Mémoire de proposition en faveur de Joséphine Baker
Légende :
Mémoire de proposition de nomination de Joséphine Baker dans l'ordre national de la Légion d'Honneur.
Genre : Image
Type : Document officiel
Source : © SHD Vincennes GR 16P 28445 Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylograhié comportant des mentions manuscrites
Date document : non daté [1946 ?]
Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris
Analyse média
Le mémoire de proposition présenté dans ce document n'est pas daté mais une mention manuscrite signale qu'il a été "classé NR le 8-10-49", c'est-à-dire "non retenu".
Dactylographié à l'origine, il a subit plusieurs suppressions, modifications et ajouts de la main du général Martial Valin qui y a apposé sa signature. Il enlève notamment la plupart des éléments relatifs à son état de santé et ajoute en fin de citation "Belle figure de la femme française au service de la Résistance".
Le mémoire de proposition est également signé de la main de Joséphine Baker qui par cette signature signale n'avoir aucune objection à formuler.
Contexte historique
Le 17 mai 1946, le général d'armée aérienne René Bouscat, chef d'état-major général de l'Armée de l'air du 1er juillet 1943 au 30 octobre 1944, dépose auprès d'Edmond Michelet, ministre des Armées, une note concernant une proposition de nomination de Joséphine Baker, dans l'ordre de la Légion d'honneur. Cette note donne un aperçu chronologique de ses activités entre 1939 et 1944. Entrée en contact en 1939 avec le service de contre-espionnage de l'Etat-major de l'Armée, elle décide d'apporter son aide à ce service avant même l'occupation du territoire national par les Allemands. Immatriculée comme "Honorable correspondant", elle fournit en 1940 des renseignements sur l'Italie et le Japon. En 1941, elle quitte la France pour l'Afrique du Nord et y poursuit ses missions de renseignement. Malade, hospitalisée, elle cesse ses déplacements mais n'en interrompt pas moins ses activités. Une fois rétablie, elle reprend ses déplacements au Proche-Orient, organisant galas et concerts au profit de la France libre.
En juillet 1946, le ministre des Armées, Félix Gouin, étudie les propositions de nomination dans l'ordre national de la Légion d'Honneur pour "faits de guerre" concernant cinq officiers des Forces féminines de l'Air (FFA) dont Joséphine Baker. Par ordre verbal, trois décrets portant nomination dans cet ordre furent établis pour ces candidates. Celui de Joséphine Baker lui attribuait la Légion d'Honneur sans citation et sans attribution de la Croix de guerre.
Le 8 juillet 1946, en parallèle de cette procédure, un nouveau projet de décret avec citation (mais toujours sans attribution de la Croix de guerre) en faveur de l'artiste était remis par l'officier de liaison "Air" au cabinet militaire du Ministre.
Le texte de la citation envisagée en 1946 était axé uniquement sur son engagement dans les FFA "au titre du Service social de l'armée de l'Air" et sur sa contribution "au maintien du moral de la troupe" grâce à toutes "les manifestations organisées en AFN, au Proche-Orient, en Corse et Sardaigne, en Italie, en Allemagne et en Métropole".
Une note non datée de la "sécurité Air" adressée au général de brigade aérienne Jean Plou rapporte qu'elle n'a "rien réalisé de positif" "jusqu'à la débâcle de 1940", qu'elle a accepté d'emmener parmi le personnel de sa tournée en Espagne et au Portugal un représentant des Services spéciaux français puis, malade, a rejoint l'Afrique du Nord. La note conclut "Voilà en toute sincérité à quoi se borne l'activité de l'intéressée en faveur des Services Spéciaux français".
Finalement aucune des deux propositions ne semble avoir été retenue.
Le rejet de cette proposition d'attribution de la Légion d'Honneur entraîne de vives réactions de plusieurs officiers ayant combattu dans la France libre. Ainsi le 3 octobre 1946, Alla Dumesnil adresse un courrier au général Bouscat lui demandant d'intervenir dans ce dossier. Dans cette lettre, la commandant Dumesnil, responsable en Afrique du Nord de la section d’auxiliaires féminines de l’armée de l’air, se demande si "la couleur et la forme ont influencé de refus" - en effet, aucune femme noire n'avait reçu la plus haute distinction française - et souligne "Il y a bien eu les Croix de Raquel Meller, Maurice Chevallier, ont-ils fait autre chose pour nous distraire ? ". Dans cette missive, elle rappelle tout ce que Joséphine a fait au service sa patrie d'adoption. Le 7 octobre, le général Bouscat fait suivre ce courrier au ministre des Armées.
Le 2 décembre 1946, c'est le général Billotte, chef d'état-major particulier du général de Gaulle en Afrique du Nord, compagnon de la Libération, qui prend position dans un courrier adressé au ministre des Armées : "J'ai l'honneur de vous rendre compte que je partage entièrement les avis exprimés par le Général d'Armée Aérienne Bouscat et le Commandant Dumesnil-Gillet. Mademoiselle Baker est à mes yeux une artiste patriote, qui, au détriment de sa santé, a mis sans compter son grand talent au service de la propagande française et des oeuvres françaises. Elle a, de plus, avec une intelligence exceptionnelle, utilisé ses relations internationales très nombreuses pour faire parvenir aux organismes aulifiés des renseignements très précieux pour la Défense nationale".
Le 30 juin 1947, le dossier de Joséphine Baker est étudié par la Commission de liquidation et de réglement de la Résistance du minstère de l'Air. A l'unamité des 7 membres présents, le dossier est rejeté. En effet, la commission estime "ne pouvoir prendre en considération, en vue d'une proposition pour Chevalier de la Légion d'Honneur, les titres de Résistance soumis à son appréciation". La commission "ne conteste pas les mérites de l'intéressé mais estime qu'une promotion à titre civil récompenserait plus légitimement ses services".
Joséphine Baker est à nouveau proposé pour la Légion d'Honneur en 1949. Après enquête diligentée par le ministère de la Justice et le secrétaire d'Etat de l'Air, la demande est rejetée le 8 mars 1949.
Enfin, par décret du ministre de la Défense, Jacques Chaban-Delmas, en date du 9 décembre 1957, Joséphine Baker est nommée chevalier de la Légion d'Honeur avec attribution de la Croix de guerre avec palme.
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources :
Service historique de la Défense, GR 16P 28445 et AI 1P 6679.
Charles Onana, Joséphine Baker contre Hitler. La star noire de la France libre, éditions Duboiris, 2006