein duquel on peut jouir d'une liberté qu'aucune barrière n'arrête », écrit Sandrine Suchon. C'est Marguerite Soubeyran qui réalise elle-même les plans du bâtiment, qui ouvre la route reliant La Pension à l'école, qui plante les arbres.

C'est certainement, en France, la première école mixte avec internat recevant des enfants de 4 à 16 ans. Plus que d'autres, les enfants accueillis ont besoin de tendresse et de sécurité. Il faut aider aussi chacun à retrouver et conserver confiance en lui-même. Les principes qui régissent la vie communautaire sont la confiance et la familiarité dans les relations avec les adultes, la liberté et la responsabilité. Les élèves élisent des « préfets » qui assurent la liaison avec les adultes. Marguerite Soubeyran est affectueusement surnommée « Mamie » ou « tante Marguerite ». Catherine Kraft, sur­nommée « Athie », « porte sur ses maigres épaules l'écrasant fardeau de l'organisation matérielle ». La nature qui entoure l'école donne de nombreux sujets d'étude. L'éducation du corps est aussi une préoccupation majeure. Il faut rapidement construire un deuxième bâtiment.

Dès avant la guerre, La Pension reçoit des artistes et des écrivains qui participent occa­sionnellement à la vie de l'école. Au cours de l'été 1941, l'école héberge « huit juifs venant de l'école de La Bourboule qui appartient à la Fondation Rotschitd et qui est dispersée ». À Comps, dans la ferme du Lauzas, elle cache des communistes allemands, Hermann Nuding et Ella Winzer. À Comps, sera également organisé un service de radio clandestine, poste émetteur pour Londres, auquel les enfants de l'école apporteront leur contribution en servant de courrier pendant quelques mois.

Le 23 août 1942, « trois enfants juifs de l'école sont arrêtés par les gendarmes de Dieulefit et envoyés à Lyon. Marguerite Soubeyran part les y chercher et réussit à les sauver. Deux des enfants sont ramenés à Dieulefit dans le train de Lyon à Montélimar par Jean-Marie Serreau, réfugié à Dieulefit ».

Pendant la guerre, l'école et la Pension ont été un refuge inestimable pour les proscrits. Les enfants des intellectuels réfugiés y sont scola­risés, notamment ceux de Jean Prévost et de sa compagne Marcelle Auclair, de Clara Malraux, etc. Parmi les enfants accueillis à Beauvallon, on compte Bernard Vincent, fils de Gaston Vincent, alias le Commandant Azur, Agent P 2 du réseau « Jacques OSS », qui, repéré à Marseille pour son activité de Résistant, vient dans la Drôme, en 1943, à Saint-Donat où il loge chez madame Métifiot. Pendant les vacances de Pâques 1944, Bernard peut y passer quelques jours avec son père. Celui-ci décède le 25 juin à Saint-Martin-en-Vercors.

C’est Marguerite Soubeyran qui convainc Jeanne Barnier, jeune secrétaire de mairie, de confectionner de fausses cartes d’identité, de ravitaillement, etc. pour toutes ces personnes, enfants et adultes, qui se réfugiaient à Dieulefit.

Le gonflement des effectifs équivaut au double de la capacité normale puisque l'école doit désormais s'organiser de façon à accueillir une centaine de personnes de plus. Simone Monnier, protestante elle aussi, « artiste jus­qu'aux ongles », vient compléter l'équipe. Pierre Emmanuel, en parlant de Marguerite Soubeyran, Catherine Kraft et Simone Monnier, a dit que c'étaient « les trois fées de Bauvallon ». Financièrement, l'école de Beauvallon a beaucoup de mal à s'en sortir, car l'aide espérée du gouvernement français s'avère tout à fait insuffisante. Les enfants juifs sont accueillis à prix réduits. La question du ravitaillement est cruciale. Ce sont les enfants qui sont chargés de se ravitailler auprès des fermes des alentours. L'école n'ayant pas de moyen de locomotion, tous les transports de vivres sont faits dans un charreton à bras tiré par les enfants. On s'efforce de redonner vie et espoir à ces enfants persécutés. Ils sont tenus au courant des événements, avec le tact nécessaire pour ne pas trop les angoisser et faire en sorte que leur jeunesse en soit vraiment une. On fait appel à la responsabilité de chacun, leur apprenant que des enfants juifs vivent là aussi et qu'il ne faut le divulguer à personne. Les cours de français basés sur la philosophie des Lumières et de la Révolution française sont donnés par mademoiselle Gilles. Les cours d'histoire sont enseignés aux plus grands par Max Springer, ancien professeur d'histoire à l'université de Heidelberg, en Allemagne, Bernard Bernson, psychologue, donne des leçons d'allemand et de botanique. Marie-Louise Rabinovitch, musicienne et chanteuse, donne de véritables petits concerts. Simone Monnier anime également des chorales. La Pension de Beauvailon, la maison initiale, accueille les adultes. Les enfants y viennent aussi prendre les repas. « Chacun des hôtes de la pension avait son histoire, ses faux-papiers, sa tragédie. On connut, entre ces vieux murs, de grandes angoisses et de grandes douleurs. Tout cela, les maîtres de la maison ne l'ignoraient pas mais ils prirent courageusement leurs risques », a écrit Andrée Viollis, journaliste, écrivaine, réfugiée à la Pension. De nombreux intellectuels et artistes y trouvent refuge. Dés juillet 1940, arrivent Pierre Emmanuel et sa femme, Jeanne Bourgogne. Ils y viennent grâce à Pierre-Jean Jouve le poète dont la femme connaissait Marguerite Soubeyran, le couple ayant déjà séjourné à Beauvallon. Ils seront rejoints par d'autres pensionnaires éminents comme Emmanuel Mounier. Marguerite Soubeyran a été, en quelque sorte, le levain qui a amené Dieulefit à être un lieu de refuge pour de nombreux intellectuels. Marguerite Soubeyran fera partie, en tant que représentante du Front National, du Comité Local de Libération de Dieulefit, constitué le 21 août 1944. Elle a reçu la médaille des Justes. Elle est décédée en 1980.


Auteurs : Jean Sauvageon
Sources : Jean Sauvageon, « Marguerite Soubeyran (1884-1980), protestante, résistante et créatrice de l’école de Beauvallon », Études drômoises, n° 28, décembre 2006. Sandrine Suchon, Résistance et Liberté Dieulefit 1940-1944, éditions A Die, 1994. Anne Vallaeys, Dieulefit ou le miracle du silence, éditions Fayard, 2008.